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Sucker Punch (2011)
Zack Snyder

Tout, mais n'importe quoi

Par Mathieu Li-Goyette
Si Sucker Punch avait été un jeu vidéo, il aurait probablement été l’un des plus divertissants des dernières années. Un jeu dans lequel l’on se plairait à enchaîner les combos à la God of War, où chaque décision aurait le poids d’un dialogue de Mass Effect, où chaque décapitation réinventerait le « finish him » de Mortal Kombat alors que l’on partirait à l’assaut d’une forteresse médiévale façon Call of Duty, le couteau de poche en moins et le katana en plus. En plus des traditionnelles armures hantées de samouraïs, des zombies nazis et des orcs servant un immense dragon ancestral, on aurait droit à un côté plus grivois, plus GTA, alors que notre base d’opérations serait un bordel haut en couleurs et en spectacles. Nous ne contrôlerions pas un héros viril, mais une équipe de jeunes filles en jupon (demande pathétique du gamer, mais demande quand même; le manga oblige) où, de la fillette à la trentenaire en passant par l’Asiatique et la Latine, tout le monde aurait une raison de saliver. Mais, pour revenir à nos moutons, Sucker Punch n’est pas un jeu vidéo. C’est plutôt un film. Et un très mauvais de surcroît.

Très mauvais, car Snyder n’a ici aucune attache à un quelconque matériau de base, aussi mince puisse-t-il être. Sans morts-vivants, sans spartiates et sans Rorschach, notre auteur passionnant (sans exagération aucune), vient de faire fausse route : le pape des « geeks » a trouvé son Waterloo, puisqu’où il aurait dû facilement l’emporter, il vient de signer son plus cuisant échec. Rêve dans un rêve, la structure de Sucker Punch se complaît dans une simplicité schématique. Une jeune fille est internée par son beau-père (assassin de sa petite soeur dans l’espoir d’hériter d’une fortune laissée par la mère décédée prématurément), puis, au seuil de la lobotomie (payée en pot-de-vin par le paternel), elle entre momentanément dans un monde imaginaire reprenant à la lettre les personnages et compatriotes de l’asile. Tel gardien devient maire, un autre devient proxénète, telle patiente devient une coéquipière de Baby Doll (on la surnomme ainsi) et ainsi de suite. À ce rêve, somme toute assez intéressant dans sa façon de se donner à nous comme une énigme enfantine des derniers instants de sa lucidité, s’ajoute un second complètement éclaté et activé par la force d’imagination de la jeune fille lorsqu’on l’oblige à danser.

Dans les faits, cette danse sensuelle (jamais filmée) interprétée par une fille de vingt ans renverrait à une première réalité (celle de l’hôpital et non du bordel) correspondant à son viol répété. Lors de la performance, elle entre en transe, pénètre un univers qui n’est pas celui de son inconscient, mais bien de son imaginaire : le jeu vidéo et la bande dessinée. Tandis qu’Alice était attirée par un lapin blanc et flânait en compagnie d’un matou volant, Baby Doll manie le katana à la poursuite d’un dirigeable nazi contenant des plans secrets et se fraie un chemin à travers une nuée de robots du futur. Le fantasme ludique du XXIe siècle étant celui du jeu vidéo, Snyder joue sur ces codes, les surligne à chacun de ces « sketchs » découpés comme s’ils étaient des « niveaux ». Un vieil homme donne aux filles une mission, un équipement, puis un petit conseil, touche d’humour et clin d’oeil venant confirmer au geek - pour les non-initiés, il est au jeu vidéo et au comic book ce que le nerd est à l’école - qu’il est bien là en terrain connu.

Mais l’erreur de Snyder, c’est probablement d’avoir pris sous son aile cet illustre inconnu, ce Steve Shibuya, probablement un bon geek, mais très certainement un mauvais scénariste. Les références s’enchaînent et les ressemblances se déchaînent à un point où un débalancement survient et qu’une évidence se pointe le bout du nez : Sucker Punch est un jeu dans lequel les chargements de parties seraient plus longs que les parties elles-mêmes.  Lorsqu’on y est cependant, c’est avec un plaisir fou que l’on constate que Snyder demeure une référence dans l’art de l’orchestration de scènes d’action et qu’il pourrait probablement filmer des éléphants roses danser sur du disco que l’on trouverait encore le moyen d’être épaté par la perfection technique sur  laquelle est bâti son cinéma (nous l’avions échappé belle lors de notre escapade avec les hiboux chevaliers de Legend of the Guardians). En d’autres mots, nous aurions voulu dire : « sois belle et tais-toi », unique désir immature et misogyne du spectateur souhaitant passer rapidement par-dessus des dialogues aussi sirupeux qu’agaçants. Et si ce dernier refuse de jouer à ce jeu, autant dire qu’il ne verra ici que du néant.

Il faut le dire, moins sévèrement : Sucker Punch a ses bons moments, fussent-ils rares et complètement anesthésiés par une esthétique complaisante au service d’un sujet fantoche. Elle est minée par l’idée déjà vue « à la Matrix », répétitive et incapable de soutenir un récit par son propre gimmick. Isolé dans le désert du médiocre, le style sert plutôt ici d’hommage, non pas à un récit en particulier (la carrière de Snyder s’y était toujours attachée, son prochain film étant après tout Superman: Man of Steel), mais bien à un pan de la culture populaire contemporaine peu à peu lobotomisée (comme Baby Doll) à coups de réalités parallèles et de virtualités trop réelles. Fidèle à lui-même, le style, chez Snyder, est discours.
 
Notre recycleur a donc raté sa cible et même si une bande sonore, joyeusement envahissante comme à l’habitude, est placardée de bout en bout, elle n’ouvre rien, ne se contente que de supporter bêtement une action et se révèle du domaine du vidéoclip plutôt que de celui du cinéma. Elle clôture un discours incomplet. Nombreuses sont pourtant les séquences de ce genre dans le cinéma de Snyder. Elles se conformaient à cette idée et étaient hautement conscientes de leur propre relation à l’image dans 300 et Watchmen. Elles permettaient au style si musical du cinéaste de prendre une direction qui se serait avérée impossible à rendre intelligible et intelligente autrement; quoiqu’en disent ses détracteurs, l’auteur de Sucker Punch est parfaitement conscient de son travail et en demeure actuellement le maître à Hollywood.

Suivant la même ligne directrice depuis son premier film, il adapte sans cesse en s’adaptant toujours aux goûts du jour et modèle à sa guise un monde d’icônes offertes en adoration à un public en redemandant toujours plus : nous voulions voir Sucker Punch tout autant que nous ne pouvions nous résoudre à prédire qu’il serait si mauvais. Parce qu’il serait léché, bien fait, caricaturé comme une bande dessinée, ludique comme un jeu vidéo, il était impossible de prévoir la déception tout comme il est maintenant impossible de la condamner : Sucker Punch contient tout ce qu’il promettait. Amers et atteints de la rage au coeur suite à cet épilogue rose bonbon, disons que, dans tout ce fatras, il n’y avait tout simplement pas assez de cinéma et qu’il faudrait prendre conscience dès maintenant des limites de l’apport esthétique et narratif du jeu vidéo.
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Critique publiée le 24 mars 2011.