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Starcrash (1978)
Luigi Cozzi

L'autre guerre des étoiles

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Tout un pan de l'industrie cinématographique italienne s'est développé autour du principe de l'imitation, cannibalisant ses propres succès et, plus encore, ceux de l'Amérique, en s'attardant à un genre donné jusqu'à ce qu'un nouveau filon commercialement viable soit découvert. Notons qu'en général, les genres ayant alimenté cette formidable machine à série B ont en commun leur économie de moyens intrinsèque. Qu'il s'agisse du western, du film d'action post-apocalyptique ou même du fameux giallo, on peut généralement produire à peu de frais, avec un minimum du décors et quelques accessoires assez simples, un succédané « convenable » du modèle professionnel standard, correspondant de manière presque légitime aux attentes du public. 
 
Après un premier film plutôt prometteur, l'atypique giallo de 1975 The Killer Must Kill Again, Luigi Cozzi se lança à l'instar de plusieurs de ses pairs dans une carrière de plagiaire – le Contamination de 1980, par exemple, s'inspirant très clairement du fameux Alien de 1979. Deux ans plus tôt, cet ancien collaborateur de Dario Argento (il fut notamment co-scénariste du Quatre mouches de velours gris de 1971) s'était déjà attelé à la tâche d'imiter le gros succès de science-fiction de l'année précédente. En effet, son Starcrash, rebaptisé Le choc des étoiles pour les besoins de sa truculente traduction, reprenait assez peu subtilement les grandes lignes d'un petit film, aujourd'hui méconnu, qui avait néanmoins généré un enthousiasme populaire notable à sa sortie : le Star Wars, de George Lucas.
 
La raison pour laquelle on dénombre au final moins de space opera à petit budget que de Mad Max à rabais, c'est qu'il s'agit d'un genre par définition onéreux, dont l'envergure spectaculaire dépasse naturellement les capacités limitées de la quincaillerie italienne. Si Star Wars, plus de trente ans après sa sortie, a toujours l'air « crédible », c'est que de nombreux techniciens ayant eu à leur disposition des moyens à la hauteur de leurs idées ont combiné leurs efforts pour répondre à cette question fondamentale : comment fait-on pour filmer une maquette devant des ampoules afin qu'elle ait réellement l'air d'un engin intersidéral naviguant le cosmos? Dans Le choc des étoiles, les maquettes ont tout bêtement l'air de maquettes et la constellation de lumières servant de ciel étoilé ressemble plus à un arbre de Noël qu'aux profondeurs de l'espace.
 
Mais puisque Le choc des étoiles est un Star Wars sauce disco trouvant le moyen de canaliser simultanément Jason and the Argonauts et Barbarella, sa ringardise phénoménale s'avère bien évidemment l'essence même de son charme incalculable. Véritable fourre-tout stylistique, ce bric-à-brac broche à foin crée une galaxie lointaine, très lointaine en rapiéçant au gré d'une logique fort approximative divers éléments piqués à gauche et à droite dans l'histoire du cinéma de genre italien. Voilà pourquoi les « planètes mystérieuses » du film de Luigi Cozzi sont peuplées d'Amazones, de l'espace, tout droit sorties d'un mauvais film d'aventure ainsi que d'hommes des cavernes, de l'espace, probablement ramassés avec empressement sur le plateau de tournage d'un quelconque récit préhistorique.
 
Au fond, Cozzi sait qu'il ne peut d'aucune manière rivaliser avec la machine hollywoodienne. Mais il ose tout de même copier presque plan par plan de nombreuses scènes du film de Lucas et intégrer avec une sidérante maladresse un concept mystique, hautement nébuleux, qui bien entendu n'est pas sans rappeler la Force. Il va même, comble de l'évidence, jusqu'à débuter le tout sur un générique défilant on ne peut plus familier. Sans oublier la base spatiale en forme de gros gant griffu (sans blague) du très méchant Zarth Arn, sorte de Darth Vader moustachu et un brin bedonnant, qui fait somme toute pâle figure aux côtés d'une Étoile noire au design autrement plus élégant…
 
Ce qu'on ajoute à la recette, c'est donc un brin de psychédélisme bon marché et une généreuse dose d'exploitation. Dans le rôle de la contrebandière galactique Stella Starr, l'actrice anglaise Caroline Munro passe le plus clair de son temps à demi vêtue, les autorités du « pénitencier stellaire de la planète Nocturna 2 » acceptant pour une quelconque raison qu'elle purge sa peine dans un révélateur maillot de bain galactique – tandis que les autres prisonniers sont contraints de porter un uniforme réglementaire de vieux haillons pudiques. Quant à l'escapade chez les Amazones (de l'espace), elle permet à Cozzi d'orchestrer une épique bataille d'oreillers intersidérale où, comme nous le promet la bande-annonce, « les arts martiaux hérités du passé prouvent leur valeur ». Tout ça sous prétexte que Stella refuse d'être branchée à la « pompe cérébrale » de la vilaine reine des Amazones.
 
Quant au reste de la distribution, elle fait de son mieux pour détourner notre attention des hypnotisantes courbes de Munro. Tandis que le robot Elias, emprunté à Battlestar Galactica, multiplie les boutades interstellaires foireuses (telles que « Ce n'est pas à un vieux robot qu'on peut faire le coup de l'hyperespace »), l'hystérique Akton (Marjoe Gortner, qui se fait systématiquement voler la vedette par son outrageuse coiffure) réagit de manière beaucoup trop insistante à n'importe quoi dès qu'il en a l'occasion. Seul l'honorable Christopher Plummer, dans le rôle de « sa Majesté l'Empereur du Premier cercle de l'univers »,  semble tout faire pour ne pas trop se faire remarquer. Récitant ses répliques sans entrain, il affiche un air impassible qui trahit son scepticisme compréhensible quant à la qualité de cette abracadabrante production dans laquelle il a échoué pour on ne sait trop quelle raison.
 
Affublé d'un doublage magique où pullulent perles d'incohérence et expressions ésotériques censées nous transporter dans un dépaysant univers de science-fiction, Le choc des étoiles s'avère d'un kitsch incalculable, littéralement transcendant, sa démesure loufoque donnant au Flash Gordon de Mike Hodges des allures de chef-d'oeuvre de sobriété en comparaison. Il faut bien le donner aux Italiens : dans l'art du cabotinage baroque à grand déploiement, on peut difficilement les égaler. En voici la preuve la plus sublime – extravagante, hilarante et étrangement captivante.
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Critique publiée le 30 juillet 2012.