ENTREVUE AVEC SIMON GALIERO
Mercredi 2 Décembre 2009

Par Mathieu Li-Goyette et Clara Ortiz Marier

Heureux gagnant du Jutra du meilleur court-métrage en 2008 (pour Notre prison est un royaume) puis gagnant du prix Focus (meilleur film canadien) en 2009 (pour Nuages sur la ville), la moyenne au bâton de Simon Galiero est impressionnante avec ses seulement trois courts-métrages et son unique long-métrage. Rencontré à l'occasion de la sortie en salles de ce dernier opus, le cinéaste et critique de cinéma chez Hors Champ livre un film curieusement controversé. Alors que la critique attaque son intellectualisme, alors qu'uniquement une salle à Montréal le présente (la salle Parallèle), alors que pourtant l'oeuvre elle-même s'avère une heureuse découverte, le réalisateur nous a accordé un entretien bien généreux où il était temps de démystifier les bobards et d'éclaircir quelques malentendus. Sympathique comme tout et équipé d'une verve qui, en rappelant le brillant scénario du film, démontre aussi un grand désir d'être entendu puis décortiqué par un certain public (mais peut-être aussi certains médias) qui gagnerait peut-être bien à ouvrir leurs sens. C'est d'adage que nous dicte l'éléphant (comme dans le film, comme sur l'affiche) qui lance l'appel - que nous devrions privilégier - aux grandes oreilles qui servent l'écoute, la mémoire, donc la réflexion avant l'action. Rencontre avec l'éléphant.

Panorama : En partant du titre… À quelle sorte de nuages on a affaire et sur quelle ville ils planent?

Galiero : [Rires] En fait, au départ, le titre était Nuages sur la ville pendant la nuit à cause d’une image que j’avais en tête et que je souhaitais tourner. On n’a finalement pas eu le temps ni les moyens alors on a réduit le titre à Nuages sur la ville. Les nuages, c’est tout ce qu’on peut voir ou ne pas voir à travers le film. Les éléments que j’ai placé à travers le film qui constituent une sorte de menace semi-tragique, semi-ironique et la ville, c’est la ville en général. Ça peut être toutes les villes. Les nuages, c’est aussi peut-être ce que l’on ressent à la fin du film si l’on a été attentif et si l’on a retenu les détails qui ont été posé par rapport à la toile de fond médiatique qui correspond en fait à celle des dernières années. Problèmes de culture, de transmission par rapport au monde contemporain.

Panorama : C’est peut être là aussi que le duo de Polonais perdu dans le bois fait sens. C’est là que le discours prend parole de la façon la plus directe possible.

Galiero : C’est vrai et c’était aussi une façon d’en rire encore plus. Là où les autres personnages sont plus dans la tragédie et sont incapables de communiquer, on ne ressent plus ce qu’ils disent, on ne le comprend plus quand l’on se retourne vers les Polonais. C’est la partie « drôle » du film c’est celle avec les Polonais qui s’attaquent directement aux sujets qui sont placés ailleurs dans le film.

Panorama : Donc, les Polonais sont là pour donner parole aux intellectuels, mais aussi pour donner des clés de compréhension au spectateur… pour comprendre ce qui arrive dans le reste de la ville.

Galiero : C’est sûr que ça fait parti de la solution. Ce qui m’intéressait le plus dans ce dialogue, c’est aussi de les mettre dos à dos tous les deux parce qu’ils sont en opposition par rapport à certains enjeux placés dans le film. Ça me permettait effectivement d’épiloguer plus directement sur les sujets qui sont abordés dans le film, mais surtout, mon malin plaisir c’était de créer une confrontation sur ces sujets-là avec deux personnages avec qui je suis à la fois d’accord et pas d’accord.

Panorama : Vous êtes critique pour Hors Champ depuis 1998. Or, dans les dernières années, on a eu Olivier Asselin qui est revenu avec Un Capitalisme sentimental, Denis Côté qui est passé à la réalisation, est-ce que ça vous a montré que vous pouviez passer de la théorie à la pratique sans trop d’adaptation?

