ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Wolfman, The (2010)
Joe Johnston

Nostalgie amnésique

Par Alexandre Fontaine Rousseau
La Universal ne sait plus trop quoi faire de son mythique bestiaire de l'horreur, héritage de l'ère de la Grande Dépression au cours de laquelle le peuple américain en déroute se rassemblait le soir venu dans les salles obscures pour oublier le climat socio-économique trouble qu'il devait affronter au quotidien. Ces monstres, tout comme a pu le faire le King Kong de la RKO, offraient aux spectateurs un exutoire - matérialisant leurs craintes, ils étaient terrassés pour le plaisir d'un public avide de catharsis. La créature de Frankenstein, le comte Dracula, la momie Imhotep, Jack Griffin l'homme invisible, le loup-garou: leur fonction sociale était claire, et les films qui les mettaient en vedette suivaient une formule simple, mais efficace, qui semble aujourd'hui parfaitement naïve (seuls les films réalisés par James Whale échappent à ce constat), mais qui remplissait parfaitement son mandat à l'époque. La dernière fois qu'on a tenté de ressusciter cette belle famille, c'est sous forme de buffet post-moderne: le loup-garou, dans le parfaitement débile Van Helsing de Stephen Sommers, n'était qu'une légende parmi tant d'autres se débattant pour obtenir l'attention d'une mise en scène résolument contemporaine dans sa démesure virevoltante - et au bout du compte parfaitement épuisante. Ce Wolfman nouveau, qui s'inspire vaguement du scénario écrit par Curt Siodmak pour la version qu'avait réalisé George Waggner en 1941, choisit au contraire la voie d'une certaine pureté stylistique; cherchant à s'affirmer comme continuité de l'oeuvre originale, à se définir par son hypothétique fidélité à l'esprit du genre qu'il tente de respecter, le projet n'est pas en théorie inintéressant et aurait pu à la limite s'avérer divertissant. S'il avait pu tomber entre d'autres mains. Malheureusement, c'est aux bons soins de Joe Johnston que la Universal confia au bout du compte la garde de son lycanthrope; et Joe Johnston n'est pas un cinéaste.

Joe Johnston est un plombier, un technicien que l'on contacte en désespoir de cause quand la machine est déréglée. Et, le réalisateur Mark Romanek s'étant désisté à la dernière minute, le studio a fait appel à ses services pour sortir coûte que coûte un film qui devait initialement voir le jour en 2007. Personne ne s'étonnera par conséquent de découvrir une mise en scène parfaitement anonyme, bien plantée à l'exact point médian entre classicisme ronflant et banale actualité; un style se définissant dans la négative, que l'on tente grossièrement de mettre en marché sous les auspices du « retour aux sources » alors qu'il n'est au fond que la plus paresseuse des excroissances d'une industrie se recyclant pour palier à son manque de plus en plus probant d'imagination. Mais cette nostalgie prend la forme d'une amnésie, trahissant surtout une incapacité à renouer avec les qualités simples des productions que l'on tente ici d'actualiser. Comme si la vérité s'était perdue avec le passage consécutif des cycles de la Lune pour devenir légende à demi oubliée, Johnston et son équipe cherchent à assembler un film d'horreur classique à partir des quelques fragments du modèle original qui ont pu parvenir jusqu'à eux. Le résultat final semble toutefois inachevé, incapable d'assumer jusqu'au bout son pari formel - à mi-chemin entre le cinéma d'horreur gothique dans la tradition duquel il aspire à s'inscrire et le film de série B glorifié qu'il ne peut s'empêcher d'être. Conclusion d'autant plus frustrante que le film, tout en étant au bout du compte raté, n'est pas dépourvu d'aspects prometteurs : la photographie de Shelly Johnson établit d'emblée l'atmosphère voulue, les décors correspondent à autant d'archétypes que revisite normalement avec plaisir l'amateur du genre, la distribution (sur papier, du moins) a tout pour plaire.

