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Dark Shadows (2012)
Tim Burton

Pas de lumière au bout du tunnel

Par Jean-François Vandeuren
Le nom Tim Burton n’a visiblement plus la même résonnance que lorsque le cinéaste était au sommet de son art entre la fin des années 80 et celle des années 90. Malgré tout, nous ne pouvons en aucun cas accuser le réalisateur de ne pas être resté fidèle à lui-même et à sa vision, lui dont les élans fantaisistes et les influences gothiques demeurent reconnaissables entre mille et mènent encore aujourd’hui à des moments de cinéma capables d’émerveiller et d’en mettre plein la vue. Le cinéaste peut d’ailleurs toujours compter sur son collaborateur de longue date Johnny Depp pour donner vie aux personnages les plus extravagants de ses nouvelles créations. Burton aura tout de même réalisé quelques bons coups depuis l’an 2000 (Big Fish venant en tête de liste). Étrangement, la déception entourant ses plus récents projets aura été associée à ceux qui semblaient pourtant tout désignés pour la griffe de l’artiste, mais qui, pour diverses raisons, n’auront su produire les effets escomptés (les navrants Planet of the Apes et Alice in Wonderland venant immédiatement à l’esprit). Ainsi, comme ce fut le cas au cours de la dernière décennie, la présente adaptation de la série télévisée Dark Shadows tombait pile dans les cordes de Burton et semblait d’autant plus vouloir marquer un retour à l’humour macabre et déjanté d’Ed Wood et de Beetlejuice. Si Burton embrasse l’essence du présent exercice sans aucun complexe, ce dernier met une fois de plus son talent au service d’un scénario qui, malgré quelques envolées assez prometteuses en début de parcours, accumule rapidement les faux pas et nous laisse en bout de ligne avec le vague souvenir d’un film tout sauf stimulant.

Le scénario de Seth Grahame-Smith revisite en soi l’histoire classique de l’étranger intégrant un univers qui ne lui est guère familier, mais qu’il sera appelé à changer par la force des choses, sur laquelle repose la quasi-totalité de l’oeuvre de Tim Burton. Le nouveau venu en question sera cette fois-ci Barnabas Collins (Depp), fils d’un riche immigrant britannique qui aura été transformé en vampire et enterré vivant après qu’il ait refusé de donner son amour à la puissante sorcière Angelique Bouchard (Eva Green) pour s’enivrer plutôt de celui d’une autre femme, elle qui, comme les parents du nouveau buveur de sang, aura trouvé son chemin vers la mort grâce à l’enchanteresse. Barnabas sera libéré de son cercueil par inadvertance deux siècles plus tard, en 1972, pour découvrir que son nom et son immense domaine auront particulièrement perdu de leur lustre au fil des ans, mais aussi qu’Angelique se trouve désormais à la tête de la compagnie la plus prospère de la petite localité que les Collins auront fortement contribué à mettre sur pied. C’est au coeur d’un enchaînement de gags plus ou moins inspirés - tournant évidemment autour du climat culturel et politique de l’Amérique des années 70 comme de la nature ténébreuse de Barnabas et de son manque de repères devant les moeurs et nouvelles technologies de l’époque - que le vampire mettra tout en oeuvre pour redorer le blason des Collins, relancer l’entreprise familiale et ainsi venir à bout de la responsable de tous leurs malheurs. Le tout tandis qu’il s’éprendra d’une nourrice fraîchement arrivée dans la région qui, comme par hasard, ressemble comme deux goûtes d’eau à l’amour qu’il perdit il y a bientôt deux cents ans.

Le principal problème de Dark Shadows demeure néanmoins la manière dont son récit est structuré, rendant tout engagement envers celui-ci particulièrement difficile pour le spectateur, tandis que Grahame-Smith semble tout bonnement incapable d’adopter un rythme de croisière un tant soit peu enlevant, passant du coq à l’âne entre le drame et la comédie comme entre ses nombreuses sous-intrigues, et ce, sans parvenir à en développer une seule de façon significative. Le scénario semble ainsi avoir été divisé en une série de micro-épisodes pour un exercice prenant davantage la forme d’une saison d’une série télévisée condensée en un peu moins de deux heures que d’un long métrage à proprement parler. Des morceaux assez importants de l’intrigue de même que plusieurs caractéristiques des personnages - les rôles de second plan étant tous horriblement sous-développés - seront ainsi introduits de façon disparate, à peine appuyée ou beaucoup trop tardive. Un manque de finesse qui finira par faire passer l’introduction de divers éléments - essentiels pour la plupart à la cohésion de l’oeuvre dans son ensemble - pour un remplissage excessif d’une coquille autrement assez vide. Nous nous retrouverons au bout du compte devant une production ni drôle ni enivrante, proposant une histoire d’une banalité déconcertante en ne réussissant que rarement à se jouer des clichés qu’il étale de manière boulimique. Dark Shadows avait pourtant tous les attributs nécessaires pour offrir une variation aussi inusitée qu’intelligente et désopilante sur ces thèmes archiconnus. Mais il n’en est rien, le film de Burton rejoignant plutôt les essais les plus fades et laborieux du genre, édifié sans effort ni conviction, boudant trop souvent son plaisir et anéantissant le nôtre par la même occasion.

Il est assez difficile d’attribuer la faute d’un tel échec au travail du réalisateur qui, même s’il ne fait certainement aucun effort pour s’éloigner de sa zone de confort, exploite tout de même ce qu’il a sous la main avec le flair esthétique qu’on lui connaît en mettant bien en évidence ses influences habituelles. Le tout en concentrant la majeure partie de ses énergies sur ses deux monstres oscillant tous deux entre le bien et le mal que campent avec un plaisir évident et une désinvolture suffisamment maîtrisée Johnny Depp et Eva Green. Nous ne pouvons malheureusement pas en dire autant du reste de la distribution, dont le grand talent n’est jamais exploité ici à sa juste valeur. Pour le reste, Dark Shadows apparaît comme une production dont les moindres élans semblent beaucoup trop forcés alors que ses maîtres d’oeuvre tentent par tous les moyens d’intégrer la totalité des rouages propres au cinéma fantastique et d’horreur dans sa forme la plus classique. Le tout au coeur d’un manoir évidemment lugubre à souhait. Une initiative qui se résultera dans une séquence finale redéfinissant le terme « abusif », allant d’une pétarade d’effets spéciaux et d’instants mélodramatiques qui s’avère aussi peu impressionnante qu’exaltante, mais, au contraire, tout ce qu’il y a de plus irritante. Tim Burton aura fait ce qu’il a pu avec ce Dark Shadows souvent mal cadencé, mais offrant bien quelques moments et répliques assez cocasses. Du reste, il ne s’agit que d’un autre cas désolant d’un film dont les plus belles promesses ne seront finalement jamais respectées. Un autre dur coup pour une filmographie dont la nouvelle pièce de résistance se fait de plus en plus attendre.
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Critique publiée le 11 mai 2012.