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Wall Street: Money Never Sleeps (2010)
Oliver Stone

Père grand, comme vous n'avez plus de dents

Par Mathieu Li-Goyette
Oliver Stone, le plus controversé des auteurs américains, signe peut-être ici son oeuvre la plus médiocre, la plus imbuvable de symbolisme et d’erreurs flagrantes de mise en scène. On s’étonne d’abord devant le premier quart d’un film dépassant les deux heures : la luisance des immeubles new-yorkais et le rythme effréné du montage nous rappellent que le monde de Wall Street appartient au cinéaste et qu’en son centre siège une large bouche mangeuse d’hommes. L’idée, complètement mythologique, s’accorde toujours avec la première vision des nababs qu’avait explorée Stone en 1987, alors fort de la sortie de Platoon (1986) et responsable d’un scénario dont la continuité a aujourd’hui été confiée à Allan Loeb (21, la télésérie New Amsterdam) et Stephen Schiff (Deep End of the Ocean, True Crime). D’un hommage à son père, actionnaire de Wall Street, aux accents faustiens du récit, Gordon Gekko était - les lumières s’éteignaient autour de lui lorsqu’il soumettait à la tentation Bud Fox - le Diable incarné, la figure du mal derrière les bourdes de l’Amérique couchant soir après soir avec son crédit. Comme dans les meilleurs Stone - il y en a, n’oublions pas son chef-d’oeuvre JFK -, les grands thèmes de la littérature sont actualisés, nous amenant à saisir, d’une part, leur intemporalité, mais aussi la stagnation d’un temps dit du progrès.

Oliver Stone, maître de ces métaphores et de ces superpositions allant de Goethe à New York, n’est plus maître de son destin depuis Alexander. Et si W. pouvait annoncer le début de jours meilleurs, on peut dire qu’il poursuit une carrière fait d’un grand film sur deux et, avec Wall Street: Money Never Sleeps - d’où l’importance que nous accordons ici de son parcours - qu’un réalisateur responsable de plans aussi majestueux soit aussi coupable de plans abominables demeure le mystère le plus insondable depuis l’affaire JFK. Ces cadres qui attaquent notre oeil défient le goût de la beauté au profit d’un langage cinématographique prémâché, comme servi à des enfants ignares se satisfaisant encore du pathos du Petit chaperon rouge. Or, vénéré Stone, inutile de nous dire : « mère grand, comme vous avez de grandes dents » pour nous fracasser le crâne d’idioties, de superpositions (mal exécutées), d’une mélodie à l’éloge de la mièvrerie de vos jeunes interprètes LaBeouf et Mulligan, d’idées complètement laides tel l’écroulement figuratif d’écrans de télévision symbolisant les immeubles de Wall Street - là, en 3D, on se serait amusé. De la laideur, il y en a partout dans votre dernière oeuvre dont il faudra effacer le plus rapidement le souvenir et sceller dans les oubliettes.

Oliver Stone, producteur de ce navet de soixante-dix millions de dollars, nous présente cependant une idée et un ensemble de personnages extraordinairement interprétés, allant du souvent moyen LaBeouf aux vétérans Douglas et Langella, tous deux impeccables dans leurs rôles de Midas des temps modernes. Josh Brolin, après W., poursuit quant à lui une collaboration qui s’avérera fructueuse si l’on s’en tient à ce que ces deux rôles ont apporté au cinéma du rebelle : une gueule d’Américain pur et dur, mais surtout un charisme qui n’est pas dénué de malice et d’incompétence. Derrière sa mâchoire carrée, Brolin a le regard facilement perdu et incarne la figure par excellence de l’États-Unien du XXIème siècle, celui sous qui le monde est en train de glisser - le même trait définissait son cowboy de No Country for Old Men. Mais que dire d’Eli Wallach, vétéran de quatre-vingt-quinze ans contre qui il serait peut-être injurieux de dire qu’on lui a donné là un bien mauvais rôle, celui d’incarner l’empereur du clan dirigé par le pantin Brolin. Sa présence est aussi déplacée qu’elle est sympathique; du téléphone de Shia retentit la sonnerie du The Good, the Bad and the Ugly de Leone, film culte où le même Wallach incarnait le truand… « Pour « les jeunes » qui ne le savent guère, j’ai cru bon de lancer un clin d’oeil via le « le jeune » de mon film », nous expliquerait le cinéaste.

