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Flight (2012)
Robert Zemeckis

La vraie nature de l'héroïsme

Par Jean-François Vandeuren
Si Robert Zemeckis se sera subitement tourné vers un cinéma destiné davantage aux enfants au tournant des années 2000 en s’impliquant sérieusement - mais pas nécessairement de la meilleure façon - dans le développement des technologies d’animation, l’Américain effectuera une coupure on ne peut plus nette avec cette période de sa longue carrière dès les toutes premières images du présent Flight. Nous retrouverons alors le pilote de ligne Whip Whitaker (Denzel Washington) dans une chambre d’hôtel en compagnie de l’une de ses hôtesses de l’air à la suite d’une nuit qui aura visiblement baigné dans le sexe, l’alcool et la drogue. Le cinéaste enchaînera d’autant plus en nous introduisant à Nicole (Kelly Reilly), une toxicomane qui se rendra sur le plateau de tournage d’un film pornographique pour se procurer sa dose avant de devoir éclipser le propriétaire de son piètre logement à qui elle doit une importante somme d’argent. Bien qu’elles n’annoncent pas totalement le ton qu’adoptera Zemeckis durant les quelques 139 minutes sur lesquels s’étale son drame, ses séquences mettent bien en relief pareille fissure, et ce, autant pour le réalisateur que pour sa tête d’affiche qui, bien que nous l’ayons déjà vue dans des rôles moins reluisants, ne se sera jamais retrouvée dans la peau d’un personnage affichant une telle perte de contrôle sur sa propre personne. La totalité de Flight peut être perçue comme un ensemble d’éléments cherchant paradoxalement à aller à contrecourant des grandes lignes définissant habituellement le drame américain classique tout en laissant toujours paraître une certaine volonté de s’y confirmer à tout prix.

Les spectateurs québécois pourront évidemment avoir l’impression au départ d’avoir affaire à une autre variante de l’histoire tumultueuse du commandant Robert Piché. Mais là où le film de Sylvain Archambault explorait des événements ayant précédé et suivi l’incident, mais qui n’étaient pas liés à celui-ci directement, pour tenter de dresser un portrait plus équitable de la vie d’un homme dont l’exploit aura particulièrement été entaché par un battage médiatique des plus sensationnaliste, celui de Zemeckis rapporte le récit d’un (anti)héros dont les agissements auraient pu avoir une influence directe sur le cours des choses. Le tout débutera suite à la nuit décrite plus haut alors que le pilote intoxiqué prendra le contrôle d’un appareil pour un vol de routine entre Miami et Atlanta. En cours de route, l’avion sera toutefois victime d’un bris mécanique qui le fera soudainement chuter à une vitesse fulgurante. Whip réussira fort heureusement à garder son sang-froid et effectuera une manoeuvre impossible pour éviter le pire et sauver la vie de la majorité des individus présents à bord de l’engin. La situation s’envenimera toutefois lorsqu’il sera découvert que Whip n’était pas sobre au moment de l’accident. Un manque de jugement qui pourrait bien lui valoir plusieurs années derrière les barreaux. S’il ne fait aucun doute que l’incident est dû à une défaillance technique, les représentants de la compagnie d’aviation et l’un de leurs avocats (Don Cheadle) devront tout de même travailler dur afin que les méfaits de Whitaker ne soient pas révélés durant l’enquête. Mais même au moment où le reste de sa vie sera en jeu, le plus grand ennemi de Whip demeurera lui-même.

L’objectif réel du film de Robert Zemeckis ne sera donc pas tant de prouver la légitimité des actions héroïques accomplies par son protagoniste, mais plutôt de s’immiscer au coeur de la dépendance de ce dernier, laquelle l’empêchera de prendre pleinement conscience du précipice se trouvant juste devant lui et vers lequel il se dirige à vive allure. Il sera d’ailleurs clairement démontré que, malgré le comportement des plus inappropriés qu’adoptera le pilote durant la majeure partie du présent long métrage, celui-ci aura toujours un moyen pour se sortir des pires situations imaginables - quelques lignes de cocaïnes, par exemple, feront parfaitement l’affaire pour se remettre sur pied après une longue nuit d’ivresse quelques instants avant une importante comparution. Mais ce serait renier cette inévitable prise de conscience, ce changement auquel tend le personnage principale de toute histoire, que de laisser Whip poursuivre son chemin sans qu’il n’ait à faire face aux conséquences de ses actes. C’est ici que ressortira toute la pertinence de la rencontre entre Whip et Nicole suite à un moment où ils auront tous deux vu la mort de près. L’un se laissera de nouveau tenter par ses vieux démons au moindre obstacle, tandis que l’autre sera bien déterminée à écouter le message que la vie lui a envoyé en mettant de l’ordre dans son existence. La présence de Denzel Washington s’imposera du coup comme une nécessité alors que l’acteur y va ici de l’une de ses performances les plus maîtrisées en carrière. Un rôle qui l’aura, certes, amené à jouer gros par moments, mais dont la gestuelle et l’intonation inimitables lui auront permis de rendre crédible ce personnage charismatique qui verra sa confiance et ses repaires s’effondrer peu à peu.

Ce n’est évidemment pas la première fois que Robert Zemeckis nous confronte au récit d’un homme ayant survécu à un accident d’avion, lui qui nous avait déjà offert Cast Away en 2000. Bien qu’il n’ait pas été coincé lui aussi sur une île déserte après coup, Whip finira néanmoins par s’isoler du reste du monde à travers son amour de la bouteille, lui qui, au lieu de construire un radeau, devra plutôt effectuer un sérieux examen de conscience s’il désire regagner le rivage un de ces jours. Le scénario de John Gatins (Real Steel) comme la mise en scène de Zemeckis figurent très certainement parmi les plus classiques que nous ait proposés le cinéaste américain. Ce dernier parvient néanmoins à mettre en valeur ses qualités de technicien du drame et de l’image en étirant certaines séquences afin de leur donner un sens plus marqué avec la même patience qui avait caractérisé le Contact de 1997, en plus d’orchestrer de grands moments dramatiques et spectaculaires avec la même verve qu’autrefois. Nous aurons droit à cet effet à une scène de chaos en plein vol ingénieusement assemblée à partir d’images captées principalement à l’intérieur de l’appareil, et celle de ce long témoignage au bout duquel le personnage principal se résignera à faire face à la musique. C’est de cette dernière dont découlera le véritable geste héroïque d’un homme qui avait pourtant la possibilité de se tirer indemne de toute cette aventure – et de laisser l’alcool continuer de guider sa vie. Certes, Zemeckis ne fait pas dans la dentelle ni la subtilité ici, mais se révèle un réalisateur toujours capable d’orchestrer des moments de cinéma marquées d’une tension et d’une force dramatique hallucinantes.
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Critique publiée le 6 novembre 2012.