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Cas Roberge: Le film, Le (2008)
Raphaël Malo

Film entre guillemets

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Rejeton « cinématographique » (les guillemets sont ici de rigueur comme rarement elles le furent de mémoire d'homme) d'une série de sketchs au succès somme toute très relatif diffusés par l'entremise du réseau internet, Le Cas Roberge: Le film prouve une fois de plus que la frontière entre le petit et le grand écran s'est estompée de manière drastique au cour des dernières années. Il ne s'agit pas d'une simple convergence des canons esthétiques, quoique la mise en scène de Raphaël Malo ne dépasse jamais en termes d'envergure celle d'une mauvaise capsule humoristique d'émission de variété, mais bien plus encore d'une agglomération putrescente autour de l'univers culturel télévisuel : de ses vedettes, de ses coulisses et même de ses fondements publicitaires. En résulte un film incestueux, étalant dans un élan de grossier narcissisme les états d'âmes médiocres de quelques ratés du show-business québécois qui tout en jouant la carte de l'auto-dérision timide et convenue en profitent surtout pour se mettre une fois de plus en valeur. Si, de prime abord, le synopsis de ce sketch boursouflé jusqu'à l'insupportable marque des 98 minutes semble l'expression d'un ras-le-bol généralisé quant à l'état de ce milieu, la réalité est toute autre : derrière quelques attaques molles, le film qui progresse à coup de caméos et de tapes dans le dos réaffirme surtout l'importance que s'accorde ce petit monde fermé aux préoccupations « profondes » d'une superficialité tout bonnement démoralisante.

Le nombrilisme du Cas Roberge est parfaitement assumé, mais il n'est jamais transcendé; exercice d'auto-contemplation parfaitement insignifiant, tout le long-métrage n'est qu'une occasion pour Benoit Roberge, Jean-Michel Dufaux, Stéphane E. Roy et Sébastien Benoît de nous livrer leur pâle copie d'un film de Ricardo Trogi et du malaise mâle que ce dernier met en scène. Mais il ne se dégage aucun propos tangible de ce ramassis de cynisme et de réflexions prédigérées que débitent sans naturel ces non-comédiens qui pourtant jouent la carte de l'autobiographie romancée. Plutôt, leur scénario s'éternise sur l'éculé sujet de la panne d'inspiration en lançant Stéphane et Benoît sur la piste de Jean-Luc Godard en Abitibi - ce qui donne lieu à une pléthore de scènes humoristiques ratées trahissant de surcroît le flagrant parti pris anti-intellectuel d'auteurs n'étant aucunement en contrôle de leur sous-texte. Nos deux écrivains en exil n'ont de toute évidence jamais visionné l'oeuvre du célèbre cinéastes franco-suisse, mais s'émoustillent à l'idée de partager une chambre avec l'esprit de ses mégots. Ils n'ont pas, non plus, écouté le dix dernières minutes du fameux documentaire Mai en décembre de Julie Perron qui sert de prétexte à leur escapade. Et lorsqu'enfin un professeur du coin éclaire nos deux hurluberlus quant à la véritable nature du voyage de Godard à Rouyn, le constat s'arrête au terme « échec » alors que la leçon aurait visiblement dû se rendre plus loin...

Dans Le Cas Roberge, les références ne dépassent jamais le stade de l'évidence; auteurs et réalisateurs sont mentionnés en guise de décoration, comme s'il suffisait d'en nommer deux ou trois pour se mériter le titre d'intellectuel. Cet étalage de culture bidon témoigne d'une fausse érudition qui sied bien au Woody Allen de pacotille qu'interprète un Benoit Roberge complètement dépourvu de charme et de charisme. Crédibles en petits bourgeois du Plateau Mont-Royal, Roberge et ses camarades semblent plus à l'aise lorsqu'ils se pavanent dans une « hypertaverne » que lorsqu'ils s'aventurent dans une librairie ou discutent de spiritualité entre eux. Malheureusement, l'absence totale de distance entre acteurs et personnages rend fragile toute tentative d'interprétation critique. À cet égard, les intentions des créateurs sont totalement confuses - mais force est d'admettre qu'il est peu pertinent de leur donner le bénéfice du doute tant leur écriture est maladroite et leurs personnages méprisables. Le film capitalise sur un rapport d'ambiguïté entre réel et fiction qui au final ne le dessert pas vraiment: il s'agit d'une stratégie d'écriture paresseuse, exigeant du spectateur qu'il établisse des liens entre une réalité vaine et une fantaisie superflue. Les participants, l'ego gonflé à bloc, fondent toute la « substance » de leur performance sur leur statut de vedette.

Tourné « entre amis », mais pour la somme inconcevable de 1.2 millions de dollars, Le Cas Roberge ne tire aucun réalisme de sa technique précipitée - pour ne pas dire complètement bâclée. La facture visuelle du projet tient carrément de l'insulte au médium cinématographique: l'image est déformée par de piètres choix d'objectifs et le montage retombe fréquemment sur des transitions télévisuelles terriblement convenues pour lier des scènes tournées sans le moindre flair. Mais, au-delà de cette esthétique déplorable, le problème du film repose sur la nature horriblement présomptueuse de son concept de base. Le Cas Roberge s'avère une conséquence sans pertinence de l'autosuffisance d'un certain milieu « culturel » québécois qui, s'il expose ici certains doutes quant à sa valeur, ne se remet jamais en question de manière sérieuse. Ces marchands d'insignifiance professionnels, crachant avec mépris sur le grand public qui a fait leur succès, se tournent en désespoir de cause vers une haute culture qu'ils ne comprennent qu'en surface - et traitent au bout du compte avec un dédain risible. Croyant qu'il peut impunément se payer la gueule de tout le monde, Benoit Roberge accouche d'une oeuvre sans humilité dont il constitue l'unique public et l'ultime pitre. Séquelle d'un succès illusoire sur la toile, ce long-métrage exécrable mérite pleinement sa déconfiture au box-office. Espérons maintenant que les producteurs en tireront quelques leçons.
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Critique publiée le 22 août 2008.