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Battle: Los Angeles (2011)
Jonathan Liebesman

Le syndrome du gamer

Par Mathieu Li-Goyette
Dès le titre, on connaît la chanson. Un titre bêta, mais amusant. Une sorte de Snakes on a Plane un minimum plus sérieux, moins absurde dans son approche. En fait, ce titre, décidément simple et efficace, a cela de bien qu’il nous permet de ne pas tergiverser, de ne pas rencontrer les familles innocentes des marines qui périront bientôt, de ne pas passer deux ou trois séquences à regarder des travellings dans un bureau fantoche de la NASA. En fait, on nous jette dans la « bataille », et ce, après que seulement une quinzaine de minutes ne se soient écoulées au compteur. Je parle de temps parce que dans ce film, il en est toujours question. Le temps de se rendre à un point donné, la durée de chaque escarmouche, la durée du film lui-même… Ce qu’il a de bien, il le redouble en mal et cette allure de suspense à rebours, jamais utilisée à juste escient, nous essouffle trop rapidement, nous donne l’impression qu’un cinéaste - Liebesman a toujours été un tâcheron, donc rien de nouveau de ce côté-là - a répété la gaffe de Ridley Scott et de son Black Hawk Down. À filmer des tirs deux heures durant, ce sont non seulement les fameuses vannes envoyées entre soldats qui se font tièdes, mais aussi nos regards qui se détractent du contrat. Car à trop tirer, on perd le scénario, son essence - pour autant qu’elle y soit.  On  n’a pas ici retenu la leçon de The Hurt Locker qui, lui, avait sagement compris que les tirs formaient une période de répit et que l’attente et la recherche de l’ennemi dans un terrain inconnu, elles, agissaient comme moteurs du suspense.

À l’opposé, Liebesman persiste à ne montrer qu’une bande de soldats parcourant la banlieue de Los Angeles à la recherche d’un point A (un poste de police abritant des civils) et d’un point B (un endroit sécurisé à l’extérieur de la zone de bombardement) pendant que le monde, lui, s’écroule. Le grand défaut de Battle: Los Angeles, c’est justement de n’avoir retenu de ses mentors Emmerich et Bay qu’une infime partie de leur savoir grossièrement manipulateur. Car au pays de Liebesman, Independance Day et Armaggedon sont des monuments, des exemples ultimes d’une fin du monde et de l’Amérique exaltée… Tellement exaltée qu’elle en perd ses culottes, boit son patriotisme et ira vaincre l’ennemi cigare en main. C’est de la dérision, certes, mais dans le cas de nos deux amis, ils auront toujours eu la décence de ne pas se prendre au sérieux, sans tomber pour autant dans la parodie - la mince ligne aura été transgressée par le deuxième volet de la série Transformers, j’en conviens. Dans le cas présent, l’Amérique se regarde luire. Elle murmure des prières à la vue de son drapeau étoilé. Elle prend les apparences d’un Aaron Eckart à la mâchoire carrée et au passé plus ou moins inexistant, une espèce de stéréotype à la noix, une silhouette sortie tout droit de la dernière affiche arborant le fameux « engagez-vous! ». Un homme dont le curriculum vitae de vétéran de la guerre en Irak en fait un guerrier des temps modernes, pâle copie des traumatisés revenus d’Indochine du cinéma des années 70 et 80.

Pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas tant à retenir, pour l’imaginaire collectif cherchant toujours à s’imaginer plutôt qu’à se renseigner sur l’Histoire, de cette fameuse guerre au terrorisme. Et dès les premiers plans de Battle: Los Angeles, on se rendra compte qu’inévitablement le sujet du film de Liebesman est bien celui de l’invasion américaine et de sa victoire incertaine. Si la peur d’un deuxième Viêt-Nam plane au-dessus du Moyen-Orient, le spectre de ce dernier guide la structure narrative de Battle: Los Angeles. Débutant par des images prises à la volée par des caméras infrarouges captant des salves de roquettes pendant la nuit - on se doute de la provenance des images -, on se doute que l’on reprend ici les images chocs de l’invasion de Bagdad en les plaquant sur un montage visant à donner l’impression qu’elles sont prises durant la bataille de Los Angeles. Or, il n’en est rien et l’invasion de ces grands cyborgs venus d’ailleurs aura tout d’une invasion américaine, d’un blitz moderne. « Ils sont venus sur Terre nous prendre nos ressources d’eau! », s’écriera un scientifique à la télévision. Jeu sur la société comme jeu sur le genre dictant qu’une espèce venue d’ailleurs viendrait nous prendre un quelque chose de précieux qui, dans notre monde, n’est qu’un acquis, le côté militaire l’emporte rapidement : les soldats sont « cool » (l’ajout d’une Michelle Rodriguez toujours au poste laisse un baume sur notre blessure), les véhicules aussi et la grande armée américaine ira de tout son arsenal, désormais célèbre, pour faire éclater de la chair brune et gluante.

Il faut être honnête et admettre que Battle: Los Angeles satisfera au moins le « spectateur gamer », car celui qui raffole des Call of Duty, Halo et Resistance (jeu conçu pour et par Sony, tout comme ce film dans lequel on en retrouve une grande bannière publicitaire assez encombrante entre deux poursuites) ira voir le film pour « voir les armes en vrai ». Et c’est là qu’une certaine problématique quant à l’apport de l’industrie du jeu vidéo à celle du cinéma reste à soulever. Si les uns montrent à nu cette influence souvent bénéfique (Nolan, par exemple, la maîtrise assez bien), il faut dire que plusieurs jeux ont aujourd’hui plus d’intérêt, plus de vigueur dans le scénario et plus d’intelligence dans les dialogues que Liebesman et cet étrange pétard mouillé. C’est-à-dire que l’écriture vidéoludique découpe habituellement une progression en étapes dont chacune sera d’abord clairement détaillée. Souhaitant ainsi mettre l’emphase sur un espace géographique parcouru par le héros suivi de près par le spectateur - pour le suivre, une caméra insoutenable branle et tremble jusqu’à nous donner la nausée -, on maintient tout au long de l’oeuvre un sentiment de continuité qui est moins celui du cinéma que celui de la « mission-récompense ». La différence, c’est qu’au cinéma, les péripéties ne se suffisent idéalement pas d’elles-mêmes, elles ne sont pas nécessairement des micromissions. Mais peu importe, car à chaque étape, on reprend son souffle lorsque les renforts se pointent, que d’autres munitions arrivent et que la musique pompeuse - décevante d’ailleurs - reprend du tempo et fait de ces soldats les avatars d’un mauvais jeu vidéo filmé. Signe qu’un art, en matière de divertissement, est définitivement en train de prendre le dessus sur l’autre.
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Critique publiée le 11 mars 2011.