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WolfCop (2014)
Lowell Dean

Une histoire de Lou Garou

Par Olivier Thibodeau
Hybride de genre typique au titre grossièrement évocateur, WolfCop nous apparaît moins comme un hommage au cinéma des années 80 que comme une œuvre inédite de cette époque, gemme oubliée qu’on aurait retrouvée sur une tablette inatteignable dans un entrepôt poussiéreux. La prédilection du film pour les gags visuels grossiers, la violence gore et les scènes de sexe sulfureuses, son utilisation anachronique de maquillages et de prothèses en latex, sa position éminemment anti-technologique, son usage de nombreux montages thématiques, bref tous les aspects de la production nous font participer à un excitant voyage vers le passé, là où le cinéma de genre à usage unique était encore imbu d’une énergie contagieuse. Tourné dans une petite ville enneigée de Saskatchewan avec l’aide d’une distribution pancanadienne ad hoc, le film pourrait aussi bien se dérouler dans la Nouvelle-Angleterre de Stephen King, théâtre de frasques monstrueuses plus nombreuses qu’on ne pourrait se le remémorer.

Alcoolique impénitent, paresseux et irresponsable, l’agent Lou Garou (délicieux calembour dont on doutera de l’efficacité dans le reste du Canada) est devenu la risée de la petite ville forestière qu’il patrouille les yeux mi-clos. Les choses vont vite changer lorsqu’il sera forcé d’investiguer les prétendues activités sataniques d’un groupe d’individus se réunissant périodiquement dans les bois. Parti à leur recherche un soir de pleine lune, il sera fait prisonnier, puis utilisé lors d’un étrange rituel qui le transformera en créature de la nuit. Se réveillant le lendemain avec un excès de pilosité au menton et un pentagramme gravé sur la poitrine, Lou sera prompt à célébrer sa nouvelle condition, usant de sa force accrue et de son odorat raffiné pour mieux exercer son travail de flic et nettoyer la ville de la racaille qui y prolifère, s’imposant comme le justicier titulaire dont les membres poilus dépassent allégrement des manches déchirées de son uniforme. Il ne réalisera par contre pas tout de suite l’étendue du maléfice qui pèse sur lui, lequel est intimement lié à un secret jalousement gardé par les citadins depuis plus d’un siècle.

Construit presque uniquement d’amusants lieux communs, le scénario du film ne nous réserve que très peu de surprises, préférant nous resservir de petits plaisirs familiers plutôt que de s’aventurer dans le domaine incertain de l’innovation. À ce titre, on notera d’emblée l’hybridité surdéterminée du film, comédie d’horreur à saveur policière dont le titre semble en télégraphier le contenu exact. Le contexte socioculturel ne nous semblera d’ailleurs pas plus étranger alors que nous visiterons ce qui semble être l’énième itération de la même communauté forestière passe-partout, théâtre de presque tous les drames surnaturels survenus depuis le début des années 80. Quant au thème de la lycanthropie, il ne fait l’objet que d’un résumé succinct, lequel s’intéresse principalement à y ajouter des éléments farfelus et inutiles qui justifieront les quelques virages narratifs abrupts survenant en fin de parcours. Insatisfait des limites du drame d’horreur forestier, le film inclura des thèmes propres au drame policier urbain, principalement celui d’une criminalité rampante irrésistible que seul pourra défaire un vertueux justicier surhumain.

Il devient alors facile de se prêter au jeu de la référence, évoquant le Robocop (1987) de Paul Verhoeven, mais surtout le Full Eclipse (1993) d’Anthony Hickox, dont l’antagoniste principal est incidemment nommé Adam Garou. On peut ainsi retracer les influences du film jusqu’à l’époque contemporaine, alors que sa représentation de la vie locale nous apparaîtcomme la version politiquement correcte de celles contenues dans Slither (2006) et Hobo with a Shotgun (2011). Tirant du premier film l’idée d’un dangereux festival de chasse pour péquenots ivres, il tire du second celle d’un syndicat du crime tentaculaire représenté par de jeunes voyous assoiffés de sang. Il vole également à celui-ci toute la scène d’introduction, émulant la caméra de Karim Hussain grâce à une séquence campagnarde aux couleurs sursaturées nous rappelant immédiatement le cinéma d’exploitation des années 70. La comparaison s’arrête là jusqu’à l’apparition d’un jeune caïd au visage poupin (Jesse Moss) qui ne manque pas de nous rappeler le sadique Slick du film de Jason Eisener. On reste donc confortablement assis dans l’univers du pastiche, se délectant des nombreuses comparaisons que notre esprit de connaisseur pourra invoquer au fil du récit.

Bien qu’il ne dépasse jamais les limites préétablies par de nombreuses années de conventions narratives, le film crée néanmoins un spectacle visuel riche et satisfaisant, exacerbant certains des plus amusants clichés du genre pour la satisfaction d’un public aguerri, mais toujours avide. Outre les superbes plans d’ensemble aériens capturant la beauté bucolique du lieu de tournage, tous les incontournables du genre sont somptueusement rendus pour en maximiser l’effet. Les séquences d’action gore s’avéreront donc débordantes d’hémoglobine et de démembrements brutaux, permettant à l’équipe d’effets spéciaux de démontrer toute l’étendue de son art. Celle-ci sera également mise à profit lors des scènes de transformation, séquences salissantes à souhait où la peau distendue de Lou se déchirera en de nombreux endroits inconfortables, justifiant un gros plan sur sa bite monstrueuse émergeant d’un amas de chair boursouflé. Cet appendice velu trouvera son importance plus loin dans le film, alors que le protagoniste affligé partagera l’intimité d’une séduisante barmaid lors d’une torride scène de sexe. Se déroulant dans l’unique geôle du poste de police, cette séquence contient tous les éléments-clé d’un érotisme triomphant, costume affriolant de chaperon rouge, bougies décoratives un peu partout, seins nus caressés par des pattes poilues, le tout accompagné par une balade romantique tout droit sortie de Top Gun (1986). Et même si cette scène ne sert qu’une fonction accessoire au drame, elle se révèle comme un brillant objet de spectacle, à l’instar du film lui-même, pour qui tout le drame est accessoire.

Si l’on peut reprocher quoi que ce soit à Wolfcop, c’est la fadeur extrême de certains personnages secondaires, en particulier les collègues de Lou dont chacune des interventions semble purement obligatoire, ainsi que la complexité inutile de sa mythologie. Dévoilée lors d’une séquence d’enquête à saveur délicieusement rétro, succession de coupures de journaux et de notes manuscrites cadrées en gros plan pour mieux les rendre intelligible aux spectateurs myopes, celle-ci ne se cantonne pas aux seuls effets de la pleine lune et des balles d’argent, incluant plutôt de nombreux éléments farfelus inédits. On apprendra donc les effets d’une éclipse lunaire sur les lycanthropes, ainsi que l’importance de ceux-ci pour une caste de doppelgangers immortels. Élaborée pour mieux épaissir le récit, liant le destin de la ville à celui du père de Lou, cette leçon d’histoire se perd en fioritures inutiles, complexifiant indûment un récit pourtant très simple avec une série de révélations décevantes et incongrues qui nous rappellera la conclusion de Hot Fuzz (2007), énième modèle pour Lowell Dean dont le seul souvenir constitue la preuve finale de la nature postmoderne et nostalgique de l’œuvre.
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Critique publiée le 13 août 2014.