Galiero : Non. En fait, quand j’ai eu 18 ans, je n’ai pas fait d’études. Je suis entré au cégep en cinéma et j'ai abandonné au bout de deux ou trois semaines parce que ma vraie influence, consciente ou non, c'était plutôt les cinéastes des nouvelles vagues. La nouvelle vague française, puis québécoise. Bref, ces gens qui, avant de faire des films, étaient capables d'écrire sur les films qu'ils voyaient. Pour moi, c'était donc naturel, en ayant une volonté de faire des films, c'était naturel de fréquenter la cinémathèque puis d'écrire sur le cinéma pour mieux comprendre ce que j'aimais ou non et développer des pensées plus personnelles sur le cinéma... Sûrement que Côté et Asselin tiennent un discours semblable, mais ce n'est pas eux en particulier qui m'ont inspiré.

Panorama : Dans la mesure où Nuages sur la ville est clairement l’oeuvre de quelqu’un qui a un grand bagage théorique, critique et cinéphile. On a quand même Jean-Pierre Lefebvre qui rentre dans un club vidéo, indigné de rencontrer quelqu’un qui méprenne Wajda ou Skolimowki pour un boulanger.

Galiero : En fait ça m'est vraiment arrivé là où nous avons tourné la scène. C'est vrai que c'est très cinéphile, mais au fond, c'est une préoccupation importante. C'est la même chose lorsque dans notre entourage on entend dire « c'est qui Pierre Perrault », pour nous ça demeure évident, mais ce ne l'est pas pour tous. Selon moi, cette préoccupation rentrait naturellement dans le propos du film qui est sur la transition et sur le sens de la culture.

Panorama : Et ce n'est pas non plus un hasard d'y voir Robert Morin et Jean-Pierre Lefevbre.

Galiero : [Rires] C'est sûr que je suis coupable là-dessus! Mais, honnêtement, tous mes courts-métrages ont été tournés ainsi. C'est-à-dire avec très peu de moyens et avec quelqu'un dans mon entourage à qui je demandais s'il voulait jouer un personnage qui s'inspirait à la fois de lui et qui était à la fois une création. Dans mes courts-métrages, c'était donc la même chose. Je connaissais bien Jean-Pierre depuis plusieurs années et j'avais fais plusieurs ateliers avec lui. C'était naturel pour moi qui faisait un film fauché de lui demander d'y tenir un rôle. C'est une continuité quand même et ça participe à la façon dont je fais mes films jusqu'à présent. C'est aussi deux cinéastes qui m'ont marqué et pour qui j'ai un énorme respect bien que ça ne soit pas nécessairement un hommage ni un statement de faire un cinéma sur le cinéma. Au premier chef, il n'y a aucun personnage qui incarne un cinéaste alors ceux qui sont moins cinéphiles ne s'y sentiront pas exclus.

Panorama : Ce n'est pas tant un film qui parle d'une certaine crise du cinéma qu'un film qui fait état d'un fossé dans les débat de modernité et de postmodernité du monde.

Galiero : Oui, exactement.


NUAGES SUR LA VILLE de Simon Galiero

Panorama : Donc, qu'est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette démarche ambitieuse? Car c'est un film qui souhaite se démarquer du simple cinéma narratif, qui vise à établir un discours d'auteur.

Galiero : Pour moi, l'important c'était de porter un regard sur le monde. Il y a aussi des films très narratifs qui arrivent, en filigrane, à poser un regard très lucide sur le monde. Je n'ai pas voulu porter un jugement ou faire un éditorial. Mon idée était plutôt que, lorsque le film se termine, que le spectateur soit laissé avec un sentiment de désarroi, caustique puis confus par plusieurs pistes qui sont lancées. Il y a cette histoire d'un veau qui bloque la route, sur la Wii on joue à la vache, il y a l'histoire de la vache folle à la radio... Et j'ai travaillé la structure en fonction de ça. Donc, si quelqu'un regarde le film en cherchant la résolution pour les personnages, il ne trouvera rien. Par contre, il peut trouver éventuellement un certain sentiment qui s'accorde avec le monde contemporain et ses enjeux. L'idée était donc de partir d'une vision globale et d'essayer de mieux la cerner.

