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Casa de mi Padre (2012)
Matt Piedmont

No Habla Americano

Par Jean-François Vandeuren
Que ce soit à des fins purement parodiques ou dans le but de raviver la flamme nostalgique d’un certain public - ou les deux à la fois - plusieurs réalisateurs auront tenté au cours des dernières années de renouer avec l’essence d’un cinéma de série B et d’exploitation que l’on croyait disparu depuis longtemps. Des excès de violence aux scénarios peu réfléchis en passant par une technique souvent déficiente, toutes ces caractéristiques auront été embrassées avec passion, et surtout en pleine connaissance de cause, par des artisans aux méthodes ordinairement beaucoup plus sophistiquées, mais bénéficiant toujours de moyens aussi importants pour arriver à leurs fins. Le diptyque Grindhouse comme le Hobo with a Shotgun de Jason Eisener demeurent évidemment les premiers titres ayant découlé de cette initiative qui nous viennent en tête. Mais le présent Casa de mi Padre de Matt Piedmont s’attaque au répertoire des films de gangsters mexicains par l’entremise d’une démarche rappelant davantage celle du délirant Black Dynamite de Scott Sanders, qui rendait hommage pour sa part aux films de blaxploitation des années 70. Casa de mi Padre raconte la petite histoire d’Armando Alvarez (Will Ferrell), un cowboy sans histoire oeuvrant pour le ranch de son père, dont la vie sera chamboulée le jour où son frère Raul (Diego Luna) reviendra au domicile familial en compagnie de sa future épouse Sonia (Genesis Rodriguez). Il sera alors assez clair que les succès du préféré de la famille sont directement liés au trafic de stupéfiants. Le retour de Raul déclenchera du coup une guerre entre ce dernier et le puissant Onza (Gael García Bernal), qui entend bien employer la manière forte pour défendre son territoire.

Premier soupir de soulagement : il y a beaucoup plus à ce premier long métrage de Matt Piedmont que le simple attrait de voir Will Ferrell s’exprimer en espagnol et jouer les mexicains peu futés durant la quasi-totalité du film. Le comique américain effectue évidemment un travail tout ce qu’il y a de plus satisfaisant à cet effet, et ce, autant au niveau de la gestuelle que de la diction, portant tous deux leurs fruits lorsque nécessaire, notamment en début de parcours. Casa de mi Padre réussira du coup à prendre immédiatement son envol pour faire part par la suite d’une variété assez surprenante sur le plan humoristique, allant beaucoup plus loin que l’amas de gags tournant autour des moyens faussement dérisoires de la production. Nous aurons, certes, droit aux inévitables erreurs de montage, aux décors en carton, aux plans qui s’étirent pour rien et aux effets spéciaux aussi jouissifs que complètement ratés. Mais comme c’est généralement le cas avec les comédies satiriques les plus réussies, une bonne partie de l’humour du film de Piedmont découle en soi de ce qui se trame en arrière-plan, tandis que l’action, elle, est traitée avec un sérieux tout à fait illusoire. On pense, entre autres, au mannequin « jouant » les serviteurs comme à la présence peu rassurantes d’écureuils empaillés parmi les décors et à l’utilisation du même bout de film pour les séquences se déroulant à l’intérieur d’une camionnette. Une initiative qui n’est pas sans rappeler celle mise sur pied par le trio formé de Jim Abrahams et des frères Zucker dans l’excellent Airplane!. Le tout en tournant en dérision les clichés les plus éculés de ce type d’histoires, dont le développement des enjeux comme des personnages demeure on ne peut plus grossier.

Casa de mi Padre ne se gêne pas autrement pour embrasser la violence excessive propre à ce type de divertissements, ce qui est assez surprenant vu le ton essentiellement comique privilégié par ses artisans du début à la fin. Cette approche est néanmoins exécutée de la manière la pus caricaturale qui soit, nous confrontant au bon vieux héros qui ne meure jamais, aux multiples effusions de sang, à de nombreux décès présentés au ralenti et à ces figurants parfaitement positionnés pour être atteints d’un maximum de projectiles avant d’effectuer une dernière chute ô combien spectaculaire. Nous aurons également droit à quelques numéros musicaux qui intégreront périodiquement la trame du récit, certains hilarants, d’autres un tantinet inutiles, en plus d’une séquence psychédélique à souhait au cours de laquelle Armando aura droit à son inévitable hallucination qui lui révélera le chemin à suivre pour enfin devenir un héros. Le tout à la suite d’une longue et fructueuse conversation avec un énorme félin blanc. Vraiment. Le réalisateur et le scénariste Andrew Steele ne lésinent pas non plus sur les stéréotypes socioculturels, qu’ils étalent sans retenue dans un univers filmique où les femmes mexicaines sont évidemment toutes des modèles de beauté tandis que les hommes ne peuvent être que des trafiquants de drogues, des policiers corrompus ou de simples paysans. Il en va de même pour les Américains et leur culture du vice, qui sera d’ailleurs la source du dialogue le plus désopilant du film, et le plus caractéristique ici de l’humour de Will Ferrell. Piedmont joue ainsi la carte de l’imitation et de la parodie de manière inspirée, n’hésitant pas à orchestrer quelques passages sans queue ni tête en exploitant toujours avec un malin plaisir les moindres forces et faiblesses du genre.

Voir les noms de Ferrell et de son vieux complice Adam McKay (Step Brothers, The Other Guys) être réunis ici à titre de producteurs ne pouvait évidemment que nous mettre en confiance face à ce projet somme toute assez risqué, lequel s’inscrit d’autant plus dans la filmographie d’un acteur ayant évolué en dents de scie au cours des dernières années. Étant donné le langage privilégié, entrainant la présence continue de sous-titres au bas de l’écran, le présent exercice n’était pas du tout propice au style habituel du comédien, qui est davantage axé sur les échanges ayant tendance à s’éterniser pour les bonnes raisons. Autant ce changement de direction s’avère définitivement bénéfique dans la majorité des cas, autant il finit également par limiter l’expérience dans son ensemble alors que quelques gags prometteurs tombent malheureusement à plat et que la trame narrative, malgré sa courte durée d’à peine 84 minutes, éprouve parfois de la difficulté à soutenir son propre rythme, que cela fasse partie de la blague ou non. Autrement, s’il ne se hisse pas parmi les comédies les plus mémorables de Ferrell, la satire de Casa de mi Padre tient malgré tout ses promesses et saura certainement ravir les fans du comique américain. À ses côtés, Gael García Bernal et Diego Luna marque leur énième collaboration à l’écran en se prêtant au jeu avec tout autant de plaisir. Le film de Matt Piedmont parvient ainsi à proposer un nombre plus que substantiel de situations cocasses en ne s’en faisant jamais trop avec le reste, parvenant au final à ce profond raisonnement nous faisant bien comprendre que ce ne sont pas tous les Mexicains qui sont des criminels comme les Américains ne sont pas tous des êtres amoraux…
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Critique publiée le 29 mars 2012.