Lorsque son frère est retrouvé en mille morceaux aux abords d'une route isolée, l'acteur shakespearien Lawrence Talbot (Benicio Del Toro, grand admirateur de l'original qui agit aussi à titre de producteur de cette nouvelle version) doit retourner au sinistre manoir familial où l'attendent père en deuil (Anthony Hopkins, dans le rôle d'Anthony Hopkins) et veuve éplorée (Emily Blunt). Lors de l'inévitable visite à la taverne du coin, Lawrence découvre que les rumeurs les plus folles circulent quant à l'identité de l'assaillant : alors que certains villageois accusent un quelconque « fou en liberté » d'avoir commis le crime, d'autres défendent des thèses autrement plus ésotériques sur la nature du coupable. Les indices le mènent par un soir de pleine lune jusqu'à un camp gitan, où on l'avertit qu'une menace plane sur lui quelques instants à peine avant qu'une bête sauvage (dans le genre gros loup vaguement humain, pour ceux qui auraient de la difficulté à suivre) ne le morde après avoir tué à peu près la moitié de la population locale. Dans les jours subséquents, Lawrence découvre qu'il se remet extrêmement vite de ses blessures; il est aussi hanté par d'étranges souvenirs de sa mère, morte plusieurs années auparavant, et par un inspecteur de Scotland Yard (Hugo Weaving) qui de toute évidence trouve suspecte sa guérison miraculeuse. À la pleine lune suivante, Talbot se transforme en loup-garou, charcute l'autre moitié de la population locale, et se réveille le lendemain couvert de sang dans un champ. On l'expédie dans un asile psychiatrique à Londres, où il ira se faire les griffes sur d'autres victimes innocentes - phénomène auquel s'attarde beaucoup trop la mise en scène de Joe Johnston alors que l'essence du genre se situe ailleurs.

Au fond, The Wolfman n'est pas un mauvais film ; c'est un film horriblement adéquat, scientifiquement moyen, auquel il manque scène après scène cet intangible quelque chose qui en ferait autre chose qu'un enchaînement cohérent d'images en mouvement. Ici, le cinéma atteint son point zéro - entre hier et aujourd'hui, entre spectacle et narration - générant le minimum possible d'enthousiasme sans vraiment déranger non plus. On pourrait, certes, reprocher au film ses effets spéciaux laborieux ou encore les nombreuses failles ébranlant la logique précaire de son scénario. Mais le vrai problème se situe ailleurs, sur le territoire autrement plus abstrait de « l'âme » qui ne semble tout simplement pas habiter cette production automatisée - où les acteurs ne font qu'acte de présence face à une caméra qui filme pour filmer. Le principal défaut de ce Wolfman est d'être un film de son époque, de se vouloir autrement sans vraiment savoir comment y arriver. Le film de Johnston, à demi conscient des lacunes du blockbuster contemporain victime de sa propre vitesse, tente tant bien que mal d'offrir une alternative plus raisonnable aux orgies numériques qui peuplent les multiplex de ce monde. Or, ce séduisant petit penchant réactionnaire ne mène à aucun résultat concluant : et toujours The Wolfman n'évoque que le souvenir de films bien plus réussis qui l'ont précédé, traduisant une incapacité à revenir en arrière pour échapper aux conventions qui régissent la production d'un long-métrage commercial en 2010. La plus grande qualité que l'on puisse concéder à ce cas particulier, c'est qu'il voudrait être un bien meilleur film qu'il ne l'est en réalité.

Ni d'hier, ni d'aujourd'hui, ce Wolfman est voué aux limbes par la nature même de ses ambitions. Trop actuel pour les puristes, parfaitement suranné selon les standards de son époque, le film se trahit lui-même par la surenchère d'effets qu'il utilise pour voiler ses lacunes : un montage impressionniste par ci par là pour lier les segments disloqués de l'intrigue, un choc gratuit de temps à autre pour palier à l'absence d'une réelle ambiance. Autant de béquilles employées dans l'espoir que le film puisse tenir la route jusqu'au bout, ce qu'il fait de peine et de misère jusqu'à une conclusion cherchant tant bien que mal à renouer avec la dimension émouvante du personnage qu'incarnait ce bon bougre par excellence Lon Chaney Jr. en 1941. Car les classiques d'horreur de la Universal étaient principalement des tragédies, où les protagonistes à mi-chemin entre l'homme et la bête étaient condamnées à périr pour le bien de la société. Les scénaristes Andrew Kevin Walker et David Self l'ont bien compris, mais leur recherche de complexité (comme si celle-ci rimait nécessairement avec richesse) désamorce l'élégante simplicité de fable de l'histoire originale. À force de prendre trop de détours pour nourrir en péripéties ce qui n'est jamais plus qu'un bête film d'action, ils perdent de vue l'essentiel qui remonte à la surface fort maladroitement comme s'il s'agissait d'une arrière-pensée. Tout ça pour donner à Joe Johnston de nouvelles excuses afin de nous en mettre plein la vue, alors que nous en espérions moins et qu'il n'a de toute façon pas les moyens de le faire. Victime du maximalisme hollywoodien, The Wolfman est pris entre deux mondes comme le personnage qu'incarne un Benicio Del Toro taillé sur mesure pour le rôle, mais étrangement détaché - et par conséquent n'appartient à aucun des deux.
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Critique publiée le 16 février 2010.