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Resident Evil: The Final Chapter (2016)
Paul W.S. Anderson

Sauver le monde par la citation

Par Sylvain Lavallée
Il faut commencer par la fin : ceux qui ont vu le RoboCop (1987) de Paul Verhoeven se rappellent sans doute de cette réplique jouissive, lors de la confrontation finale, le « You’re fired » permettant à RoboCop de tourner ses armes contre son employeur, sa programmation l’empêchant autrement de s’en prendre à lui. Nous retrouvons, à la toute fin de Resident Evil: The Final Chapter, un moment semblable, une intelligence artificielle qui veut mais ne peut pas confronter ses supérieurs, puis qui retrouve sa capacité à agir lorsque l’un d’eux se fait renvoyer par un même « You’re fired ». Paul W.S. Anderson n’en est pas à son premier emprunt, tout son cinéma en est un d’adaptation, de transposition, de citation, de sequel, etc., mais en général ce travail de patchwork amateur ne vaut que pour lui-même : Anderson ne crée pas de signification particulière en citant un film plutôt qu’un autre, l’objet de la référence est sans importance (c’est pourquoi on peut si facilement l’accuser de plagiat), il s’intéresse plutôt à l’acte même de la citation (ou de l’adaptation, de la sérialisation, etc.), comme nous le disions déjà cet automne à propos de son Resident Evil: Retribution, le précédent volet de la série. D’où la surprise que peut provoquer cette référence à RoboCop : cette fois, Anderson construit son discours à partir de cette intertextualité, en proposant par son œuvre une mise à jour de la réflexion amorcée par Verhoeven.
 
Devant une telle citation signifiante (attendons un peu avant de développer ce qu’elle signifie), il y a deux attitudes possibles : enfin !, diront ceux (ils sont nombreux) ne voyant dans ces films que de la série B aussi incompétente qu’imbécile ; mais pour les fans purs et durs, pour ceux qui se réclament du vulgar auteurism (il y en a moins, mais ils se sont fait entendre de plus en plus fort ces dernières années), il convient plutôt de se demander pourquoi, pourquoi tout à coup Anderson crée du sens par une citation. Pour le présent rédacteur, qui ne se considère pas particulièrement vulgaire, mais qui n’hésiterait pas à adouber Anderson au rang privilégié des auteurs (pourquoi distinguer certains types d’auteur ? n’est-il pas étrange ce qualificatif qui semble les placer en dessous des « vrais » auteurs ? quel type d’amour cinéphilique cela suppose-t-il ?), il faut répondre à ce pourquoi en reliant la citation de RoboCop à la mise en scène de The Final Chapter, radicalement différente de ce à quoi Anderson nous avait habitué, depuis Resident Evil: Afterlife en particulier. Adieu les scènes d’action au ralenti, en plans larges, et bienvenue le montage effréné, en gros plans ; nous voilà maintenant devant une esthétique privilégiant le choc des images à la limpidité des chorégraphies.
 
C’est que dans Afterlife et Retribution, Alice (Milla Jovovich) devait échapper à des contraintes spatiales : le monde se refermait autour d’elle comme cette grille de lasers quadrillant les couloirs des laboratoires d’Umbrella, les ralentis permettant de mettre en valeur les prouesses d’un corps se contorsionnant pour survivre, pour se faufiler dans un monde aplani, un monde qui fuyait pour se réfugier dans une base de données numériques (au monde apocalyptique d’Afterlife succédait le non-lieu des couloirs blancs reliant les diverses simulations de mondes dans Retribution : s’il n’y a plus de « vrai » monde, c’est parce qu’il a été échantillonné pour être recréé dans des laboratoires souterrains). Anderson étant toujours plus à l’aise dans des espaces restreints (la moitié de son cinéma se déroule dans des couloirs piégés), il trouvait avec Retribution une forme parfaite, un espace à la fois ouvert et fermé, bien représenté par cette banlieue américaine ensoleillée située en réalité sous les glaces de l’Arctique. Ouvert et fermé, aussi, parce que cet espace explicitement factice servait de terrain de jeu au cinéaste, comme s’il nous disait qu’il campait son cinéma à l’intérieur d’un espace créé par autrui (par Capcom, responsable de la franchise vidéoludique Resident Evil, mais aussi par le cinéma hollywoodien en général, cité abondamment par Anderson), et qu’il tentait de le dérégler, d’en exposer les coulisses, les mécanismes de production, en suivant une protagoniste, elle-même définie comme une créature industrielle, qui cherche à gagner sa liberté, comme lui en tant que cinéaste trouve sa liberté artistique en travaillant à partir du matériel d’autrui (tous ses films sont des adaptations). C’est le paradoxe magnifique que cultive Retribution, à la fois une mise à nu des illusions créées par le numérique, le CGI en premier lieu, et une célébration des possibilités nouvelles offertes par cette même technologie (dont la possibilité de créer un monde nouveau).
 
