WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Killing of America, The (1981)
Sheldon Renan et Leonard Schrader

Notes éclatées sur l’Amérique éclaboussée

Par Simon Laperrière

1. Légende urbaine

Comme tant d’autres films à la réputation houleuse, la distribution de The Killing of America a eu un impact sur la dimension mythique de l’œuvre auprès de certains cinéphiles. Selon la rumeur, cet essai documentaire sur la violence aux États-Unis était introuvable parce qu’inmontrable. Aucun distributeur n’osait y toucher à cause du haut risque de censure. Le graphisme de ses images aurait donc entraîné son bannissement des vidéoclubs. Pour en savoir plus sur ce long métrage maudit, il fallait se rabattre sur des fanzines proposant des comptes rendus plus ou moins fiables. The Killing of America est rapidement devenu l’objet d’une légende urbaine. Les plus persévérants des cinéphiles se sont donc tournés vers des réseaux parallèles pour enfin l’obtenir. Des copies pirates de transferts britanniques ou japonais se vendaient sous le manteau lors de conventions dédiées au cinéma d’horreur. Leur qualité, sans surprise, s’avérait exécrable, mais peut-être avait-elle également son rôle à jouer sur la réception de ce film forcément sale.

 

2. Severin Films

D’où ce choc de le découvrir dans toute sa beauté, finement restauré par Severin Films. Il faut néanmoins nuancer ces propos. Beau, The Killing of America ne le sera jamais. Ça n’a jamais été son intention. Prenant la forme d’un kaléidoscope brutal, il puise ses images dans diverses sources, allant d’actualités télévisuelles à des enregistrements de caméra de surveillance. D’où certaines séquences marquées par un parasitage analogique ou d’autres où une caméra tremblotante peine à filmer l’horreur devant elle. Les images de Killing of America ont elles-mêmes subi une violence. Pour cette raison, le documentaire en vient à rapporter deux histoires connexes. Celle des crimes commis par les armes à feu ainsi que celle des médias les ayant rapportés.

 

3. Avertissement

Le film s’ouvre avec l’affirmation suivante, écrite rouge sur noir : « All of the film you are about to see is real. Nothing has been staged. » Nous ne sommes pas dupes, à un point tel qu’un avertissement pareil soulève une certaine méfiance. Le documentaire, tout particulièrement celui d’exploitation, a souvent tendance à mentir. En mettant en scène, de façon rarement convaincante (ce moine qui s’immole dans Mondo Cane 2 [1963], par exemple), des incidents particulièrement choquants. Sur ce point, le premier film de Sheldon Noran fait preuve d’exception. En croisant différentes archives, il peut se revendiquer haut la main de son authenticité. Par conséquent, il ne révèle rien, ou très peu. Il ne fait que reprendre ce que le petit écran nous a auparavant balancé sans aucune pudeur.

 

4. La mort au cinéma

« La photographie sur ce point n’a pas le pouvoir du film, elle ne peut représenter qu’un agonisant ou un cadavre, non point le passage insaisissable de l’un à l’autre. » [1]

 

5. Point de vue

Des images inédites, il y en a néanmoins quelques-unes. Quelques entretiens avec des agents de la loi, une rencontre avec des prostituées new-yorkaises probablement mineures et un échange avec un tueur sur lequel nous reviendrons. La caméra retourne également sur certaines scènes de crime. Lorsque le documentaire évoque l’assassinat de John F. Kennedy, le montage alterne entre des extraits remaniés du célèbre film de Zapruder et quelques plans tournés au cinquième étage de l’édifice où Lee Harvey Oswald s’était planqué. L’un d’eux déstabilise en présentant une plongée sur la rue Elm Street, là où le trente-cinquième président est décédé. Nous découvrons alors la perspective qu’avait Oswald avant de tirer.

