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Dawn of the Planet of the Apes (2014)
Matt Reeves

Irréversible

Par Jean-François Vandeuren
Peu auraient pu prédire la réussite – aussi bien critique que commerciale – de Rise of the Planet of the Apes, opus qui aura su s’imposer parmi les franchises les mieux établies du moment pour devenir le succès surprise de l’été 2011. Le film de Rupert Wyatt s’aventurait certainement en terrains connus, récupérant sa part de concepts ayant été abondamment explorés dans le cinéma de genre au cours de la décennie précédente. Si ce récit des origines ne laissait guère sa marque pour l’originalité de sa prémisse, il compensait néanmoins largement de par la clairvoyance et le caractère avec lesquels il mettait peu à peu ses idées en place, de même que par l’humanité – quoique le terme est définitivement mal choisi dans ce cas-ci – qui émanait des moindres élans du réalisateur. Dans une telle optique, nous pouvions difficilement imaginer un candidat plus apte que Matt Reeves pour reprendre les rênes d’une série dont le développement nous apparaissait de nouveau pertinent. L’Américain aura d’ailleurs prouvé avec ses deux derniers longs métrages qu’il était à la fois capable d’aborder de manière sensée un projet ordinairement produit pour des raisons purement superficielles (Cloverfield) et d’ajouter son grain de sel tout en demeurant fidèle à l’essence d’une oeuvre étrangère immensément respectée (Let Me In).

Dawn of the Planet of the Apes révèle ses positions d’entrée de jeu, nous immisçant d’abord dans la réalité du primate Caesar et de son peuple. Dix ans ont passé depuis les incidents du dernier épisode. Tandis que le groupe de singes libéré de la main de l’homme aura poursuivi son évolution au coeur de la forêt californienne, l’humanité aura été décimée suite à la propagation d’un virus mortel partout sur la planète. Les deux espèces tomberont de nouveau nez à nez lorsque quelques survivants se rendront dans les bois afin de vérifier l’état d’un barrage hydroélectrique susceptible d’alimenter en énergie une colonie dont les réserves de pétrole sont sur le point d’être à sec. Les relations entre les deux partis seront évidemment on ne peut plus tendues. D’un côté, Malcolm (Jason Clarke) croira pouvoir conclure une entente avec Caesar, ne bénéficiant toutefois que de quelques jours pour arriver à ses fins. De l’autre, tandis que Caesar fera tout ce qui est nécessaire pour préserver la paix, son bras droit, ayant goûté à la mauvaise médecine de l’Homme pendant des années, se montrera beaucoup plus méfiant, croyant que les singes devraient plutôt saisir l’opportunité d’éliminer la menace pendant qu’elle est encore faible.

Le film de Matt Reeves ne se gêne donc pas pour exploiter à son tour nombre de concepts avec lesquels le public est depuis longtemps familier, empruntant déjà les mêmes avenues que le Avatar de James Cameron en prenant pour premier enjeu une ressource essentielle à l’Homme se trouvant au coeur d’un territoire occupé par un peuple vivant en parfaite harmonie avec la nature. Dawn of the Planet of the Apes révèle ensuite toute la pertinence du portrait sombre et impitoyable qu’il dresse de la guerre en faisant abstraction du manichéisme primaire auquel nous pouvions nous attendre dans pareilles circonstances, concentrant plutôt ses énergies sur les effets de causalité à l’origine du conflit. Les hommes et les primates se retrouvent ainsi dans le même bateau, les deux partis étant divisés entre ceux croyant à la cohabitation et ceux s’y opposant totalement. Le brasier sera d’ailleurs allumé alors que toute source de discorde semblera avoir été écartée. L’identité du clan ayant pris les armes en premier importera peu au final. Car une fois les premiers coups de feu tirés, les premières goûtes de sang versées, il sera impossible de revenir en arrière, la paix révélant une fois de plus sa fragilité lorsque la peur et le désespoir se mêlent à l’équation.

La démarche à la fois relevée et réfléchie de Reeves confère ainsi une sensibilité accrue à ses élans, empêchant ceux-ci de basculer vers un recours aux images faciles et aux bons sentiments. L’ingéniosité de même que la patience dont fait preuve le cinéaste lui permettent d’orchestrer des moments épiques sur le plan dramatique comme spectaculaire, vers lesquels il nous aura précédemment guidés à travers une série de montées dramatiques savamment cadencées. La réussite technique du présent exercice ne repose donc pas tant sur la qualité d’images de synthèse atteignant des niveaux encore peu égalées, mais plutôt sur le sentiment d’urgence et le sens profond qu’il confère à ses moindres séquences. Cette vision plus tempérée va évidemment de pair avec la façon dont Reeves positionne les deux camps comme le reflet l’un de l’autre. Dawn of the Planet of the Apes va du coup au-delà de la division entre les deux espèces pour nous confronter à des personnages voyant leur destin scellé par ceux étant incapables de voir plus loin que le moment présent. Le réalisateur renverse ainsi la vapeur en amplifiant, certes, les traits de ses héros et de ses antagonistes, mais en faisant surtout cette distinction fondamentale entre la nature des gestes posés et leurs motivations.

Maintenant un parfait équilibre entre l’articulation des grandes lignes de son discours et l’exécution de sa démarche formelle, Reeves aura su bâtir sur ce qui avait été édifié par son prédécesseur pour permettre à la franchise de passer au niveau supérieur. Le réalisateur justifie ainsi l’emploi de mécaniques éculées en imposant le résultat final comme un produit de son époque, de par sa condition cinématographique comme des préoccupations politiques, sociales et écologiques qui en émanent. Dawn of the Planet of the Apes renforce ainsi sa propre légitimité en évoluant en marge de la série originale, laquelle traitait des craintes de son temps d’une manière souvent beaucoup plus tranchante. Ici, la civilisation humaine n’est pas balayée par le souffle d’une bombe, mais doit plutôt endurer une lente agonie tandis que resurgiront peu à peu les erreurs du passé pour anéantir toute perspective d’avenir. La force de Dawn of the Planet of the Apes relève ainsi de son désir de démontrer comment il est si simple de prévenir l’impensable, mais aussi comment il est encore plus facile de provoquer une escalade de tensions irréversible. Et comme c’est généralement le cas, ce ne seront pas ceux se prévalant des meilleures intentions qui auront le dernier mot.
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Critique publiée le 13 juillet 2014.