Encore dans Pompeii, le monde se refermait sur les protagonistes, condamnés dès la première image par le film lui-même, préfigurant le sort qui les attend nécessairement : quand le volcan explose, les rues de la ville se transforment en labyrinthe, et une fois sorti du dédale, la fuite reste inutile, les amants sont rattrapés par la lave qui les fige dans une étreinte éternelle. La première et la dernière image du film représentent ces corps figés dans le magma, comme une sculpture numérique conservant la « trace » de cet amour ; mais puisqu’il s’agit d’une image créée par ordinateur, il n’y a justement pas de trace, d’empreinte, Anderson représentant par cette image foudroyante (facilement l’une des plus belles que le cinéma nous a offertes ces dernières années) le désir du numérique de simuler l’image photographique, son désir de s’inscrire dans cette tradition d’un « moule » du réel, comme la lave moulant ces amants pour les préserver contre le temps (non sans les tuer : ils sont fixés à jamais dans un moment, celui d’un amour qu’ils ne pourront pas vivre, ce qui nous fait penser à cette phrase célèbre de Susan Sontag comparant la photographie à un masque mortuaire). La puissance de cette image réside toutefois dans son ambiguïté, qui annonçait déjà The Final Chapter : même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une « empreinte », cette sculpture numérique conserve quelque chose de ces deux amants, elle n’est pas moins mélancolique (au contraire) que pourrait l’être une image photographique, mais c’est en annonçant son statut factice qu’elle y parvient, en effectuant une comparaison implicite entre ses propres moyens (la simulation) et ceux de la pellicule (le moule), en refusant, donc, toute représentation naturaliste d’une étreinte amoureuse pour y préférer une image quasi abstraite (même les traits des acteurs sont effacés), arrachée au contexte narratif (elle flotte dans le vide, sur un fond noir).
 
The Final Chapter reprend la réflexion exactement à ce point — d’ailleurs, les trois derniers films d’Anderson forment une trilogie beaucoup plus cohérente que ne peut l’être la franchise Resident Evil elle-même, qui de toute façon n’a rien de bien remarquable avant Retribution — en présentant à Alice un nouveau défi, temporel plutôt que spatial. D’un point de vue narratif, ce défi se présente sous la forme d’un compte à rebours menant, littéralement, à la fin des temps, à l’extermination de l’humanité : on apprend à Alice au début du film qu’elle doit revenir vers la Hive, les laboratoires d’Umbrella du premier Resident Evil, afin d’y dénicher un antivirus à libérer dans l’atmosphère et ainsi tuer tous ceux qui sont infectés par le T-Virus (c’est-à-dire les zombies et les mutants). Mais d’ici 48 heures, l’humanité entière serait infectée et il n’y aurait plus rien à sauver – évidemment, cela ne fait aucun sens, puisqu’on imagine que la disparition de l’humanité est un processus graduel, se réalisant à mesure que les zombies avancent, alors combien d’hommes restera-t-il à sauver si on attend à la toute dernière seconde, suspens oblige, pour libérer l’antivirus (dont l’effet, de surcroît, peut difficilement être instantané sur toute la planète) ? Peu importe, Anderson nous a habitués à ce genre de raccourcis, simples prétextes pour sa mise en scène. Car ce qu’il faut retenir de ce scénario, c’est simplement l’idée qu’après avoir traversé l’espace créé par la machine dans Retribution, Alice doit cette fois affronter la temporalité de la machine pour se créer un devenir à travers le présent perpétuel de l’image numérique, c’est-à-dire une image recréée en temps réel au moment de la projection grâce à des calculs complexes et ultra-rapides qui nous demeurent invisibles, effectués par un ordinateur qui, au mieux, simule ainsi un temps passé, lorsqu’il représente ce qui a été capté par une caméra sur un plateau de tournage, mais qui souvent crée plutôt un espace-temps qui n’existe qu’au présent de sa projection (le CGI ne faisant aucunement référence à un temps passé réel). Tout se joue alors comme si Alice se lançait dans une course folle contre le montage lui-même, ou contre cette machine invisible qui fait défiler les images à un rythme insoutenable. Cette multiplication des images ne propulse pas le film vers l’avant, il le maintient plutôt dans un état de stagnation, le choc perpétuellement renouvelé des images étant plus important que leur relation causale, temporelle, les images s’effaçant les unes les autres pour empêcher la protagoniste de mener à bien une action cohérente. Dit autrement : Alice se débat contre ce type de montage débridé si décrié par les aficionados du cinéma d’action classique, mais en maintenant une ligne droite (elle suit la route), un objectif clair (rejoindre la Hive, les laboratoires d’Umbrella où se déroulait le premier film de la série), Alice réussit à garder l’action relativement limpide. Non sans l’aide d’Anderson (et son monteur, Doobie White, emprunté au duo Neveldine/Taylor), toujours à la fois l’allié d’Alice et son ennemi, comme dans Retribution, où Anderson s’identifiait à Umbrella (puisque la corporation simulait dans ses laboratoires les films précédents de la franchise) tout en s’en distanciant (puisqu’il s’identifie aussi à Alice et à sa quête de liberté) ; ici encore Alice se bat contre la forme du film, la même forme qui lui permet d’exister.
 