Oliver Stone a justement fait de cette posture, celle de tout expliquer « aux nouveaux venus » en passant par le chemin le plus grossier, la ligne directrice de son film. Alors que, d’une part, Gekko (Douglas) sort de prison, survit honorablement grâce à la publication de son livre de conseils sur l’économie, tente d’entrer en contact avec sa fille (Mulligan), qui a depuis fait sa vie avec un jeune courtier de Wall Street (LaBeouf) qui, lui, vient de perdre son mentor (Langella) suite à son suicide provoqué par Brolin, Wallach et la bande de requins, nous avons clairement le « milieu », ses « conséquences » et son « immunité » - car on vient de commettre un meurtre de façon légale. Autour de cette idée, Money Never Sleeps (quel titre abominable) propose d’emblée un récit d’une rare complexité et, si maîtrise il y a dans ce film, elle est dans l’alternance d’une problématique à l’autre. Puisqu’autour du couple, de multiples possibilités, des antagonistes et des alliés qui se lancent la balle dans un jeu de Monopoly gigantesque où les pactes se brisent et les promesses sont trahies.

Oliver Stone, fier de son coup depuis le premier volet, revient donc à la charge via son alter ego Gekko qui, dès sa sortie de prison, dit qu’il avait bel et bien prévu la crise financière. Regain d’énergie subit qui retombe aussitôt à plat pour le cinéaste, Money Never Sleeps marque le retour du faiseur de trouble par excellence, celui qui a tant parlé lorsque personne n’osait le faire sur Sunset Blvd., celui qui a systématiquement été politisé et politisant et qui n’abandonne pas ses mégardes face à sa patrie. Ce regard « « pour que les jeunes comprennent » s’adapte cependant à « leur » langage, celui de la comédie romantique (apparemment). Comme s’il était subversif de faire parler les personnages d’Apatow du dernier mandat de W., Stone s’est convaincu qu’une bonne dose de pirouettes conjugales et d’indépendance; LaBeouf face à sa mère (Susan Sarandon) injectée « façon botox » à l’équipe d’étoiles du Monopoly « stonien » devra développer son indépendance. On apprend à grandir, à être père, à embrasser, puis on apprend comment fonctionne la bourse. Voilà qui est un beau package deal, non?

Oliver Stone est fatigué. Il a sous-estimé une fois de plus son public. Il a pensé que nous n’étions pas au courant de la crise et qu’il fallait, après une décennie particulièrement noire pour les États-Unis, nous convaincre qu’il « avait raison ». Il a eu la belle idée d’utiliser les reflets et les miroirs pour développer son projet esthétique s’articulant autour du Narcisse et de son image, celle de ces hommes qui se sont trop regardés le nombril avant de comprendre qu’une crise les châtierait. Il a inclu un Goya dans le bureau de Brolin, pour nous faire comprendre que Sheen était en train de manger ses enfants pour s’assurer qu’il n’y aurait d’aspirant à son empire financier.

Oliver Stone est un homme instruit et l’un des rares réalisateurs américains à avoir une place assurée au panthéon du cinéma américain. Et cette dernière oeuvre en est une mélancolique dont l’impact, n’eut été qu’il ait passé plus de temps à militer plutôt qu’à romancer, aurait été la déflagration politique que nous attendions. C’est un film triste, rien de plus. Même les plus grands sont capables du pire.
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Critique publiée le 27 septembre 2010.