WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

In Time (2011)
Andrew Niccol

Perdre son temps

Par Jean-François Vandeuren
Si Andrew Niccol avait été plus souvent en mesure d’intégrer ses idées à un scénario et une mise en scène totalement fonctionnels, son nom figurerait assurément aujourd’hui parmi les cinéastes les plus étroitement surveillés du grand Hollywood. Le Néozélandais aura pourtant connu un départ canon à la fin des années 90 alors qu’il se sera permis de signer sa propre variante du Brave New World d’Aldous Huxley avec le remarquable Gattaca de 1997 en plus d’avoir fourni à Peter Weir le scénario du tout aussi impressionnant The Truman Show l’année suivante. Les choses se seront toutefois gâtées par la suite alors que le réalisateur aura semblé incapable de rendre justice à l’écran à des concepts qui semblaient pourtant fort prometteurs sur papier. On pense évidemment au complètement raté S1m0ne de 2002. L’histoire allait-elle se répéter avec le présent In Time, première réalisation de Niccol en près de six ans? L’exercice s’appuie une fois de plus sur des bases on ne peut plus intrigantes avec lesquelles Niccol parvient d’ailleurs à piquer rapidement la curiosité du spectateur. Ce dernier nous entraînera de nouveau au coeur d’un avenir pas si lointain pour traiter d’une énième forme de déshumanisation de la race humaine comme de l’iniquité de plus en plus prononcée s’étant formée entre différents groupes sociaux. Le tout à l’intérieur d’une démarche artistique cherchant visiblement à donner dans un style de cinéma beaucoup plus grand public que par le passé. Il ne restait plus qu’à voir si l’initiative saurait tenir la route jusqu’à la ligne d’arrivée, ou si Niccol ne trouverait pas plutôt une nouvelle façon d’envoyer son coûteux bolide dans le décor…

Le futur mis en scène dans In Time présente ainsi une nouvelle forme de hiérarchie divisant la race humaine qui n’est pas sans rappeler celle qui était évoquée dans Gattaca. Mais plutôt que d’être liée à une course à la perfection génétique, une telle classification découle ici d’un désir de vivre une jeunesse éternelle, voire d’aspirer à l’immortalité. Dans le quatrième long métrage d’Andrew Niccol, l’homme est génétiquement programmé pour que son vieillissement cesse à l’âge de vingt-cinq ans. À partir de cet instant, un chronomètre implanté dans le bras de l’individu se met en marche, lui donnant une espérance de vie d’un an. Celui-ci doit dès lors travailler pour gagner sa vie, littéralement, alors que les salaires comme les dépenses quotidiennes ne se paient plus en argent, mais plutôt en minutes, en heures, en mois, etc. Un jour, Will Salas (Justin Timberlake) héritera malgré lui des cent ans d’un homme qui lui révélera par la même occasion la vérité sur la division entre les ghettos et les quartiers huppés, sur la façon dont l’existence des mieux nantis dépend directement de la mort des plus pauvres. Les hausses constantes du coût de la vie ont ainsi pour but d’éviter la surpopulation de la planète. Après que sa mère ait dû payer les frais de ce système injuste, Will s’aventurera avec sa nouvelle fortune dans la zone temporelle la plus riche de Los Angeles avec la ferme intention de se faire justice. Il sera alors pris en chasse par le « timekeeper » Raymond Leon (Cillian Murphy), forçant notre héros à prendre pour police d’assurance la jeune Sylvia Weis (Amanda Seyfried), la fille du puissant banquier Philippe Weis (Vincent Kartheiser).

Évidemment, notre demoiselle en détresse de service s’amourachera de son kidnappeur lorsqu’elle prendra finalement conscience de tout le tort que les membres de la classe sociale dont elle est issue auront causé dans les zones les plus nécessiteuses afin de protéger leur mode de vie. Celle-ci tentera dès lors de rétablir les choses en s’engageant aux côtés de Will dans une quête d’équité sans précédent qui prendra vite des airs de récit de Robin des Bois mijoté à la sauce Bonnie and Clyde. Mais bien que Niccol parvienne à établir les fondements comme les problématiques de son univers en un temps record - voir le personnage de Justin Timberlake saluer sa mère (interprétée par Olivia Wilde) demeure un moment aussi cocasse que révélateur -, il sera plutôt désolant de le voir édifier par la suite une intrigue aussi mécanique dans son traitement que dans sa progression. D’autant plus que Niccol avait déjà le mérite d’exploiter cette logique scénaristique pour le moins particulière avec une étonnante dextérité. Une démonstration de paresse créatrice des plus déconcertantes, surtout lorsque nous considérons toutes les avenues vers lesquelles le réalisateur aurait pu diriger son scénario, lui qui préférera au final la facilité, mais pas forcément le plaisir, de la formule pas toujours très concluante de la série B à l’Hollywoodienne. Le développement de l’histoire dans son ensemble, tout comme celui des personnages unidimensionnels au possible la peuplant, et l’introduction de nouvelles pistes narratives manqueront d’ailleurs tout aussi cruellement de verve et de finesse - on pense, entre autres, à l’histoire du défunt père de notre héros, dont la première évocation par le personnage de Raymond Leon nous fera automatiquement lever les yeux vers le ciel.

Comme nous le disions précédemment, il est plus qu’évident qu’Andrew Niccol était bien déterminé à percer le marché du cinéma commercial américain une bonne fois pour toutes. Le tout en revisitant néanmoins quelques caractéristiques propres au style qu’il aura façonné au cours des quelques quinze dernières années, les allures rétro-futuristes de Gattaca venant en tête de liste, et qu’il conjugue ici à un univers filmique dont les traits beaucoup plus sales évoquent également le film d’anticipation. Une volonté qui est particulièrement perceptible au niveau du rythme que tente d’adopter le réalisateur avec plus ou moins de succès, lui qui finira trop souvent par s’enliser dans une rigidité ne seyant guère cette fois-ci à sa mise en scène, et qui nous fera apprécier chaque moment où ce dernier saura faire preuve d’un peu plus de relâchement. Le Néozélandais aura tout de même pu compter sur une distribution suffisamment compétente dans l’ensemble pour l’épauler, parmi laquelle Justin Timberlake se sort assez bien d’affaires tandis que les Cillian Murphy, Vincent Kartheiser, Amanda Seyfried et même Alex Pettyfer complètent le portrait d’une manière qui, même si loin d’être éblouissante, s’avère amplement fonctionnelle. Le cinéaste ira évidemment des parallèles d’usage avec l’actuelle crise économique - tel le partage inégal des richesses en général - d'une manière qui est loin d’être insipide, soulignant en bout de ligne les conséquences que pourraient engendrer un tel déséquilibre pour la partie ayant le plus à perdre. Mais Niccol ne s’en tient encore là trop souvent qu’à de simples généralités. Le triste constat d’un artiste qui avait pourtant une mine d’or entre les mains, mais qui n’aura su en tirer qu’une minuscule pépite n’ayant finalement que très peu de valeur.
5
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 31 janvier 2012.