Avec The Final Chapter, Anderson pousse jusqu’au bout cette logique faisant d’Alice une simple image se débattant dans un monde d’images : arrivée au bout de son parcours, Alice découvre qu’elle est une propriété d’Umbrella, qu’elle est en réalité un clone. Plus exactement, Alice est un clone d’Alicia, la fille d’un des fondateurs d’Umbrella, interprétée par une Milla Jovovich vieillie et en fauteuil roulant, et il s’avère aussi que l’antagoniste principale des films précédents, la Red Queen, l’intelligence artificielle gérant la sécurité d’Umbrella, prend la forme visible de l’enfant qu’était autrefois Alicia – qui elle est interprétée, on n’en sera pas étonné, d’autant moins que cette fois la Red Queen se retourne contre Umbrella, par la fille de Jovovich et d’Anderson. Alice, en somme, n’est qu’une sorte de clone de l’actrice Milla Jovovich, elle n’est rien de plus que son image cinématographique. D’ailleurs, elle apprend qu’elle est entrée en fonction lors de son réveil au début du premier film de la série, qu’elle n’a donc pas de passé en-dehors de la franchise, et au fond elle se bat pour se créer un avenir au-delà de la dernière image de The Final Chapter. Le compte à rebours qu’elle doit affronter, c’est donc celui du temps de la projection, il est déjà implicite dans ce titre annonçant qu’il s’agit du dernier chapitre. C’est la fin de « son » histoire, celle d’Alice, comme elle nous le rappelle au début de chaque film (« this is my story ») : pour contrecarrer les plans d’Umbrella, il faudra (évidemment) qu’Alice se sacrifie, elle ne peut pas survivre à la projection.
 
C’est à ce moment, alors que l’image rassemble dans un même espace trois variations sur Milla Jovovich, à trois âges différents (autre manifestation de la temporalité de l’ordinateur, de sa capacité à défier notre expérience linéaire du temps en rassemblant dans un même espace trois temps différents), alors qu’Alice se trouve réduite à un simulacre sans volonté propre (elle suit depuis le début les instructions de la Red Queen), c’est à ce moment que surgit l’emprunt à RoboCop. Et justement, dans le chef d’œuvre de Verhoeven, nous avions un personnage, Murphy, un homme réduit à rien, presque mort, au corps sauvagement détruit, enfermé dans une machine appartenant à une Méchante Corporation semblable à Umbrella ; la résistance de Murphy à son carcan de métal, à sa programmation, c’était aussi la résistance à la machine capitaliste, au mercantilisme, à cette société dystopique (mais pas si dissemblable de la nôtre) que le film représentait à grands coups de caricature. Plus encore, Verhoeven nous renvoyait à la nature même du cinéma, au fait que la caméra est avant tout une machine et le cinéma un produit industriel, la tâche de l’artiste étant (entre autres) de redéfinir l’homme à travers ce regard machinique, de détourner de l’intérieur cette machine dorénavant omniprésente dans nos vies en y illuminant les possibilités humaines (sans donc renier la machine, c’est pourquoi il y a une redéfinition, et non un repli sur des définitions humanistes surannées). Alors quand RoboCop visitait l’ancienne demeure de Murphy, Verhoeven alternait entre des plans de la vision de RoboCop au présent, en vidéo, et des plans subjectifs montrant les souvenirs de Murphy, ceux-ci en pellicule : au-delà de l’association fort éloquente de la vidéo à un médium du présent et la pellicule à un médium du passé, du souvenir, Verhoeven nous signifiait aussi que le cinéma peut transcender la machine en exprimant une subjectivité humaine, et que cette résistance, le fondement de tout son cinéma, est à peu près tout ce qu’il nous reste aujourd’hui.
 
