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King's Speech, The (2010)
Tom Hooper

Un peu de discipline, s’il vous plaît

Par Mathieu Li-Goyette
La classe britannique. Elle a quelque chose d’indémodable, de droit, d’ouvertement sévère, mais de fondamentalement généreux. Elle est une façon d’exprimer un certain style, un air ambiant typiquement « Union Jack » où les petites révérences obligent les « sir », les « your majesty » et autres formules moyenâgeuses. Depuis quelques années, il semblerait que cette classe britannique se soit emparée du meilleur de son cinéma. Glorieusement classique, il résiste à l’analyse, car il est aussi simple que le premier venu des films hollywoodiens tout en possédant cette classe dont on ne pourrait trop avoir en ces temps où la barbarie violente du cinéma commercial s’est emparée des diverses possibilités du divertissement.

En effet, ce ne serait trop dire que d’affirmer que le plus récent oscarisé, The King’s Speech, n’est autre qu’un film bien fait, chargé d’interprétations hors du commun et d’un sens du dialogue comme il s’en fait peu. Alliant le comique et la tragédie familiale, le scénario de David Seidler alambique intelligemment le destin d’un empire à celui d’un seul homme et de sa voix bégayante. Cet homme, George VI (Colin Firth), succède à un trône prêt à basculer à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Alors que son grand frère abdique après moins d’un an pour marier une femme deux fois divorcée, le monarque doit trouver une façon de corriger ses problèmes d’élocution; quelque temps auparavant, sa femme (Helena Bonham Carter) lui avait déniché un orthophoniste peu orthodoxe, Lionel Logue (Geoffrey Rush), pur et fier Australien et acteur manqué.

Mais arrêtons-nous là pour le résumé, car The King’s Speech est trop classique pour que l’on s’étende plus sur son récit. Le roi surmontera son problème, bouclera son fameux discours d’entrée en guerre contre l’Allemagne pendant qu’une belle amitié se créera entre lui et l’homme du peuple, ce Logue qui n’a pas froid aux yeux pour appeler le roi simplement « Bertie ». Cela dit, entre la camaraderie australienne et la retenue britannique, Tom Hooper déniche un filon qu’est celui du discours sur le bon goût anglais. Contraint à une étiquette royale, l’entourage du roi se plie à des attentes que Logue vient justement déjouer - les attentes auront été toute sa vie durant les causes du malaise oral de George VI. Son bon ami est donc imprévisible, il le malmène à travers des expériences, certes, indignes d’un roi, mais certainement efficaces. Il est ce « bon vivant » venu humaniser une couronne d’or et de velours, mais vide de sens et de chaleur. Car en devenant ami d’un homme du peuple, le régent se rapproche d’une nation en détresse et d’un quotidien ayant besoin de se rallier derrière une image forte.

Puisque The King’s Speech est un film sobre, il le serait aussi par une interprétation calculée ne dépassant jamais les bornes, mais les titillant merveilleusement. Rush et Firth, tous deux brillants, parviennent à faire du comique de grimaces sans jamais avoir l’air de singer, font les clowns dans les souliers de grands personnages historiques alors que non seulement le scénario le permet, mais aussi parce que l’on s’attendrait à un traitement tout autre pour un sujet de cette « qualité ». S’amusant avec la couronne et non d’elle, l’esprit de The King’s Speech, respectueux d’un bout à l’autre et refusant autant le coup d’éclat que la provocation facile, n’a pas été filmé pour faire du bruit, mais bien pour transformer le bruit ambiant en musique. Sérieux, mais drolatique, Hooper parvient à maintenir un équilibre enviable, un bon goût ne laissant rien de fade à un drame historique au sujet relativement banal.

Car non seulement l’équilibre, si précis, est atteint par l’apport d’une trame sonore parcimonieuse et classique, le sens narratif du jeune cinéaste se fait sentir, refuse plus d’une fois le découpage classique en échange d’une frontalité à deux sens, celle du portrait où les personnages se font face et celui du profil, et celle de la face pressée contre le shilling. Hooper isole ces visages, leur laisse de l’espace pour respirer, fait glisser lentement sa caméra pour rétrécir le cadre comme il peut superposer, par un coup de montage qui n’est pas tant génial par la coupe que par les couleurs de chacun des plans, Lionel et Bertie, Logue et Georges VI. Ces couleurs, chaudes et jaunes pour le palais, chaudes et vertes pour le cabinet de Logue, puis froides pour les extérieurs, rapprochent un homme de l’autre en procédant par l’exclusion des autres lieux. Moins nanti, le foyer de l’orthophoniste apparaît autant comme la maison du roi que Buckingham - le lien de confiance devant s’établir entre les deux protagonistes s’étend au style visuel du film demeuré épuré en surface, mais pourtant profondément marqué par la même vision des choses, le même caractère, la même teinte. Si l’un est jaune et l’autre est vert, ce n’est que parce que l’un est Anglais, l’autre Australien, l’un de sang bleu, l’autre de sang rouge et ainsi de suite.

On criera, certes, longtemps au scandale, car qui de Black Swan, The Social Network et The King’s Speech aurait mérité le plus amplement le prix tant convoité? Disons que le film de Hooper, sans être renversant, avait assez de maîtrise à lui seul pour éclipser ses concurrents, car rares auront été les films sans fautes, les oeuvres d’une telle justesse et d’un ton qui, aussi singulier qu’il semble être aujourd’hui, imposent le respect d’un sujet comme l’efficacité de sa dramatisation. L’académisme du cinéaste, déjà décrié par certains, serait non seulement sous-estimé - qui a dit que l’académisme était une mauvaise chose? -, mais surtout écarté en vertu d’une sempiternelle quête de l’originalité dont Hooper ne semble pas se soucier pour le moins du monde. Jamais n’a-t-on pensé ici intégrer une séquence bizarroïde à l’aviron supportée par « Dans l’antre du roi de la montagne » simplement pour se prouver (et à nous du même coup) que le projet était encore habité d’une certaine personnalité - The Social Network, bien sûr, demeure néanmoins une oeuvre remarquable. Cela paraîtra rigide, mais il me semble qu’un peu de discipline n’a jamais fait de mal à personne.
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Critique publiée le 3 mars 2011.