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Teenage Mutant Ninja Turtles: Out of the Shadows (2016)
Dave Green

Bouchées doubles de pizza à la nostalgie

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Je me souviens comme si c’était hier du jour où j’ai vu le Teenage Mutant Ninja Turtles de 1990 pour la toute première fois. Je me rappelle encore de l’enthousiasme débordant avec lequel j’avais affirmé, en revenant à la maison, qu’il s’agissait du meilleur film de tous les temps. Ce qui est étonnant, c’est de voir que même avec le recul le long métrage de Steve Barron a somme toute plutôt bien vieilli. Il ne s’agit pas, comme je le pensais du haut de mes cinq ans, du plus remarquable des accomplissements de l’histoire du septième art. Mais il s’en dégage néanmoins une atmosphère particulière, qui justifie amplement la place privilégiée qu’il occupe dans la culture populaire de son époque. On peut dire qu’il s’agit d’un classique, à sa manière.
 
On ne peut certainement pas en dire autant du Teenage Mutant Ninja Turtles de 2014, qui exploitait avec une mesquinerie particulièrement paresseuse la nostalgie d’une génération entière pour le concept saugrenu de tortues géantes friandes de pizza et d’arts martiaux. Si le film de Jonathan Liebesman ne faisait visiblement aucun effort, Teenage Mutant Ninja Turtles : Out of the Shadows s’avère considérablement plus honnête dans sa démarche. Il s’agit bien évidemment d’un « mauvais » film, au cours duquel on se dit à maintes reprises : « holy cowabunga dude, qu’est-ce que je suis en train de regarder là ? », mais il s’en dégage tout de même une innocence vaguement attachante qui faisait cruellement défaut à son prédécesseur et qui rappelle, à plusieurs égards, le délirant dessin animé culte inspiré des exploits de Leonardo, Donatello, Raphaël et Michelangelo.
 
Faisons abstraction, pour un bref instant, de ce romantisme illusoire engendré par notre nostalgie collective : ce dessin animé existait dans le seul et unique but de faire la promotion de figurines de plastique vaguement inspirées par le comic book créé quelques années plus tôt par Kevin Eastman et Peter Laird. L’univers de la série télévisée servait à justifier la création de nouveaux jouets, les idées mises de l’avant par celle-ci se transformant invariablement en marchandise ; et Out of the Shadows donne pour sa part l’impression d’avoir été conçu entièrement à partir du souvenir laissé par la formidable constellation de produits dérivés générée par cette vaste entreprise. Une poursuite mettant en vedette un camion de poubelles truffé de gadgets ressemble carrément à une publicité pour le jouet qui en sera inévitablement tiré.
 
Pour le meilleur comme pour le pire, le film de Dave Green épouse la logique décousue d’un gigantesque cartoon qui tenterait tant bien que mal de contenir le plus de références possible à la série originale. La liste impressionne par son exhaustivité particulièrement généreuse : on a ici droit à Krang et au Technodrome, à Bebop et à Rocksteady, à Casey Jones et à Baxter Stockman tel qu’interprété par Tyler Perry. La narration, quant à elle, nous passe dessus comme un dix-huit roues dévalant à toute allure sur l’autoroute de l’absurde : les scènes totalement improbables s’enchaînent à un tel rythme que l’on arrive à peine, après la projection, à se souvenir exactement de la logique selon laquelle elles ont défilé à l’écran. Comment a-t-on abouti au beau milieu de la jungle brésilienne ? L’interrogation a à peine le temps de prendre forme dans notre esprit avant d’être éclipsée par la vision saisissante d’un tank émergeant brusquement d’une rivière — suite à un écrasement d’avion spectaculaire.
 
Out of the Shadows prend pour acquis que le spectateur ne se posera pas de questions et ne s’en pose pas trop non plus : il ne prend même pas la peine d’inventer un nom scientifique bidon pour le « purple ooze » qui lui sert de temps à autre d’enjeu dramatique. Il suffit d’ailleurs de comprendre qu’en rassemblant trois pièces d’un quelconque bidule cosmique échappé d’un Transformers de Michael Bay, un portail dimensionnel sera créé pour saisir l’essentiel du scénario. L’intrigue ne sert qu’à créer des images, au détriment du sens. Même Megan Fox semble oublier qu’April O’Neil est journaliste, trop occupée qu’elle soit à afficher d’un bout à l’autre du film la même moue vaguement sexy qui la définit entièrement. Le film nous présente ses quatre héros à trois reprises, comme pour s’assurer que nous n’avons pas oublié lequel était lequel. Il ne nous épargne aucune tactique stupide pour s’assurer que nous comprenons le peu qu’il y a à comprendre.
 
Assurément, Teenage Mutant Ninja Turtles : Out of the Shadows relève du divertissement de fond de poubelles. Il l’assume d’ailleurs entièrement, se vautrant avec un enthousiasme presque contagieux dans sa propre débilité ordurière. Il nous gave, nous bombarde, ne nous demande jamais si nous en voulons plus avant de nous servir sans aucune modération une autre belle portion de gros n’importe quoi. Il nous en donne pour notre argent, tout en nous rappelant constamment que nous venons de gaspiller cet argent. Il livre avec aplomb la marchandise espérée : la nostalgie crasse, la grossièreté bruyante, l’action sans nuance. C’est un produit frénétique et vulgaire, dépourvu du moindre bon goût. Il s’en dégage malgré tout une étrange sincérité, comme si Dave Green réalisait lui aussi un rêve d’enfance sous la forme de cette pizza dégoulinante de fromage dont on mange forcément une pointe de trop, avant de se rouler de peine et de misère jusqu’à la maison en disant « plus jamais » — feignant de manière peu convaincante le regret, tout en sifflant candidement la chanson-thème d’un dessin animé bien meilleur dans nos souvenirs qu’il ne l’est réellement.
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Critique publiée le 11 juin 2016.