ENTREVUE AVEC RIAD SATTOUF
Samedi 31 Octobre 2009

Par Mathieu Li-Goyette et Jasmine Pisapia

Visiblement consacré cinéaste grâce à l'accueil phénoménal par le public et la critique de ce premier film, Riad Sattouf et ses Beaux gosses ont fait parlé d'eux à Cannes et en France depuis mai dernier alors qu'ici, le bédéiste de profession (Manuel du puceau, Ma Circoncision, La Vie secrète des jeunes) était de passage au Festival du nouveau cinéma pour présenter son opus. Sur le matin de son départ, c'est avec heureux plaisir que nous sommes allés à sa rencontre question de se porter sur des questions d'intermédialité, d'adaptation et du défi qui s'est présenté à lui en décidant de faire de ses premiers pas au cinéma un baptême de feu qui allait être partagé par la majorité d'une distribution composée de non-acteurs. Défi relevé avec brio, voici le compte-rendu des défis, stratégies et pensées de Riad Sattouf sur le monde du cinéma - pour faire changement - vu et revu par un bédéiste.

Panorama : Récemment, dans le cinéma américain, il y a eu plusieurs cas cliniques d’adaptation cinématographique de bande dessinée où l’interprétation était un calque systématique. Est-ce qu’adapter un chef-d’oeuvre implique de faire un autre chef-d’oeuvre? L’exemple du Watchmen de Moore adapté par Snyder s’avère peut-être comme l’un des meilleurs exemples.

Sattouf : En fait, je n’ai jamais été fan des adaptations. Les Beaux gosses ce n’est pas une adaptation de mes bédés. Je n’aime pas trop quand on prend une bande dessinée et qu’on l’adapte au cinéma. J’aime bien quand la bande dessinée se suffit à elle-même et que l’attrait du cinéma est… presque commercial. J’ai l’impression que l’on pourrait adopter des Corn Flakes au cinéma. Par exemple, Star Wars, c’est du cinéma, c’est une histoire originale et j’aime bien à l’inverse des Batman qui, bons comme ils peuvent êtres, n’approchent pas les différentes versions en bande dessinée qu’il y a eu.

Panorama : Dans Les Beaux gosses, il y a une maîtrise assez remarquable du montage pour créer le gag. En parallèle, il y a aussi l’utilisation d’un certain montage en bande dessinée qui permet la création visuelle du gag. Jusqu’à quel point avez-vous donc été responsable du montage cinématographique ici?

Sattouf : La monteuse, Virginie Bruant, je l’ai choisie parce que j’aimais sa façon de rigoler aux blagues du scénario. Je l’a trouvais intéressante parce qu’elle ne riait pas nécessairement lorsqu’il y avait des blagues par rapport aux humains qui interagissent entre eux. Elle riait le plus souvent aux situations et aux ambiances. La première version du film qu’elle a fait faisait 2h10 et on a finit par passer à 1h30. J’étais assis à côté d’elle et on n’arrêtait pas de couper. Couper, couper et couper pour en venir à tasser 40 minutes de notre film. En fait, c’est vrai que ça n’a rien à voir avec la bande dessinée, c’est très difficile de faire un parallèle entre les deux.

Panorama : Au niveau des personnages, il y a une démarche caricaturale très expressive et très travaillée qui n’est pas non plus éloignée des personnages de bande dessinée.

Sattouf : Je ne sais pas. C’était vraiment des choses très différentes parce que, dans le film, la personnalité des personnages était très influencée par la personnalité des interprètes eux-mêmes. Comme dans le film, les acteurs étaient terriblement obsédés! [rires] Alors qu’en bande dessinée, ça vient de moi. C’est vraiment très dur et je n’arrive pas nécessairement à y voir un lien dans ma démarche.


RIAD SATTOUF

Panorama : Donc pour vous, le travail avec les acteurs est au moins la première différence que vous avez remarquée en rapport avec votre travail de bédéiste.

Sattouf : Ça m’a vraiment choqué en fait! Parce que peu à peu, les enfants prenaient la personnalité de leurs personnages, mais dans la vraie vie. Les comédiens qui jouaient les ados, dans la vie ils refaisaient les groupes auxquelles ils appartenaient à l’écran… un genre de phénomène de mimésis…

Panorama : Camel par exemple?

Sattouf : Il est pire, il est vraiment pire. Quand on était à Cannes, il y avait l’assistante de l’attachée de presse qui était une très grande fille bien jolie qui ressemblait à un mannequin et lui, il n’arrêtait pas de lui parler. Puis à un moment, elle trouve ça mignon et sympathique et lui dit : « tu sais Anthony, si tu veux obtenir des choses de moi, il faut que tu me caresses dans le sens du poil, faut pas que tu sois trop brusque » et lui de répondre : « parfait, alors je vais te caresser dans le sens du poil » [Sattouf nous flattant, imitant la voix d’Anthony Sonigo]. À un moment, le copain de cette fille là qui était présent se tenait toujours avec la dame, mais Anthony n’avait pas compris que c’était son amoureux. À un moment, il vient me voir et me demande si Mohammed c’est bien le compagnon de Carole! Et puis, dégouté, il a été hyper triste pendant une journée avant de revenir me voir le lendemain en me disant : « Riad, j’ai un problème, les journalistes me posent tout le temps la même question quand il veulent savoir qu’est-ce qu’il y a de commun entre moi et le personnage du film, mais je ne trouve jamais rien à répondre » [rires].

