ENTREVUE AVEC ADAM ELLIOT
Vendredi 13 Novembre 2009
Par Louis Filiatrault
Présenté au Festival du Nouveau Cinéma il y a quelques
semaines, récompensé aux festivals d'Annecy et Ottawa
dans les mois précédents, le film d'animation Mary
and Max se précipite vers la fin de l'année avec
le vent dans les voiles. Homme très occupé par les temps
qui courent, le réalisateur Adam Elliot a accepté de nous
accorder un rare entretien. Nous en profitons pour nous enquérir
de son processus créatif, ainsi que des enjeux particuliers qui
accompagnent une production de moyenne ampleur telle que la sienne.
Panorama : Mary and Max semble conjuguer l'esprit
du cinéma indépendant et les ressources d'un film d'animation
pour grand public. Comment avez-vous géré la plus grande
échelle de ce projet?
Elliot : Puisqu'il s'agissait de mon premier long-métrage
suite à ma récompense aux Oscars, nous savions que les
valeurs de production devraient s'ajuster en conséquence. Nous
savions que le film ne pourrait pas avoir l'air brouillon, mais nous
voulions en même temps qu'il conserve une apparence très
tactile ; que les empreintes se voient sur la plasticine et que le public
sache instantanément que ce qu'il voyait n'était pas une
création numérique. Nous avons donc mis beaucoup de soin
dans les détails, les décors, les personnages... Mais
aussi dans l'histoire, qui est pour moi la chose la plus importante.
Tous mes films sont inspirés de personnes réelles, et
celui-ci est modelé d'après mon véritable correspondant
new-yorkais, avec qui j'échange depuis vingt ans. Ce fut aussi
un film très difficile à faire car nous ne disposions
que de huit millions de dollars, ce qui est très peu pour un
long-métrage d'animation. Nous devions donc réaliser un
film de huit millions qui semblerait en avoir coûté cent...
Panorama : Vous avez évoqué votre inspiration
pour le récit du film. Avez-vous effectué des recherches
particulières [sur le syndrome d'Asperger], ou votre approche
du sujet fut-elle plus intuitive?
Elliot : J'ai surtout commencé par relire toutes
les lettres de mon correspondant. Bien que j'aie changé son nom,
celui-ci est très similaire à Max ; il est obèse,
athée malgré ses racines juives, et il est aussi autiste.
Mais j'ai également beaucoup lu, je devais en savoir beaucoup
plus sur ce que le syndrome représentait.
Panorama : Vous avez donc fait comme Mary, en quelque
sorte.
Elliot : Oui! Et c'est pourquoi j'ai inséré
cela dans le film. J'aime prendre des risques, me donner des défis.
J'aime voir des films qui osent et nous font découvrir des sujets
méconnus. Et il y avait bien sûr le risque que mon ami
se sente trahi ou mal représenté...
Panorama : Comme ce qui arrive dans le film.
Elliot : Exactement! Mais il a été merveilleux.
J'ai été très transparent avec lui dès le
début. Il a lu le scénario, j'ai obtenu sa permission...
Mais je ne l'ai encore jamais rencontré.
Panorama : Ah bon! Mais un jour...
Elliot : Oui, bientôt je l'espère.
Panorama : Vous avez abordé tout à l'heure
l'étrangeté de votre film dans le paysage de l'animation
populaire... Comparativement aux grandes productions d'aujourd'hui,
Mary and Max apparaît en effet plutôt incongru,
tout spécialement au niveau du ton et de l'humour. Avez-vous
eu de la difficulté à trouver les canaux appropriés
pour le distribuer?
Elliot : Oui. Dès le premier jour, ce fut un
film très difficile à financer, à réaliser,
à vendre... Ce fut un film très difficile! Mais comme
j'écris très intuitivement, je ne me soucie pas trop de
la mise en marché, des éventuelles recettes du film...
