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Guardians of the Galaxy (2014)
James Gunn

Les improbables

Par Mathieu Li-Goyette
Il y a une improbabilité génétique au centre du dixième et meilleur film de la Marvel, dans ses personnages de truands intergalactiques qui n'ont rien à faire ensemble, dans sa distribution saugrenue, dans son détournement constant et volontairement irrévérencieux des codes du blockbuster; un improbilisme matriciel qui, pour le dire simplement, crée du rêve et de l'inattendu à chacune de ses scènes, comme si James Gunn avait saisi que l'essence du divertissement populaire de haut calibre se résumait à l'émerveillement répété et inlassablement joyeux de son public.

Dans le paysage réaliste et politisé du film de super-héros, Guardians of the Galaxy fanfaronne avec Star-Lord, Gamora, Drax, Rocket le raton laveur et Groot l'arbre protecteur, une équipe de parias dont la rencontre, expéditive et efficace, s'intègre à un récit d'annihilation sans jamais perdre de vue leur humanité. C'est-à-dire que chacune des scènes qui les développent sont précieuses et nécessaires, n'oubliant jamais qu'il s'agit là d'un énorme défi que d'introduire une toile de personnages jusqu'ici inconnus (rappelons qu'Avengers, le dernier film en son genre, avait pris quatre années et cinq épisodes solo avant d'en arriver à ce résultat). À partir d'un MacGuffin spielbergien et une scène d'ouverture qui l'est tout autant (une orbe dissimulant une terrible gemme ancienne est cachée dans les ruines d'une civilisation disparue), un grand cataclysme spatio-politique se met en branle avec nos gardiens au centre du conflit, amenés à collaborer pour la retrouver et sauver la galaxie d'une destruction assurée.

Si toutes les scènes semblent d'emblée mémorables, c'est qu'elles reprennent un à un, du premier générique au dernier, les a priori du blockbuster d'été tel qu'il ont été stéréotypés et usinés dans les 30 dernières années. L'écriture nous les montre du doigt pour ensuite éviter leurs éceuils avec une rare allégresse, désamorçant la mièvrerie inhérente à la structure commerciale et le kitsch racoleur de son genre avec des idées originales, travaillées, qui ne manquent pas de critiquer la forme dominante. En faisant confiance à James Gunn (Super), le studio ouvre la porte à un véritable auteur du cinéma de genre (né qui plus est de l'usine Troma de Llyod Kaufman), un homme passionné de culture populaire comme peu de cinéastes peuvent s'en targuer. Son écriture référentielle est expéditive, efficace, mais surtout décomplexée et courageuse, lui qui n'hésite jamais à remettre en cause les sentiments de ses personnages et à montrer comment la confiance naît entre des individus faits pour se détester.

Par sa sincérité, le style de Gunn transcende la camaraderie des films d'équipe (de Ocean's Eleven aux autres films de super-héros) pour en révéler la profonde amitié, à force de rires francs, d'accolades, de pleurs, de gags et de boutades. À la manière des meilleurs titres cosmiques de l'éditeur Marvel, cette énergie spirituelle partagée par ces personnages s'illustre à la fois dans le découpage qui les réunit le plus fréquemment dans le même cadre, mais aussi par les pouvoirs magiques que le film illustre (la chute du vaisseau de Ronan l'accusateur ou encore la défaite de ce dernier sont des moments marqués par de belles et fortes idées). En transvasant l'émotion pure dans la symbolique à travers le filtre du récit, Gunn retrouve cette matérialité qui est le propre de la bande dessinée américaine de science-fiction des années 70, celle qui, entre autres, a été d'une influence primordiale sur l'univers de George Lucas. 

Pour renouveler la recette pompeuse et cynique du blockbuster des années 2000, Guardians of the Galaxy mise principalement sur de nombreuses scènes dialoguées, rapidement instituées comme le moteur du récit. Si les héros d'Avengers s'assemblaient à force de coups de poing, ceux de Guardians discutent, s'unissent et relèguent peu à peu l'antagonisation et les effets spéciaux à l'arrière-plan, et ce, même si Rocket (Bradley Cooper, débordant d'ironie) et Groot (Vin Diesel, canalisant la profondeur gutturale du Iron Giant) comptent déjà parmi les personnages en images de synthèse les plus attachants du cinéma commercial américain.

Quant à eux, Chris PrattZoe Saldana et Dave Bautista offrent des performances enjouées et font preuve d'une répartie tout à fait naturelle. Le ping-pong argumentatif entre les héros est imprévisible, d'autant plus que les espaces restreints de la science-fiction (leur vaisseau, la station spatiale carcérale, la station minière, etc.) rapprochent instinctivement les personnages et les forcent à une interaction soutenue. En reprenant à Lucas les meilleures idées de sa première trilogie, Gunn conjure l'ADN du genre et des beaux jours des blockbusters, ceux où ils étaient des remèdes à la maussaderie et au pessimisme, où ils représentaient des mondes d'évasion où la volonté de s'adresser au plus grand nombre possible n'était pas non plus un chemin vers un bâclage cinématographique.

C'est donc encore et toujours ça pour Marvel, l'étonnement, l'émerveillement, qui est à la base des meilleurs films de ce genre qui n'en finit plus de gagner du terrain. Guardians of the Galaxy, n'a ainsi rien du récit christique (Man of Steel), ignore les références aux djihadistes (Thor : The Dark World), à la géo-politique américaine (Iron Man 3), au Patriot Act (Captain America : Winter Soldier) et réduit ses préoccupations à celle de la fantastique aventure partagée entre cinq individus, ancrant au plancher des vaches cosmiques une histoire pleine de mondes à découvrir et de peuples à rencontrer. Le retour à la science-fiction est franc, non pas paresseusement influencé par la myriade de jeux vidéo du moment, non plus composé de concepts sur-complexifiés bons à alimenter des réflexions métaphysiques de comptoir. Guardians of the Galaxy est un film d'aventure, un divertissement populaire qui multiplie les références à Footloose et Kevin Bacon, à Maltese Falcon et Indiana Jones, à Star Wars et à l'univers étendu de Marvel, à la musique des années 80, téléportée dans ce récit d'une manière habile et qui, par son inclusion dans un univers qui n'a que faire des Terriens, apporte une dose considérable de « cool » et de « swag », faute de mots plus justes, tout en solidifiant une structure narrative réfléchie comme un musical.

Sans un temps mort, James Gunn utilise cette sélection musicale inscrite dans le récit et l'écriture des personnages. Les pièces servent non seulement de ligatures entre les séquences, mais explicitent aussi la démarche du cinéaste en agissant comme le coryphée de la « pièce ». Puisqu'en chacune des séquences se retrouve le quiproquo qui amorce la suivante, Gunn donne une folle impression d'accélération dont les rebondissements les plus exagérés sont naturellement assimilés à cette improbabilité souveraine dont nous faisions état, sorte de bête imprévisible constamment ramenée à l'ordre par la musique.

Qu'on se le tienne pour dit, Guardians of the Galaxy est aussi une grande fête du cinéma de genre, maniant les échelles de plan et les chorégraphies avec verve, les peaux extra-terrestres et les armes impossibles avec un plaisir enfantin et contagieux. James Gunn réussit ce que plusieurs croyaient impossible : voir un auteur de cinéma infiltrer un mégastudio hollywoodien, conserver son intégrité créative et l'originalité qui lui est propre tout en réalisant, et ce n'est pas peu dire, ce qui est sans aucun doute le meilleur space opera depuis 1983.
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Critique publiée le 1er août 2014.