Ce aujourd’hui, pour lui, c’était 1987, mais le cinéma de 2017 n’est plus le même, la nature de la machine a changé, alors de la figure du robot, d’un homme enfermé derrière une lourde carcasse métallique bien matérielle, il faut passer, on l’aura compris, à la figure du simulacre, d’une image sans référent, sans passé ni avenir, traversant un monde déréalisé. Il serait bien vain de déplorer ce simulacre en prônant un retour en arrière (en dénigrant toute forme de CGI par exemple, ou en faisant semblant que nous ne sommes pas devenus, nous aussi, des simulacres, dans notre vie électronique), comme il aurait été vain d’extirper Murphy hors de RoboCop : bien plutôt, il faut reprendre le défi de Verhoeven et se demander comment redéfinir l’humain au sein de la machine actuelle (parce qu’après tout, le numérique est une expression de notre contemporanéité, non un « danger » ou une « menace », bien qu’il puisse l’être aussi), comment en faire une force agissante plutôt qu’une victime du système. Chez Anderson, à l’instar de son prédécesseur, la résistance ne peut se mener que depuis l’intérieur de la machine, depuis un cinéma qui brandit fièrement ses effets spéciaux numériques, qui se veut une adaptation d’une série de jeux vidéo (même si les liens sont à peu près inexistants), qui a toutes les apparences d’un produit commercial (plus encore que l’était RoboCop), qui adopte l’esthétique au goût du jour, bref depuis un cinéma que l’on pourrait facilement qualifier d’anonyme, indistinct, pensé et filmé par une machine, un ordinateur (Anderson, n’oublions pas, s’identifie aussi à Umbrella).
 
Et cette façon de travailler explicitement depuis l’intérieur est d’autant plus importante aujourd’hui qu’il n’y a peut-être plus d’en-dehors de la machine – rien en-dehors de la franchise, pas de passé ni d’avenir, notre monde n’est plus qu’un produit dérivé. Quand Alice pense se révolter contre Umbrella, en réalité elle les nourrit, la corporation surveille ses moindres faits et gestes afin de perfectionner leurs clones, de même que toutes les traces électroniques que nous laissons derrière nous sont utilisées pour nous revendre notre propre identité, nos affects, à travers des produits spécialement conçus et choisis pour nous. Il fut un temps où revendiquer son existence publiquement, en particulier toutes ces identités invisibles, marginales, semblait un moyen valable d’ébranler le système, mais aujourd’hui il n’attend que cela, il nous fournit les moyens de s’exprimer à coups de like, de tweet, de post, à travers une foule de forums virtuels, de moyens d’évaluation, pour mieux ensuite nous recommander telle ou telle identité : je vous connais mieux que vous vous connaissez vous-mêmes nous disent Netflix, Amazon, Facebook, etc., nous vous surveillons pour mieux vous servir. Comme Alice, nous devons faire face à, jouer avec et contre, cette intelligence artificielle qui nous connaît mieux que nous-mêmes, et qui assure son contrôle en nous offrant la liberté de choisir, mais seulement à partir de matériaux présélectionnés, de logiciels, de sites ou d’infrastructures préconçus, d’une base de données préétablie — d’où la créativité par le cut and paste, ou le règne des fans dont le pouvoir s’exprime par leur capacité à rentabiliser les créations d’autrui (avec tout leur travail non rémunéré de fanfiction, mod, patch, etc.) Pas question de nier la qualité bien réelle de certaine de ces manifestations, ou de négliger la puissance communautaire des réseaux sociaux, mais comme Anderson, il faut tout de même se demander comment utiliser le potentiel de nos technologies numériques sans se faire anéantir par la machine qui les soutient, ou comment éviter d’être récupéré, exploité, cloné ?
 
