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Polisse (2011)
Maïwenn

Politik

Par Mathieu Li-Goyette
La caméra à l’épaule se cache derrière les têtes. Elle tremble. Les visages sont connus, très connus même. Ce sont des noms pesants du cinéma français, voire plus largement de la scène culturelle française : Joeystarr, Marina Foïs, Karin Viard, Nicolas Duvauchelle, Maïwenn elle-même. Déguisées en flic, sauf pour l’auteure qui y incarne une photographe confinée à un reportage devant redorer le blason policier, les vedettes jouent avec force ces défenseurs de l’ordre. Interrogatoires, protection des mineurs, leur routine est parsemée de viols, de pédophilie, d’inceste, de prostitution juvénile et de cybersexe illégal. On se faufile dans un quotidien qui n’emprunte apparemment aucune structure sinon celle de tracer un portrait juste et basé « sur des faits réels ». Les bambins chamboulent les adultes, les regards pantois sont les plus fréquents et le cinéma français, fort de ses immenses oeuvres sur l’enfance, retrouve ici la véracité qu’Entre les murs avait perfectionnée en 2008. Car de La guerre de boutons à Ponette, il semble falloir des enfants pour exprimer ce que les adultes, toujours en conflit et démarrant au quart de tour, ne peuvent communiquer à travers le film. Si cette volonté de se pencher sur une unité de la protection des mineurs en empruntant la voie d’un réalisme documentaire entretient sa part de risque et de redites, c’est l’implication sociale de Polisse qui en fait l’un des grands accomplissements sur la préciosité de l’enfance, une complainte enragée sur des enfants prisonniers de corps d’adultes et des corps d’adultes qu’on a voulu apposer sur des enfants.

L’idée générale et les anecdotes qui l’habillent recèlent, on a ldit, une certaine part de cliché. Les jeunes battus ou abusés, au cinéma, ont la fâcheuse tendance à devenir de mauvaises blagues misérabilistes et c’est en dénouant d’abord ces clichés que Polisse parvient à élever son débat et à critiquer la perception même reflétée par les médias et les films sur le travail de la BPM (Brigade de Protection des Mineurs). Comment Maïwenn contourne et tourne?

L’apport de ses visages connus sauve la mise - elle emprunte la stratégie à son film précédent, Le bal des actrices -, met le spectateur dans une aisance quotidienne. Nul besoin d’introduire les personnages un à un, on croit déjà les connaître, en particulier Joeystarr qui, lourd de son passé de Hip Hop et de tôlard, apporte une certaine présence sauvage au film et s’avère être le policier le plus sensible au sort des enfants. Se projetant sans cesse sur eux et les projetant à leur tour sur sa petite fille (qui apparaît surtout lors d’une scène au bain pour nous démontrer comment son père fait attention de ne rien insinuer en la lavant), il est le plus attachant du lot. Une autre vit une crise conjugale, une telle est dépressive et anorexique, leur patron à tous est vendu aux instances politiques dirigeant la police. Bref, Polisse installe une routine faite de problèmes et ce sont ces allers et retours entre les agents et les divers cas qu’ils traitent qui forment la structure narrative modelée sur un réseau de connexions comme si Maïwenn avait fait là un film choral se déroulant dans une seule et même pièce.

Cette manière de détourner, de prélever au sujet de Polisse ses atours de « film policier », lui permet de se consacrer à la dénonciation et à la démonstration d’enjeux politiques importants à quelques mois des présidentielles. D’abord Ministre de l’Intérieur, soit « chef de la police », l’ombre de Sarkozy règne sur le film comme celui ayant démonisé l’image de la police. Devenus une arme de répression dans la conscience collective des gens, les défenseurs de la loi sont à présent ceux qui l’appliquent et la font respecter. Leur posture change, la peur augmente et les rébellions suivent dans la foulée d’une résistance de plus en plus importante face à l’ordre établi. À partir de ce changement de cap et d’une certaine haine généralisée, Maïwenn se fixe comme objectif de renverser ces préjugés. Ses policiers s’amusent dans les bars, sont des êtres sensibles, mais surtout des individus capables de dignité et qui prennent plus de plaisir à travailler qu’à partager une vie de couple. Comme dans Le bal des actrices, la réalisatrice étire le quotidien de ses personnages jusqu’à les recomposer sous deux pôles qui l’obsèdent, soit le travail et le sexe.

Ainsi, sans le squelette d’un genre (auquel avait adhéré Bertrand Tavernier pour son tout aussi réussi et proche cousin L.627), la routine devient « pop » pour ne pas lasser. Là, le film se métamorphose et approche (peut-être de trop près, diraient certains) de nombreux moments de joie collective, des enfants qui ne sont plus des acteurs, des instants qui suspendent le temps entre deux enquêtes. Musique, couleurs flamboyantes dans une boîte de nuit, ces concessions au martèlement sans relâche de son sujet ne le font pourtant pas se plier à l’atmosphère douce-amère si populaire du cinéma d’auteur contemporain. La cinéaste souhaite politiser, mais cette infusion politique ne peut passer ici sans un désamorçage de l’image unilatéralement sévère du corps policier. Le personnage de Joeystarr prendra le temps de nous faire comprendre dans un monologue, le meilleur du film, la puissance des médias et le misérabilisme entourant les missions qu’ils exercent. Il ne faut pas seulement photographier les policiers en service tout comme il ne faut pas seulement capter des images d’enfants pleurant à chaudes larmes. Ainsi, le rôle de photographe que tient la réalisatrice s’apparente non seulement à son travail de « documentariste » nous rapportant dans les plus minces détails le propre de la BPM, mais affiche aussi une conscience aiguë des problèmes de la représentation au cinéma d’une profession soumise aux impératifs des intrigues, des enquêtes et des poursuites.

L’improvisation est au rendez-vous, du moins, l’impression d’une improvisation répétée. Au point où l’on oublie les visages connus et que les vedettes se fondent dans ces rôles génériques, dans ces cas allant de la mère masturbant son enfant pour l’endormir jusqu’au coach de gymnastique caressant son plus brillant apprenti. Politiser, mais à quel prix? Se poser la question, c’est en soi envisager l’essentiel du propos de Polisse. Au générique, une chanson d’enfants nous plonge dans notre jeunesse comme s’il fallait saisir l'essence de l'oeuvre derrière le regard d’un bambin. Retrouver l’innocence. Réapprendre la méfiance. On déchiffrera à présent l’affiche, on comprendra mieux cette scène où les policiers se moquent d’une jeune fille ayant fait une fellation pour un téléphone portable « de bonne qualité, au moins ». Blasés, ils confondent la perception d’un enfant et celui d’un adulte comme d’autres confondent leurs corps. La scène est gênante, comique, bascule d’un bord et de l’autre d’un simple plan nous montrant la fille de quatorze ans sous la même placidité timide. Tout s’y trouve avec, en premier, notre réaction de spectateur ne s’attendant pas à voir une ado si confiante et des adultes aussi immatures. Politiser par la réverbération des images-chocs, Polisse l’accomplit jusqu’à ses deux derniers plans où le monde se renverse de nouveau. Le suicide coupe la joie des policiers et le bonheur abonde chez l’apprenti gymnaste. Les étiquettes n’ont plus de mordant. Elles glissent et nous ne pouvons plus nous y fier. Tellement que c’est notre raison qui, à son tour, glisse pour retomber, à notre insu, dans l’enfance du regard.
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Critique publiée le 1er mars 2012.