Peut-être qu’il fallait un publiciste comme Jake Schreier, le réalisateur de Thunderbolts*, pour faire un film de Marvel qui porte sur une franchise et des personnages atteints d’un sentiment de vacuité. Restaurer, redonner du souffle à une image familière mais dépassée, peut-être en soi un rêve de marketing qui sourit au MCU, pris au bord de l’indifférence générale.
Il n’y a pas si longtemps, qu’on aime ou qu’on déteste, le monopole culturel qu’occupaient les films du « multivers » obligeait qu’on se fasse régulièrement une opinion d’eux. Or dans nos pages, exception faite des lubies de Simon Laperrière sur Venom ([2018] sans oublier Venom 2 [2021] et Venom 3 [2024]), il n’y a plus grand désir à couvrir ces films depuis au moins Avengers: Endgame (2019), la pandémie ayant participé au passage à éloigner encore davantage le souvenir de leurs bonnes années. Comme si, par un ironique hasard, toute la franchise rejouait depuis le drame de la disparition subite qu’elle a mis en scène quand la moitié de sa population s’est évaporée le temps d’un film.
Les soudains changements de paradigme, ceux de la COVID, de Thanos, de Jonathan Majors le harceleur renvoyé, ces franchises qui disparaissent, ces carrières qui s’éteignent avec elles, ces ombres qui paraissaient grandes et qui finalement s’amenuisent dans le souvenir hantent Thunderbolts*, un blockbuster traumatisé par les souvenirs de gloire.
Le film s’ouvre sur Florence Pugh, en Black Widow héritière de Scarlett Johansson, perchée en haut d’un gratte-ciel et qui confie la sensation de vide qui l’accable. La désinvolture que parvient toujours à jouer à merveille cette actrice est diamétralement opposée à la séquence, piquée à Tom Cruise. Il s’agit bien d’un saut dans le vide, d’une cascade qu’accomplit elle-même Pugh, alors que Marvel n’a jamais eu l’habitude de faire grand état de ces gestes spectaculaires et faussement dangereux que la vedette de Mission: Impossible cumule comme principale raison d’être depuis une dizaine d’années. Plus tard, c’est Sebastian Stan, en Winter Solder devenu congressman post-Apprentice (2024), qui roule à toute allure sur l’autoroute à dos de moto, équipé d’un fusil à pompe qui ne pourra que raviver les meilleurs souvenirs de Terminator. Voilà donc les signes du renouveau ? Prioriser les cascades au lieu du CGI ? Étendre le bassin des références au T-800 ?
Que nenni, car aucune spectacularisation n’est à l’œuvre dans cette scène d’ouverture. La forme est rejouée banalement, sans enjeux. La narration de Pugh empêche le suspense de s’installer, la bataille dans un corridor (embellie d’un joli jeu de clair-obscur il faut le dire) ne laisse aucun doute planer sur l’efficacité de cette héroïne. De la même manière, la poursuite sur l’autoroute éclipse toute forme d’antagonisme car la mise en scène refuse de personnifier les ennemis qui pourchassent les héros, se concentrant plutôt sur le retour de la figure du Winter Soldier dans le récit (au moment où l’on attend de plus en plus son arrivée) ainsi que sur la reprise de la figure du cyborg d’Arnold.
La chose la plus étonnante de Thunderbolts* est de voir ces hommages qui n’en sont pas vraiment s’accumuler dans un film finalement plus intelligent qu’il n’y paraît, avec ces personnages délaissés, désintéressés et qui n’ont pour la plupart à peu près aucune empreinte dans la conscience collective. Il faudrait commencer par se rappeler du rôle de David Harbour dans Black Widow (2021). Il faudrait ensuite une bien meilleure mémoire pour se rappeler que Ghost (Hannah John-Kamen) était l’antagoniste du second volet d’Ant-Man (2018). Il faudrait avoir perdu son temps (je l’ai fait) à regarder la minisérie The Falcon and The Winter Soldier (2021) sur Disney+ pour comprendre qui est cette version un peu sadique, un peu cheap, de Captain America jouée par Wyatt Russell, ou encore se rappeler que Julia Louis-Dreyfus, introduite dans la même série, a maintenant remplacé Samuel L. Jackson dans le rôle du rassembleur.
Thunderbolts* fonctionne précisément parce que ce bagage référentiel, plutôt que d’être obligé, voire paradé, et même au lieu d’être moqué comme c’est toujours le cas dans ces super productions lorsqu’elles deviennent cyniques, est surtout une source de tristesse, vécue par des protagonistes qui, n’ayant pas de public, croient ne plus avoir d’agentivité. En cela, le nouveau venu, Sentry (Lewis Pullman), est le personnage le plus humain qu’ait produit Marvel depuis belle lurette. Ancien toxicomane et dépressif sévère, c’est sa noirceur intérieure qui finit par s’abattre sur New York, recyclant le sempiternel trope de l’apocalypse urbaine causée par une menace venue du ciel en l’articulant autour d’une immense vague dépressive. Tout le monde a ses démons, martèle Thunderbolts*, tout le monde vit ces moments où tout semble vain, déconnecté, dérisoire et, sans être une réponse à toute la gravité de ces maux, l’amitié, la solidarité, la proximité, le rappel à soi par le rappel aux autres, s’avère la voie de sortie pointée par le récit.
C’est la signification et la portée que s’accorde au moins ce film qui ose vouloir dire quelque chose et le faire en se montrant fragile. Ainsi Thunderbolts* n’a pas grand-chose à vendre en surface. On compte peut-être trois ou quatre scènes d’action sur deux bien longues heures de métrage. On aboutit à une confrontation finale qui n’en est finalement pas une. On réalise que toute forme d’opposition affichée n’agit qu’à la manière d’un révélateur pour ces personnages brisés et qui s’avèrent finalement l’équipe idéale pour redonner du souffle à cette franchise morte-vivante.