Ce qui nous ramène à notre question : pourquoi citer RoboCop ? D’abord pour ce projet commun de résistance par le cinéma, mais aussi parce que Verhoeven définissait l’humanité de Murphy par sa capacité à se souvenir malgré la machine. Or, comme dit plus tôt, l’image numérique peine à se souvenir, à représenter un monde passé (il n’y a plus d’empreinte du « monde » ou du « réel »), elle est plutôt maintenue dans un présent perpétuel : dans ce cas, peut-être que le souvenir, au cinéma, s’exprime mieux aujourd’hui par un tel jeu intertextuel, par une mise à jour (ce qui implique un écart temporel signifiant) de la proposition d’un autre cinéaste ; Anderson, en se souvenant du cinéma, et en s’identifiant à Umbrella (en travaillant dans un espace créé par Capcom), s’identifie implicitement à Murphy/Verhoeven, l’homme dans la machine.
 
De plus, il y a Alice, qui, comme Murphy avant elle, parvient à se retourner contre ses créateurs — mais pour cela, il faut d’abord qu’elle soit exposée, qu’elle accepte sa nature de simulacre, de la même manière que la dernière image de Pompeii devait s’afficher comme simulation pour arriver à exprimer l’amour des personnages. Il semblerait que pour exploiter les incroyables richesses du CGI, il faut éviter d’en faire une illusion, un trompe-l’œil — c’est-à-dire qu’il ne faut pas en faire une forme d’alternative fact, un outil de contrôle aux mains des Tout-Puissants (les technologies ne détruisent pas le monde par elles-mêmes, dans The Final Chapter, c’est plutôt l’élite mondiale, avec Umbrella, qui cherchent à travers elles à recréer un monde à leur image, et qui déclenche ce faisant une épidémie de zombies, une apocalypse du même, une masse anonyme dont la seule volonté serait de consommer jusqu’à en détruire le monde). C’est à ce prix, uniquement, qu’Alice pourra survivre : elle pose un geste humain, altruiste, précisément parce qu’elle croit être un clone, et c’est ainsi qu’elle pourra être sauvée. Autrement dit, elle n’a pas besoin de retrouver une unité perdue, de revendiquer son originalité ou son individualité, comme la star hollywoodienne le ferait (comme d’ailleurs le faisait Tom Cruise dans Oblivion). Au contraire, s’il y a un devenir dans le cinéma contemporain, pour Anderson, il s’exprimerait dorénavant par un personnage fictif (pas un de ces entre-deux entre l’acteur et la fiction, comme l’était la star), voire un produit dérivé, qui refuse cette individualité dont se nourrit la machine (sans, non plus, cacher sa nature fictive, seconde)  : dans un monde de simulacres, le référent original s’est perdu, le concept même d’originalité n’a plus aucun sens (ou du moins il doit être repensé en termes de répétition et de variation, comme Alice peut absorber les souvenirs d’Alicia mais ne devient pas Alicia pour autant), alors il est impossible de retourner vers le monde « réel » (ce ne serait qu’une autre illusion).
 
Un homme nouveau – une femme nouvelle plutôt, ce n’est pas un hasard si cette redéfinition de l’humain passe par une héroïne, dans un genre, le cinéma d’action, presque exclusivement masculin – naît ainsi à la fin de The Final Chapter, en phase avec sa nature de simulacre (un mauvais terme, sûrement, mais il convient en attendant d’en trouver un meilleur), une sorte de simulacre libre, affranchi de la machine capitaliste qui l’a créé (elle se trouve un avenir dans l’hors-champ vers lequel elle s’enfonce au dernier plan). On pourrait s’en désoler (qui rêve d’être un simulacre ?), mais peut-être qu’Anderson trouve là l’une des dernières formes de résistance qu’il nous reste aujourd’hui.
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Critique publiée le 21 mars 2017.