WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Mustang (1975)
Marcel Lefebvre

Bonheur d'occasion

Par Mathieu Li-Goyette
L'époque n'est pas si lointaine où Willie Lamothe, le country et le Festival western de Saint-Tite avaient la cote. L'univers western québécois était une culture en soi, peuplé de saloon, de jeans serrés et de vestes à franges. Définitivement kitsch, aujourd'hui comme hier, la mode s'en est allée au fil de la dissolution de tout un discours mettant en valeur le Québécois et sa terre. La fin du « Far West québécois », c'est en fait la fin des idéaux du terroir et de l'apologie d'une union du colon et de la nature qui l'accueille en son sein. Mustang, pour bien des raisons, représente un dernier hommage à cette période. Quelques années avant l'accident qui allait mettre fin à la carrière de Lamothe, mais tourné assez tard pour y inclure Nanette Workman ainsi que des Luce Guilbeault et Claude Blanchard complètement en possession de leurs moyens, Mustang est (il ne l'est pas, mais devrait bien l'être) un film légendaire. Hilarant, sérieux, triste, porteur des symptômes de son époque, de cette ère où tout changea, l'unique film de Marcel Lefebvre (scénariste, peintre, mais surtout parolier des Jean Lapointe, Céline Dion, Roch Voisine et bien d'autres) est une perle rare, un grand film dissimulé dans un film de truands à la campagne. À la manière de La vraie nature de Bernadette, Mustang sent les années 70, mais symbolise aussi les faiblesses du temps : les limites de l'innocence verte, le rejet univoque de la religion et la fin d'un isolationnisme rural.

En effet, Mustang raconte la manière dont la ville s'insinue en campagne. Avec ses complots, ses bandits entraînés, l'avarice du maire (Blanchard dans son premier rôle au grand écran) est bien urbaine et il faudra qu'un homme droit et bon se mêle de l'histoire pour élucider les véritables raisons de la mort d'un ancien ami, John Cooper, fondateur du festival western et bienfaiteur de la ville. Tué par Mustang, le « cheval indomptable », il laisse derrière lui sa femme (Guilbeault, la propriétaire du saloon du village) et sa fille. Pour venger Johnny, le maire met une prime de 5000$ pour quiconque parviendra à dompter l'étalon. Bien sûr, il y a anguille sous roche et c'est à l'arrivée du cowboy chanteur que les cartes seront enfin démêlées. Notre héros vient peut-être des grands prés, mais (toute la modernité du film est là) craint néanmoins les chevaux et n'est qu'un homme de spectacle. Comme Buffalo Bill à la fin de son règne sur les steppes de l'Ouest, le personnage de Lamothe est plus l'image d'une admiration envers le western que l'incarnation de celui-ci.

Derrière son récit de complot plutôt simple, Mustang cache des qualités incroyables dont la plus épatante est sa manière tout à fait baroque de jouer entre les différents genres par le biais d'une belle maîtrise de son médium. De la comédie au western classique, le montage et l'utilisation d'un cadre brillant sachant dévoiler des profondeurs de champ où la menace se cache dans un recoin de balcon sert Lefebvre qui tente visiblement de nous déstabiliser. Satyre de l'univers western à la québécoise? Discours engagé sur la corruption des fonctionnaires? Il faut savoir que l’oeuvre s'inscrit d'abord parmi une mode de films criminels qui foisonnaient alors au Québec où les grands auteurs, de Carle à Arcand, signèrent certains de leurs chefs-d’oeuvre.

Sans la peur de se confronter aux succès hollywoodiens du box-office (après tout, nous sommes dans une ère de l'avant-Jaws et donc de l'avant-blockbuster), ces films fonçaient tête première. Sans censure, sans honte d'une culture bien d'ici, Mustang accumule les ralentis, les chansons et le joual d'antan. Sans jamais se complaire comme si le simple fait de filmer « chez nous » était suffisant, le film de Lefebvre est le vestige d'un courant du cinéma québécois marqué par le laisser-aller. En fait, une telle énergie, un tel désire de crier la vie, ne trouve que très peu d'écho ailleurs dans notre cinéma national. De cette séquence de souper aux accents « bunueliens » jusqu'à l'arrivée de Nanette Workman au son d'un choeur entonnant « Barbara », les moments d'anthologies sont légions en plus de laisser libre cours aux performances du héros. Lamothe était un grand acteur et Lefebvre, même si Carle l'avait prouvé peu avant dans La mort d'un bûcheron, le confirme en lui déposant un magnifique film sur les épaules.

Et notre chanteur lui rend bien. La performance à l'église de « L'église de mon village » tout comme sa version « live » de Mustang en feront giguer plus d'un. C'est que le chansonnier n'a pas perdu de sa force et qu'avant d'être un hommage au Festival de St-Tite, Mustang est aussi devenu avec le temps un hommage à Lamothe et à la pureté de ses paroles lancées de manière si banale. Au son de ses cordes vocales, pendant que Blanchard complote, la caméra s'élève en hélicoptère et capte la municipalité d'un seul plan. Tout à coup, le film fait sens, un sens si tragique - la fin d'une époque - qu'il provoque l'émerveillement d'une nostalgie rose bonbon. Ailleurs, le plan hilarant au ralenti d'un cheval en liberté sur le son de la bande originale fera pleurer de rire avant qu'il ne parvienne à représenter lui-même l'héritage émotif du film. Ce bassin culturel est peut-être absurde (des cowboys au Québec, ça n'a rien de sérieux), mais il est nôtre et il est hautement sympathique. Cette oeuvre en est l'éloge, la preuve (sur)vivante qu'une culture kitsch n'est pas nécessairement mauvaise, mais bien au contraire possiblement extrêmement consciente de son ridicule. Ayant su attraper au passage le conformisme nord-américain en l'intégrant à ses arpents francophones, la légende de Willie Lamothe et du cheval Mustang puise suffisamment dans la grande culture du temps (en utilisant jusqu'à Jean-Claude Labrecque pour sa direction photo) pour que l'on puisse y voir une manière sincère et tout à fait réfléchie de parler de l'importance des ces rodéos dans le coeur des gens et des dangers de l'intrusion du capitalisme sauvage dans un système basé sur l'économie locale.

Parce que Mustang est parfaitement tourné, parce qu’il est parfaitement interprété tout comme ses gags sont d'une rare efficacité (sachant toujours fonctionner à deux vitesses, ils feront découvrir aux néophytes une mode oubliée tout en réconfortant chaleureusement les plus habitués), il appartient à un rare panthéon de films québécois aussi essentiels que divertissants. Si l'industrie a donné peu de crédit à Marcel Lefebvre pour avoir su, comme un horloger de génie, régler le rythme de son western à celui d'un film musical, il ne nous restera plus qu'à parler de Mustang, à en parler sans arrêt pour qu'il soit vu, entendu, voire distribué comme il aurait dû l'être depuis longtemps. On ne pourrait insister plus. Malgré son statut d'introuvable, cherchez attentivement le VHS, trouvez Mustang, regardez-le. C'est un bonheur assuré, dans le sens le plus ensoleillé du terme. Et contrairement à ce que dirait l'ami Willie : « Y'a pas moyen de moyenner ».
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Critique publiée le 25 juillet 2011.