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Battledream Chronicle (2015)
Alain Bidard

Concomitance entre réel et virtuel

Par Claire-Amélie Martinant
Petite prouesse martiniquaise reposant sur le postulat d’un monde semi-réel et semi-virtuel, Battledream Chronicle propose une lecture avant-gardiste du 22e siècle mettant en scène des peuples réduits à l’esclavage sous le joug de la souveraineté imposée par Mortemonde. La vie en constante suspension est assujettie à l’accumulation de points d’expérience gagnés au cours de joutes vidéoludiques en réseau : « ... Nos règles sont très claires. Tout esclave doit nous livrer 1000 xp chaque mois en échange de quoi vous recevrez le droit de vivre jusqu’au mois suivant. »
 
Farandjuun, qui fut jadis un monde exempt de guerres où l’enveloppe physique corporelle est seulement un réceptacle, voit son calme troublé par l’apparition d’Isfet, figure emblématique (tiré de la mythologie égyptienne) incarnant le chaos, l’injustice et la destruction, édictant la règle suivante : « Celui qui domine le jeu Battledream domine le monde ». Incarnant le pouvoir d’oppression et d’exploitation d’une nation par une autre, elle personnifie le colonialisme européen qui a marqué au fer rouge l’histoire de la Martinique, rebaptisée de facto après l’arrivée de Christophe Colomb. En effet, l’île des Antilles françaises fut dans un premier temps habitée par différents peuples amérindiens qui furent tous exterminés, puis subit la déportation massive d’esclaves africains bouleversant de nouveau son identité.
 
Mortemonde, aux gratte-ciel ornés d’un symbole formé d’une croix inversée, rappelant ironiquement la croix gammée nazie, s’impatronise les peuples conquis et instaure un esclavagisme de l’ère digital. À l’instar d’un certain village d’irréductibles Gaulois, qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, Sablereve reste le dernier rempart contre le monopole de Deceides — habitants de Mortemonde — et le seul espoir d’un monde meilleur, placé entre les mains de l’équipe de jeu des Sirènes de feu. « Ce soir on sera libre ou on sera morte. Mais ce soir, on ne sera plus esclave.»
 
Si les dialogues sommaires aux consonances robotisées manquent cruellement de profondeur, l’animation quant à elle jouit d’un style graphique qui sied à merveille aux personnages, parfois légèrement floutée, donnant corps au récit ou encore renforçant l’impression de vitesse et de vol. Au terme d’une chronique alambiquée mêlant références historiques, spirituelles, dénominations bilingues à rallonge et quelque peu ridicules des innombrables personnages, les événements se succèdent laissant entrevoir d’autres suites et aventures qui sauront plaire au public auquel il est destiné, les 7 à 13 ans.
 
Si toute cette complexité alourdit le propos de ce premier long métrage d’animation martiniquais, la réalité virtuelle y est bien présente et surprenante de perspicacité tant elle en envisage l’avenir quoique peu réjouissant d’une lutte acharnée pour le pouvoir numérique. Le corps au service de la cybernétique, réduit à la fonction d’hôte, est greffé d’implants cérébraux permettant l’accès à une plateforme virtuelle au travers de laquelle les cyborgs de Farandjuun vivent et se réalisent. L’âge physique n’a plus d’importance, les habitacles sont protégés par des Pare-feu et sans implants, il est impossible de survivre plus de 36 heures, n’étant plus protégé contre la pollution ambiante sur cette planète qui a depuis longtemps franchi le point de non-retour de son réchauffement (nous sommes en 2100). La propension à maîtriser les nouvelles technologies en devient l’ultime quête ; les souvenirs sous la forme de livres sont stockés pareils à des données qu’un être malintentionné peut aisément pirater et rendre inaccessible à son propre hôte.

La vision proposée par Alain Bidard fait état de notre fascination croissante et compulsive pour la réalité virtuelle tant les possibilités qu’elle offre sont sujettes aux déploiements infinis et envisage l’assouvissement du plus vieux rêve de l’humanité : la vie éternelle. Annonciateur de l’envolée immanente de la réalité virtuelle, Battledream Chronicle, résonne comme l’incarnation d’un mode de vie novateur, le témoin d’une existence entre réalités parallèles.
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Critique publiée le 5 septembre 2016.