 

6. Théorie du complot

Ou qu’il aurait eu s’il avait effectivement assassiné JFK. The Killing of America évoque cette possibilité. Dans le cas présent, évoquer, même brièvement, l’hypothèse de cette conspiration semble superflue. Le documentaire baigne déjà dans une paranoïa concrète, plus urgente puisqu’elle rejoint l’ensemble des spectateurs américains. Pourquoi déblatérer sur une théorie conspirationniste quand des milliers de citoyens ont accès aux armes à feu ? Autant ne pas s’y attarder.  

 

7. John Carpenter

Le film a été écrit et secrètement réalisé par Leonard Schrader, le frère de Paul. Certains chuchotent que l’éventuel réalisateur de First Reformed (2017) y aurait aussi contribué dans l’anonymat. Avec cette séquence d’introduction montrant le même New York que celui de Taxi Driver (1976), la tentation d’y croire s’avère grande. Or, une autre influence est également perceptible sur le plan musical. Les plans d’ensemble sur une ville la nuit sont accompagnés d’une pièce de rock alternatif très proche de celles auxquelles John Carpenter nous a habitués. The Killing of America s’ouvre sur une touche post-apocalyptique, évoquant carrément Escape From New York (1981). 1997 n’est pas à nos portes, mais déjà là.

 

8. Mondo movies

La structure fragmentée du long métrage s’inspire directement de celle des mondo movies, ces documentaires montrant des pratiques barbares au nom du savoir. Cette démarche, bien évidemment, s’avère complètement illusoire, hypocrite au sens où l’aurait peut-être entendu Foucault. Or, si la comparaison entre le mondo et Killing of America semble aller de soi, peut-être est-ce dû parce qu’enfin, un film mène véritablement ce projet à bout. J’entends dire par là qu’il emploie véritablement des images (violentes) de violence à des fins pédagogiques et non d’exploitation saugrenue. Il s’agit donc d’un mondo sincère, explorant le potentiel véritable, jamais accompli, d’un sous-genre démonisé.

 

9. Bowling for Columbine

Il y a cette banque aux États-Unis où on obtient une carabine en y ouvrant un compte. Michael Moore me l’a appris en réalisant à son insu une suite à The Killing of America.

 

10. Grand-Papa

Mon grand-père Réal est décédé au début du mois. En 2013, il avait assisté à une projection spéciale de Killing of America au Festival Fantasia. Quelques jours plus tard, il m’a appelé pour me remercier avec enthousiasme de lui avoir fait découvrir « ce bon film ». Jamais trop compris ce qui avait bien pu lui plaire.

 

11. Mindhunter

Le coup de spectacle de ce documentaire demeure cet entretien inédit avec Edmund Kemper, le meurtrier interprété par Cameron Britton dans la dernière série de Fincher. Un moment extraordinaire de cinéma où il se montre empathique dans son aisance à reconnaître tout le mal qu’il a commis. Il va même jusqu’à montrer les lunettes qu’il portait lorsqu’il commettait ses meurtres, lunettes qu’il compare avec humour à celles que le pénitencier lui a offertes. Il apparaît attachant, mais cela semble être le cas avec plusieurs tueurs en série (l’exemple de Ted Bundy, mentionné dans Killing of America, en est la preuve). Étonnamment lucide, ses paroles mériteraient une longue réflexion.

Kemper se décrit comme un Américain ayant tué des Américains. Un homme ayant tué des hommes.

Un produit de sa société.

La nôtre.

 

12. Conclusion

Quatre heures du matin. Donald Trump, à son habitude, ne dort pas. Dévorant un sac de Doritos, il remarque un Blu-ray sur sa table de chevet. Le titre l’intrigue, The Killing of America. Peut-être s’agit-il d’un film d’action. On ignore si le film lui a plu, mais au moins, il l’a vu.

 

13. In memoriam Dolores O’Riordan

« “I just shot John Lennon!

He saidI just shot John Lennon!

What a sad and sorry and sickening sight

It was a sad and sorry and sickening night »

 

 


[1] Bazin, André. 1951 [1998]. « Mort tous les après-midi », dans Le cinéma français de la Libération à la Nouvelle vague. Paris : Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma. p. 372.

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Critique publiée le 23 janvier 2019.