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Soul Surfer (2011)
Sean McNamara

Concentré de mauvaise foi

Par Laurence H. Collin
Quelle histoire incroyable que celle de Bethany Hamilton. Que l’on en ait déjà entendu parler ou non, son caractère édifiant possède toujours ce petit quelque chose pouvant même venir toucher les cyniques de profession. Cela tombe bien, car à la vue de cette fiction inspirée de la vie de ladite surfeuse miraculée, plusieurs se sentiront fort probablement comme le dernier des sans-coeurs pour renfrogner alors qu’on leur raconte en images comment une jeune fille de treize ans perdit son bras gauche des suites d’une attaque de requin. Il est difficile de concevoir un film grand écran qui donne plutôt envie de se terrer devant un docudrame style « faits vécus » sur Canal D, mais il faut croire que la nature exceptionnelle du destin d’Hamilton est à peu près tout ce qui se trouve entre Soul Surfer et les bas-fonds de l’insupportable médiocrité.

C’est donc à Sean McNamara que l’on a confié la tâche de donner un élan cinématographique aux évènements qui ont changé l’existence de la jeune prodige hawaïenne. Si la mention du nom de ce dernier ne vous a pas encore foudroyé de terreur, c’est peut-être parce que vous ignoriez que celui-ci est responsable de petits joyaux tels que Raise Your Voice, Bratz ou 3 Ninjas : High Noon at Mega Mountain, sans compter un assortiment de séries télévisées pour enfants dont l’énumération s’apparenterait au supplice. En somme, ses nombreuses années de spécialisation dans le pablum devraient laisser présager le type de traitements que Soul Surfer recevrait pour son baptême en salles. Mais puisque la foi a joué un rôle crucial dans la remontée de Bethany Hamilton, elle qui en est venue à gagner plusieurs compétitions de surf après son accident, le produit filmique tiré de son autobiographie publiée en 2004 se devait de conserver ses connotations ouvertement religieuses. Le circuit de films chrétiens populaires aux États-Unis permet donc occasionnellement qu’une production plus « haut de gamme » comme Soul Surfer vienne flotter sur plus de 2000 écrans le jour de sa sortie. Bref, à chacun son cinéma, n’est-ce pas?

Il est donc plutôt odieux de constater que tout ce que McNamara cherche à faire ressortir de la perte, du traumatisme et de la réhabilitation de Hamilton soit des sentiments de commande ou de la philosophie bon marché. Et pour le réalisateur et coproducteur, rien ne se fait à moitié. Si l’on peut pardonner la séquence de sauvetage de six minutes qui suit l’évènement tragique en question, celle-ci assez bien troussée en général, les choix de mise en scène pour lesquels McNamara opte constamment passent de maladroitement sentimentaux à bassement manipulateurs. Quand on informe Papa Hamilton (un Dennis Quaid visiblement peu inspiré) des évènements, il est lui-même bien évidemment déjà sur la table d’opération pour une chirurgie mineure. Et quand on lui apprend que le requin coupable a été tué, à quoi bon résumer l’action à un simple coup de téléphone quand on peut orchestrer une scène de nuit brumeuse, gros spots lumineux inquiétants et tutti quanti, alors que la moitié de la communauté semble s’être réunie autour de la carcasse animale?

Les propensions manichéennes se propagent jusque dans les détails. La méchante rivale de notre héroïne semble être la seule personne qui n’est pas caucasienne dans la distribution. On a même cru bon la revêtir d’un maillot noir pour aller de pair avec ses cheveux foncés, eux contrastant déjà avec le blond angélique de Bethany (AnnaSophia Robb, qui ne trouve pas ici son meilleur rôle) et ses comparses. Et que dire de ce détour scénaristique où cette dernière se voit offrir une prothèse de bras en échange d’une simple entrevue télévisée, où le rôle de celui étant responsable de lui fixer le membre de synthèse a été confié au comédien aux allures les plus louches imaginables? L’acharnement de Soul Surfer à exterminer toute forme de nuance dans la présentation des personnages, ceux d’arrière-plan y compris, menace presque de faire chavirer l’ensemble de la platitude vers le carrément offensant. Mais d’aller à fond avec cette affirmation serait cependant d’accréditer à l’entreprise et à son directeur une certaine vigueur qu’ils ne possèdent tout simplement pas. L’énergie sur laquelle glisse Soul Surfer a beau être artificiellement altruiste, elle reste d’abord et avant tout lasse à l’extrême. Mieux vaut d’ailleurs s’abstenir d’entrer dans les concepts problématiques que nous présente cette visite humanitaire en Thaïlande dévastée par le tsunami de 2004 à laquelle Bethany décide de se joindre après son processus de guérison. En tout état de cause, le film lui-même semble déjà bien plus intéressé à faire revenir sa protagoniste sur sa plage de sable blanc et de multiplier les plans de réaction du chien familial.

C’est d’ailleurs lorsqu’il côtoie les vagues, et Dieu soit loué, que Soul Surfer vient chercher le peu de traction contenue dans ses lentes 106 minutes. La technique de McNamara, à défaut d’être enlevante ou pourvue d’inventivité, possède à tout le moins la clarté nécessaire pour rendre les pratiques et compétitions de surf juste assez distrayantes. C’est presque à en croire que ces élans de courte durée rendent les conflits à la guimauve subséquents encore plus dénués d’intérêt qu’ils le sont déjà. Mais comme une analyse comparative des moments emmerdants dans Soul Surfer ne me paraît pas réellement indispensable, portons en conclusion notre attention sur un seul spot objectivement positif sur le radar : Kevin Sorbo. En père de la meilleure amie de Bethany, lui dont l’intrépidité en viendra ultimement à sauver la vie de la jeune sportive, le mythique vétéran de la série B d’action dégage un charisme naturel et une sincérité que tous les acteurs l’entourant ne semblent être capables que de simuler. C’est lorsque le générique se pointa le bout du nez, peu après que la narration de clôture nous ait partagé sa sagesse infinie (« In the end, I realized life is a lot like surfing… »), que je ne pus m’empêcher de réfléchir; puis-je concevoir un tout autre film dans lequel la performance de Kevin Sorbo pourrait agir comme référence en matière de jeu simple, physique et intégralement convaincant? Puis, j’ai tout simplement arrêté d’y réfléchir.
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Critique publiée le 7 avril 2011.