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Combat Shock (1986)
Buddy Giovinazzo

Les bas-fonds de la laideur

Par Mathieu Li-Goyette
C'est Lloyd Kaufman lui-même qui parlait un jour de Combat Shock comme probablement l'une des seules grandes oeuvres cinématographiques distribuées sous l'étiquette Troma. Lorsqu'on regarde la gamme de films qui ont, depuis 1986, été alignés par le producteur culte, c'est peu dire. Premier long-métrage de Buddy Giovinazzo, American Nightmares (de son titre original) est un exemple par excellence de cinéma guérilla. Celui qui se pratique aux dépens de la « fortune » d'un cinéaste indépendant, à l'aide d'acteurs en réalité membres de sa famille (ici, son frère Rick Giovinazzo joue l'anti-héros Frankie) et amis d'un artisan complètement possédé qui souhaite poursuivre le même projet trois années durant. En alternance avec le travail et le tournage, l'idée du cinéma indépendant américain est évidemment antérieure aux démarches de Giovinazzo, mais elle aura rarement eu un représentant aussi courageux. Malgré ses défauts certains, Combat Shock est ce genre de film qui vous force à regarder ailleurs lorsqu'une coupe est bâclée, de vous boucher les oreilles lorsque vous entendez pour la énième fois la même bande-sonore répétée tout au long du film. Toute cette mascarade pour vous convaincre que vous écoutez un « bon » film simplement parce que Combat Shock est tout sauf un « mauvais » film.

C'est un acte de courage qui mérite d'être apprécié a une valeur qu'il n'aura pourtant jamais, car mal foutu, mal cadré, mal joué, le scénario et l'idée profonde de faire de Combat Shock une réalité appartient au registre des secrets psychotroniques insondables du cinéma. Car moins de dix ans avant le triomphe de Taxi Driver à Cannes, Giovinazzo doit probablement plus au duo Scorsese-Schraeder qu'à n'importe quel autre canevas. Oui, le réalisme nauséabond et misérable de Fassbinder est au rendez-vous (comme chez Scorsese, d'ailleurs), mais il y a dans l'idée de présenter les séquelles de la guerre du Viêt Nam chez un vétéran new-yorkais qui erre dans les «égouts à ciel ouvert» de la ville une certaine impression de déjà vu. Existentialiste et détenteur de la même schizophrénie que Travis et Meursault se partageaient, le Frankie de Combat Shock est particulièrement plus cinglé. Convaincu que son nouveau-né est un fardeau lourd à porter pour lui et sa femme, la représentation de l'enfant passe par une marionnette animée aux allures de diablotin grisâtre déformé; un crachat de Belzébuth envoyé à Frankie depuis le Tartare. L'artifice est hilarant, mais à la fois extrêmement déplaisant et troublant. Animé de façon presque aléatoire, servi par des gémissements stridents, le petit poucet diabolique de Giovinazzo donne raison à l'Enfer sur terre dont le personnage semble si souvent évoquer l'image.

Poursuivi par des bandits de bas étage pour un remboursement oublié, le défroqué Frankie se déplace des coins sordides du quartier jusqu'au centre de réhabilitation où l'aide municipale pour les plus démunis (en fait, la seule représentation officielle de l'état) donne au film son seul et unique gag burlesque. Sinon glauque et misérable, l'atmosphère projetée par cette guérilla contre l'état triomphe par la débilité profonde des choix esthétiques et des personnages pourtant tous soutenus par un scénario brillant qui, on s'en doutera, fait naître de Combat Shock un intérêt légitime et tout à fait l'égal réactionnaire des simulacres haineux et tourmentés de Taxi Driver et Deer Hunter auxquels Giovinazzo souhaitait visiblement rendre hommage. Il ne nous est pas alors donné d'évaluer l' « oeuvre » Combat Shock, mais bien l'« expérience » Combat Shock. Une expérience malsaine, à ne pas répéter lorsque la déprime peut frapper à tout moment lors d'un film qui s'ouvre sur la pauvreté et qui se termine dans la pauvreté la plus absolue de la famine, la dépression, l'overdose et la mort; celle spirituelle d'un père et celle furieuse de la femme et du poupon satanique. À la différence des films mentionnés ci-haut où les héros étaient soit pardonnés en vrais héros, soit damnés en vrai traîtres, l'opus ordurier dont nous sommes en présence se penche plutôt sur la pire finalité possible dans un contexte donné sans jamais faire de la volonté humaine la source du malheur.

C'est en effet un peu à la façon dont Cracktown réussira sa mission (25 années plus tard cela dit) en cherchant une alternative à la narration classique d'antagonistes que American Nightmares réussit la sienne.. La vision nihiliste de Giovinazzo n'approche donc pas les actants d'un schéma conventionnel, mais plutôt la progression de chaque personnage en rapport aux lieux qui ont vu naître le film. Dans un huis clos moral, Frankie et les quelques autres personnages éparses se croisent sans autre raison que de recommencer perpétuellement les mêmes confrontations menées par des arguments complètement fixes. L'ami de notre héros est un jour à la recherche d'argent, l'autre jour intoxiqué, plus tard mort dans ses ordures. Au fil des heures, c'est chaque martyr du film qui devient peu à peu aussi un damné de plus en plus nécrosé. La promenade dans un paysage profondément laid pose cependant un problème: la misère cherche-t-elle à sublimer le confort ou à provoquer un certain bourgeois à la mémoire bien courte? Bien qu'on ne doute pas de l'honnêteté intellectuelle du metteur en scène compte tenu des oeuvres postérieures qu'il présentera, l'engagement social suscité par Giovinazzo reste remarquable, mais mal amené. Ayant toujours souhaité montrer de l'Amérique ce qu'il trouvait de plus laid, l'exercice du cinéaste n'est pas loin du terrorisme cinématographique; une bombe artisanale enroulée autour d'un nouveau-né démoniaque... vivez Combat Shock, car l'explosion, comme toute bonne qui serait signée Troma et existentialisme suicidaire, risque de laisser de graves séquelles à votre idée d'un cinéma d'auteur coup de poing et médiocrement exécuté.
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Critique publiée le 7 août 2009.