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Partir un jour (2025)
Amélie Bonnin

Pour le plaisir (non coupable)

Par Louise Bertin

À quelques semaines de l’ouverture de son restaurant gastronomique parisien, Cécile (Juliette Armanet), gagnante d’une émission de téléréalité culinaire, se voit contrainte de rentrer au bercail pour aider son père, victime d’un infarctus. L’âge adulte prend alors la forme d’une croisée des chemins pour cette transfuge de classe, tiraillée entre l’attachement à ses parents vieillissants, son ambition professionnelle, et un dilemme amoureux. Pour son premier long métrage, Amélie Bonnin signe ainsi le récit, à moitié réussi, d’un retour au pays — celui de l’enfance et de la jeunesse, incarné dans une géographie indistincte. Nul besoin de nommer le village d’origine ou la route qui longe le restaurant paternel : l’espace des souvenirs et de la nostalgie est avant tout celui de l’exploration de tensions que l’on voudrait universelles.

Pour tenter de figurer et de colmater ces fractures multiples (sociales, géographiques, culturelles, et même culinaires), la cinéaste s’appuie sur la musique. Elle s’inscrit dans une tendance récente du cinéma français, qui semble prendre un plaisir particulier à réinventer la comédie musicale, avec plus ou moins de réussite. Problématique chez Audiard, auteur chez Honoré, ambitieux chez Carax : le genre en a vu de toutes les couleurs. Ici, pas de musique originale, mais une playlist nostalgique de tubes intergénérationnels, où Stromae et Céline Dion croisent les 2Be3, K-Maro et Michel Delpech. L’interprétation, pas toujours très juste, par les comédien·ne·s, devient moins un moment de bravoure musicale qu’une manière de prolonger leurs états d’âme, et ainsi de souligner les enjeux propres aux transfuges de classe : que faire des fameux plaisirs dits coupables ? Présenté en soirée d’ouverture du dernier Festival de Cannes, il est assez jouissif d’imaginer la réhabilitation de « Femme Like You » devant un parterre qui a fait ses preuves en matière de mépris de classe et de violence sociale. En plaçant au centre de son récit l’univers de la cuisine, le film travaille sans cesse cette question du bon et du mauvais goût. Si la métaphore ne manque pas d’intérêt, elle apparaît, à l’image du film, d’une subtilité inégale.

Partir un jour n’en est pas moins traversé par quelques scènes franchement réussies, qui atteignent l’objectif d’une mise en scène qui cherche en même temps à nous faire danser et à nous émouvoir. Au détour d’un scénario bien huilé dont les ficelles sont parfois trop visibles, il suffit d’un plan pour que le charme opère et qu’on se surprenne à sourire. Cette mécanique trouve son apogée dans la scène de la patinoire. En pleine nuit, Raphaël, l’amoureux de jeunesse incarné par le convaincant Bastien Bouillon, emmène Cécile sur le lieu de leur dernier rendez-vous, pensant raviver un bon souvenir. Grâce à un changement de lumières dans le décor qui accompagne sa réponse, Cécile leur fait revivre la scène en la commentant. Les ami·e·s de l’époque sont présent·e·s, tout comme le passé recréé à travers la mémoire et les outils du cinéma. C’est à cet endroit que le film se révèle le plus ludique et le plus abouti, en jouant explicitement avec les codes de la comédie musicale pour explorer l’espace du souvenir et du regret. Lorsque Raphaël annonce le lancement de la musique pour revivre un moment précis, la joie partagée par les personnages devient immédiatement communicative. Là où le film ne faisait qu’effleurer les possibilités de sa mise en scène, il les embrasse alors pleinement, conjurant le sort des amours non vécus. Partir un jour aurait gagné à prolonger cet élan, mais se heurte aux limites d’une écriture finalement trop morcelée. La réalisatrice tombe dans un écueil pour lequel la métaphore culinaire semble toute trouvée : à l’image de Cécile qui cherche inlassablement la recette idéale pour l’ouverture de son restaurant, les ingrédients du cinéma d’Amélie Bonnin sont réunis, mais le liant ne prend pas tout à fait. Si l’amoureuse de variété française en moi était plus que prête à ne pas bouder son plaisir (revendiqué, toujours en la matière, comme non coupable), l’envie d’avoir envie n’a pas suffi.

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Critique publiée le 18 juin 2025.