:: Lewis Pullman [Marvel Studios]
:: Hannah John-Kamen, Olga Kurylenko, Wyatt Russell, Sebastian Stan, David Harbour et Florence Pugh [Marvel Studios]
Florence Pugh est une star mais sa carrière ne semble pas décoller tout à fait (et certainement pas au point de faire oublier Scarlett Johansson). Sebastian Stan est devenu célèbre grâce à Marvel mais ses derniers rôles impressionnants dans A Different Man (2024) et The Apprentice l’aliènent à son bras de métal devenu une commodité encombrante (il est rendu à le passer au lave-vaisselle). David Harbour joue le papa parce qu’il ne semble jamais pouvoir sortir de Stranger Things (2016-2025) en dépit de son ridicule accent soviétique. Wyatt Russell et Lewis Pullman sont des « fils de » (Kurt et Bill). Julia Louis-Dreyfus, directrice de la CIA se défendant d’un impeachment d’actualité, sera toujours la vice-présidente de VEEP (2012-2019) (et la Elaine de Seinfield [1989-1998]). Une fois assemblés, ces personnages hantés, qui ont aussi la chance d’être incarnés par des interprètes au talent réel, semblent suivis par ces ombres qui les guettent, comme si ielles avaient tout·e·s, à un moment ou à un autre, contemplé ce vide existentiel que le film réifie constamment. « You can’t outrun the emptiness », finit-on même par entendre.
On comprend alors que cet hommage introductif à Mission: Impossible n’est qu’un leurre pour donner du volume à ces hantises qui grouillent sous le film, qu’il y a même ici une profondeur qui, sans sauver de l’ennui certain, sans transcender sa forme commerciale, fait beaucoup d’efforts pour raconter une histoire qui soit loin des facilités progressistes ou complaisantes que Marvel a tentées dans les dernières années. Lorsque vient le temps d’exposer une théorie de comptoir sur l’importance de comprendre les tares du présent à la lumière des blessures du passé, on y cite même Kierkegaard !
Évidemment la référence est expéditive et creuse, et en se complaisant sur la même surface habituelle, Thunderbolts* n’échappe pas au syndrome récent des franchises cherchant à s’acheter une conscience (comme Barbie [2023]). Déjà l’été dernier, Deadpool & Wolverine (2024) mettait en scène Marvel comme un désert créatif, cherchant à repasser du bon côté de la blague.
Thunderbolts* est bel et bien un film fait par un publiciste qui organise la refonte d’une marque. La stratégie est même incarnée dans l’astérisque obligatoire du titre qui a des relents contractuels. On fait voir un univers pour ce qu’il est : amoché, carrelé de cicatrices, accablé par les fantômes d’une gloire passée que le présent ne parvient plus à invoquer. Les scènes (courtes mais fort réussies) de cauchemar dépressif ont lieu dans des décors en carton-pâte qui répondent bien à l’artificialité mise en jeu et qui pourrait s’assumer en ressemblant à du Ari Aster.
:: Sebastian Stan [Marvel Studios]
Ce théâtre de ruines un peu psychologiques, surtout nostalgiques, est certainement populaire depuis une dizaine d’années (les décombres désertiques de Force Awakens [2015] et Blade Runner 2049 [2017]), transposé ici moins pour raconter des histoires individuelles que pour raconter une importance de marque qui passe aussi par une réinscription de ses revendications face à l’histoire du cinéma. La scène de désert se déroule en Utah, à deux pas de Monument Valley, dans le berceau d’un autre genre qui s’est essoufflé jusqu’à la désuétude. D’une hégémonie à l’autre, cela ne dit pourtant rien sur ces personnages, de la même manière que le film ne nous apprend rien sur Kierkegaard si ce n’est qu’il est possible qu’il ait été lu par quelqu’un chez Marvel. Quant à la confrontation finale, elle se déroule sur la scène repeinte de la tour du premier Avengers (2012), un lieu où aucun de ces personnages n’a jamais mis les pieds. L’un d’eux dira même qu’elle n’était qu’une enfant lors des événements du film.
Le détachement général des enjeux des personnages et ceux de l’entité Marvel a tout d’une sorte d’incohérence opportuniste, d’un type de cinéma où le « lieu » de l’intelligence se trouve dans la gestion de la marque avant de se trouver dans la nature des histoires racontées. Ainsi on en apprend autant sur la résilience en observant Marvel la compagnie qu’en se laissant émouvoir par ses films, au point qu'on finit par suivre un studio comme une équipe sportive qu’on viendrait encourager. On le ferait malgré la machine à profit qu’elle incarne parce qu’à son meilleur elle livre une marchandise d’un certain type qu’elle seule peut livrer de cette manière. Dans les magasins, les cartes de sport n’ont d’ailleurs jamais été bien loin des comic books.
Un long détour pour dire que Thunderbolts* ne fonctionne que si l’on décide de croire sa publicité d'admonition, cette auto-critique qu’elle vend à tue-tête. Que le film n’est intéressant qu’à condition de vouloir apprécier un geste corporatiste pour ce qu’il peut essayer d’exprimer culturellement, surtout lorsqu’il survient à un point d’impopularité où même la complaisance n'est plus une option.
C’est l’expression agonisante de HAL 9000 quand elle devient apeurée, le moment de vulnérabilité qui ressemble à de la sincérité — ou du moins qui prétend en vendre pour assurer doublement sa survie. Peut-être que toute réflexivité est bonne à prendre, aussi, surtout si elle aide à croire. Et Thunderbolts* nous avertit que ces films vont arrêter d’être mauvais avec suffisamment d’assurance pour donner le goût d’y croire à nouveau.
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