Je me contente d'écrire des histoires sur ma famille et mes amis,
et comme il se trouve que je choisis de les réaliser en animation,
je dois me croiser les doigts par la suite en espérant que le
film se vende! Mais voilà ce qui est étrange: les critiques
ont été bonnes, les gens qui finissent par voir le film
l'aiment beaucoup... au fond, les seuls qui semblent ne pas l'aimer,
ce sont les distributeurs! Bien sûr, un seul regard au synopsis,
qui traite de l'amitié entre un homme de quarante ans et une
fillette de huit ans, suffit à effrayer bien des gens. D'autant
plus que j'y référais d'abord comme une histoire d'amour...
MARY AND MAX d'Adam Elliot
Panorama : Mais ce l'est, dans un sens.
Elliot : Oui! Et les gens s'exclamaient: « Quoi!
» Mais l'amitié comporte une part d'amour, c'est impossible
à nier. Bien entendu, ceci n'est pas un film de Disney, mais
un film pour adultes...
Panorama : Une autre façon dont votre film se
démarque est dans la manière dont vous racontez son histoire.
Votre emploi du montage et de la voix off est remarquable. Quelles sont
les raisons qui vous ont poussés à narrer le film comme
vous l'avez fait?
Elliot : Comme je l'ai dit, j'aime me lancer des défis.
J'aime faire les choses différemment. Quand j'étais à
l'école de cinéma, on nous enseignait à faire des
films qui étaient originaux, qui repoussaient les limites de
la forme. Tant de films d'animation suivent une formule prévisible...
Quand je travaillais sur le scénario et que j'informais les investisseurs
que le film serait entièrement narré, on me disait: «
Tu ne peux pas faire un film comme cela! ». Je leur répondais:
« Mais pourquoi pas? ».
Panorama : Vous avez bien fait de tenir votre bout!
La voix et l'image se complètent parfaitement.
Elliot : Eh bien, j'aime mettre les gens dans le tort.
Et je suis conscient que tant de narration peut être difficile
à absorber, surtout dans un film d'animation, mais je tenais
à cette intégrité. Pour être franc, je fais
du cinéma pour des raisons très égoïstes,
et j'essaie donc de faire des films auxquels je voudrais assister moi-même.
Malheureusement, il me faut employer 120 personnes durant cinq ans pour
le faire. Parfois je voudrais n'être qu'un simple pâtissier...
Panorama : Est-ce beaucoup de gens pour un projet de
cet envergure?
Elliot : Oui et non. Si vous comparez aux studios Pixar...
Panorama : Oui, c'est quelque chose d'autre.
Elliot : Notre équipe demeure donc tout de même
assez petite. Et je n'ai aucunement l'intérêt d'aller travailler
à Hollywood, car j'ai la certitude qu'il est possible de disposer
de trop de moyens. Je préfère conserver mes projets dans
une tranche financière confortable, où il n'y a pas autant
de pression commerciale. Et je suis franchement déterminé
à écrire et réaliser mes propres films ; je ne
suis pas intéressé à effectuer le travail des autres.
De toute façon, mes films prennent tellement d'années
à faire que je préfère rester maître de mon
temps. Être un gros poisson dans une petite mare, pourrait-on
dire.
Panorama : Qu'en est-il de votre prochain projet?
Elliot : Je travaille sur un seul scénario à
la fois, et je dois les laisser mûrir longuement. J'ai aussi besoin
de me mettre en colère lorsque je suis en phase d'écriture,
et l'un de mes amis a récemment fait quelque chose qui m'a bouleversé.
Je suis donc fasciné par son cas, et je pourrais passer quelque
temps à y réfléchir. J'ai aussi besoin d'amasser
vingt millions de dollars entretemps, alors si vous connaissez quelqu'un!
Panorama : Pas pour le moment, mais peut-être
un jour, qui sait?
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Nous remercions Adam Elliot pour sa généreuse participation
et lui souhaitons la meilleure des chances pour l'imminente course aux
Oscars, tout en vous pressant à nouveau de voir son film exceptionnel.