Panorama : Donc, il n’est pas nécessairement conscient que vous lui faites jouer une caricature.

Sattouf : Ce n’est donc plus une caricature, lui-même est au-delà de la caricature.

Panorama : De la façon dont vous voyez le monde de l’adolescence dans Les Beaux gosses, il y a quelque chose de très pittoresque, mais aussi de très vrai. Je suppose parce que le milieu adolescent peut avoir tendance à être aussi blanc ou noir que vous le présentez, composé de fortes personnalités qui mènent la barque. Comment est-ce que l’on scénarise et que l’on distribue les rôles à des acteurs qui jouent en quelque sorte leur « propre bêtise »? Jusqu’à quel point avez-vous fait participer les jeunes aux dialogues?

Sattouf : Non. Les dialogues étaient écrits et c’était à eux de se les accaparer et nous les avons choisis en rapport avec leur capacité à ne pas avoir l’air de jouer. La majorité des adolescents ont tendance à jouer comme s’ils étaient dans un film américain. Ils ne sont pas naturels et ça me déplaît. Nous avons choisis ceux-ci de manière à ce qu’ils soient le plus proche possible de leur personnage tel qu’il était écrit.

Panorama : Et où est-ce que vous avez puisé toute cette testostérone de 14 ans?

Sattouf : C’est les souvenirs, c’est aussi les comédiens. Ils vivent ça dans leur vie de tous les jours : pas de copine, des parents chiants, etc. Ce n’est pas non plus un film sur la jeunesse dans l’absolue. C’est plus un film sur deux garçons, il n’y a pas ici la vocation de parler de tous les types d’adolescence. C’est évident qu’ils ne représentent pas tous les adolescents.


LA VIE SECRÈTE DES JEUNES de Riad Sattouf

Panorama : Pour revenir à l’adaptation, même si la comparaison est classique, il y a certainement une ressemblance entre le storyboard du cinéaste et la planche du bédéiste. Par rapport au storyboard du film, est-ce que vous vous en étiez fait une genre de bande dessinée?

Sattouf : Non, pas du tout. Il n’y avait pas de storyboard pour le film. Je pense que les storyboards servent lorsque l’on doit filmer des scènes complexes avec des effets spéciaux ou des scènes de suspense qu’on ne peut pas refaire trop souvent, ni dans tous les sens. Pour Les Beaux gosses, j’ai commencé à faire un storyboard et dès la première scène j’ai laissé tombé parce que les ados sont évidemment des amateurs et ils ne pouvaient pas suivre toutes les directives alors c’est pourquoi j’ai décidé de partir des comédiens. C’est pour ça que ça n’a aucun sens (et ça n’engage que moi) ou aucun rapport avec la bande dessinée. C’est sûr qu’il y a un rapport de dessin dans la mesure où les questions de composition restent presque les mêmes, mais ce n’est pas le même rythme. Ce rythme, au cinéma, il est dans le jeu des comédiens, dans les plans, dans leurs mouvements qu’il n’y a pas en bande dessinée. La bande dessinée c’est autre chose, quoi.

Panorama : Il y a quand même quelque chose en bande dessinée, dans ses particularités (cadres, textes, rapport entre textuel et visuel) qui l’a rend alléchante pour le cinéma…

Sattouf : L’adaptation d’une bande dessinée est tout à fait possible au cinéma. Par contre, à mon goût personnel, je trouve que ça n’a pas d’intérêt. C’est comme la littérature au cinéma, je préfère toujours le livre au film. Ce n’est que mon goût personnel.

Panorama : Vous mettez une croix sur le cinéma dans l’avenir?

Sattouf : Pas du tout, je verrai, je ne sais pas encore ce que sera exactement mon prochain projet, mais j’ai certainement le goût de faire un autre film. Avec les gens de l’équipe aussi l’expérience fut superbe. J’ai composé mon équipe avec des gens qui riaient quand je racontais des blagues question qu’ils ne me trouvent pas insupportable au bout de 8 semaines! Avec le directeur photo aussi, il avait lu mes albums et nous avons bien travaillé à partir de ça. Il n’y avait pas du tout le côté : « bon, tu n’as jamais fait ça, je vais te montrer quoi faire ».

Panorama : Quand avez-vous eu l’idée de prendre une pause d’écriture et de vous lancer dans le cinéma? Ça reste une entreprise considérable à planifier…

Sattouf : En effet! C’est la productrice du film, Dominique Toussaint, qui aimait mes bande dessinées, qui m’a proposé de faire un film et je n’ai pas eu à faire cette partie là du boulot et j’ai vraiment tout adoré dans le processus de production peut-être sauf l’étalonnage et le mixage que j’ai trouvé un peu chiant, mais sinon c’était extraordinaire. Le cinéma, c’est une des activités pour passer le temps les plus géniales qui soit… avec la bande dessinée!