Panorama : D'abord comprendre le cinéma, ensuite le faire, c'est un parcours nécessaire pour ne pas refaire ce que l'on fait encore et toujours au Québec? Dans le sens que bien que la production québécoise a regagné le coeur du public, on est loin d'être sur une avenue bien originale.

Galiero : Un peu. Pour apprendre justement qu'il faut, avant d'inventer, apprendre à réinventer. Il y a beaucoup de choses qui ont été faites quand même. C'est donc de prendre conscience de se qui s'est et se fait encore puis d'établir des correspondances entre nos désirs, ce qui est possible de faire et ce qui a été fait.

Panorama : Ce n'est bien sûr pas le même film, mais en regardant Nuages sur la ville je pensais constamment à Un capitalisme sentimental. En bref, un film qui avait des visées intellectuelles, mais qui en même temps savait très bien s'amuser.

Galiero : Nuages sur la ville a été tourné en juillet 2008 et Un capitalisme sentimental est sorti l'automne suivant cependant. J'ai finis par voir le film d'Asselin et je l'ai adoré même si, par exemple le jeu des comédiens ne plaira pas à tous ou bien des références à L'homme sans qualités de Musil qui feront peut-être que quelqu'un qui ne les a pas lu en rira moins. Je l'ai trouvé très audacieux et je vois bien les correspondances entre ce film et le mien. Je pense qu'un cinéaste n'échappe pas à son époque. Forcément, dans un film, on retrouve des correspondances, des affinités entre des cinéastes qui n'ont pas nécessairement vu leur travail mutuelle. D'ailleurs, quand tu regardes l'histoire du cinéma par décennie, même des auteurs très forts et très singuliers vont avoir les mêmes préoccupations ou dramaturgies que leurs contemporains.

Panorama : Sans trop vouloir tout réduire simplement, le film de Kim Nguyen, Truffe - pas seulement parce qu'il est noir et blanc - se glisse avec votre film et celui d'Asselin. Ces trois films sont un peu seuls dans leur coin avec ceux de Côté à crier de leur côté leur vision du monde (et c'est tant mieux!). En se recoupant par autant de ponts, ce sont des films qui signalent un état de conscience, une crise du sujet.

Galiero : C'est intéressant, surtout intéressant en parlant du cinéma en général. Des oeuvres de qualité dans le cinéma commercial, il y en a eu à une époque qui avaient la profondeur du cinéma d'auteur. On dirait que les cinéastes auteurs ont peu à peu abandonné l'idée du sujet. Lorsque tu regardes un film de Kubrick, on l'a étampé partout le sujet. Il est approfondi du point A au point B et c'est très clair. Je pense qu'on a déserté ça...

Panorama : Par peur de tomber dans le cinéma de genre?

Galiero : Je ne sais pas. Le cinéma québécois s'est aussi beaucoup professionnalisé et les films d'ici des dernières années démontrent quand même une très bonne maîtrise du langage. Ils savent tourner, ils savent faire des plans. Peut-être qu'il sont cependant moins nourris par autre chose, ce sont des gens qui font des films sur le cinéma ou par le cinéma d'une certaine façon.

Panorama : Et puis Perrault, Lefebvre et cette première génération ne viennent pas du cinéma. Nos cinéastes d'aujourd'hui sont formés dans des écoles.

Galiero : C'est très vrai et il y a un retour, malgré tout, depuis quelque années vers le premier cinéma québécois moderne. Il y a un désir de tourner dans la rue, de revisiter notre passé. Le système de production et de distribution qui s'est mis en place dans les années 80 a délaissé peu à peu l'idée de création. On ne pourra pas jouer la game de Hollywood éternellement, on a d'autres préoccupations et on doit les transmettre sur l'écran.

Panorama : Pour être un bon cinéaste est-ce qu'il faut ne pas avoir étudié le cinéma?

Galiero : Moi c'est mon parcours, mais peut-être pas. J'ai appris beaucoup de choses des gens qui ont appris le cinéma sur des bancs d'école. Il ne faut pas attendre que tout soit parfait, il ne faut pas suivre la méthode Syd Field en espérant faire un bon film. L'idée, c'est de tout faire un peu en bum, de trouver notre singularité à nous, de tracer notre propre voie. Là, on pourra espérer dire autre chose.