10.10.2009 - Capsule
UN
ANGE À LA MER de Frédéric
Dumont (2009)
Par Louis Filiatrault
Voici
un film dont les enjeux psychologiques lourds et l'intensité
à fleur de peau auraient facilement pu tourner au vinaigre, mais
dont la maîtrise des composantes assure une poignance indéniable.
Un ange à la mer, c'est l'histoire d'un traumatisme
bien singulier, celui d'un fils hanté par le projet de mort de
son père, dont le secret entraîne la famille dans une apathie
obsédante. Ce dernier, dont les agissements et sautes d'humeur
ne sont pas toujours rationnels, trouve sa constance dans une nouvelle
brillante intériorisation d'Olivier Gourmet, lequel s'oppose
à l'indignation contrôlée d'Anne Consigny. Auteur
de ce récit dépourvu de trames superflues, Frédéric
Dumont emploie superbement les flous et lumières chatoyantes,
la sensualité du décor marocain, et surtout l'interprétation
exceptionnelle du jeune Martin Nissen (dans son premier rôle de
quelque envergure) pour soutenir une atmosphère dramatique d'une
remarquable transparence, nourrie de gros plans expressifs. Ainsi, malgré
un essoufflement plutôt rapide de ses principaux leitmotivs scénaristiques
(le bégaiement, le jeu de mots, le citronnier...), de même
qu'un dénouement ouvert ne laissant rien espérer de bien
joyeux, ce deuxième long-métrage du Français relève
honorablement le défi du mélodrame à échelle
réduite, faisant montre d'un art fin et prometteur.
10.19.2009 - Capsule
BARBE
BLEUE de Catherine Breillat (2009)
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Étonnant
petit téléfilm que ce Barbe Bleue de Catherine
Breillat, cinéaste phare d'un certain néo-féminisme
radical mieux connue du grand public pour des oeuvres choc comme Romance
et Anatomie de l'enfer. Étonnant en premier lieu parce
que la provocation s'y fait en finesse plutôt qu'à grand
coup de masse, et en second lieu parce que le film arrive assez rapidement
à nous faire oublier ses origines télévisuelles
- ou du moins s'en accommode sans souci - pour s'illustrer en tant qu'oeuvre
à part entière dans la filmographie de la cinéaste
française. Cette adaptation du conte rendu célèbre
par Charles Perrault s'intéresse tant au récit qu'à
son énonciation, Breillat braquant sa caméra sur l'acte
de raconter autant que sur l'illustration de ce qui est raconté,
et oppose ainsi à sa fantaisie lugubre la réalité
naïve de l'enfance. Déréglant subtilement les conventions
du film d'époque, ce Barbe Bleue met en scène
des jeunes filles modernes (puisqu'imaginées par une jeunesse
contemporaine) et sans en altérer le noyau narratif s'amuse à
l'observer selon un angle idéologique très spécifique.
La menace sexuelle déjà manifeste à l'origine est
donc amplifiée, l'espièglerie de l'héroïne
multipliée et la société présentée
clairement stratifiée. Breillat signe ainsi une version tout
à fait actuelle de cette histoire, en proposant une relecture
intelligente dont la modernité s'affirme par des moyens originaux;
notamment cet ingénieux retournement final par lequel la cinéaste
nous rappelle que les vraies histoires d'horreur se déroulent
dans le réel et non dans la fiction. Derrière ses apparences
de fantaisie classique, ce Barbe Bleue s'avère donc
un essai bien ficelé qui réitère dans un langage
familier et par conséquent accessible des idées que Breillat
a déjà exprimé plus agressivement - mais c'est
surtout parce qu'il offre une réflexion fraîche sur une
tradition ancienne qu'il transcende sa prémisse et s'impose en
tant qu'indéniable réussite.
10.10.2009 - Capsule
BEHIND
JIM JARMUSCH de Léa Rénaldi
(2009)
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Votre
humble chroniqueur ne caresse aucune prétention à l'objectivité
quant à ce qui concerne de près ou de loin l'oeuvre du
cinéaste américain Jim Jarmusch. C'est tout bonnement
peine perdue, d'autant plus que le maître (le choix du terme révèle
ainsi un certain parti pris) a accouché plus tôt dans l'année
d'un long-métrage que ledit chroniqueur honnête considère
déjà comme l'un des authentiques chef-d'oeuvres des dix
dernières années. Mais il s'avère agréable,
à l'ère des suppléments DVD aux intentions bêtement
promotionnelles, de voir un véritable « document »
du tournage d'un film. Le but de Léa Rinaldi est visiblement
de percer le mystère du célèbre metteur en scène
à la tignasse grise et Behind Jim Jarmusch, réalisé
sur le plateau du brillant The Limits of Control, offre au
spectateur curieux une réelle occasion de côtoyer à
la fois le cinéaste à l'oeuvre et l'homme au repos. Par
ses paroles mesurées, mais aussi par sa présence physique
subtilement imposante, l'auteur de Dead Man et de Down
By Law se révèle un sujet cinématographique
en soi - un personnage fort que Rinaldi a la présence d'esprit
de ne pas trop tenter de diriger. « On ne peut pas se perdre si
on ne se fixe pas de destination », affirme Jarmusch; une réflexion
qui semble déteindre sur le rapport de Rinaldi au réel
ainsi que sur sa façon de le filmer. Plus qu'un simple «
making of », son documentaire offre à son sujet
l'occasion de partager des bribes de sa philosophie personnelle dans
une atmosphère détendue qui lui sied parfaitement. Ceux
qui sont vendus d'avance à l'idée de passer une heure
en sa compagnie seront bien évidemment comblés par l'expérience.
Mais Behind Jim Jarmusch ne se contente pas de prêcher
aux convertis. Il met en évidence de manière subtilement
éloquente la pertinence du regard que porte le plus européen
des cinéastes américains sur le monde.
10.14.2009 - Capsule
COLE
de Carl Bessaï (2009)
Par Louis Filiatrault
En
toute franchise, le synopsis de Cole ne laisse rien espérer
de bien excitant: un jeune romantique de village est tiraillé
entre ses envies de création littéraire et le besoin de
soutenir la station-service familiale, mais trouve quand même
l'amour au passage. Hélas, le visionnement de ce « petit
bijou » en provenance de Colombie-Britannique n'offre pas grand-chose
pour contrer cette indifférence prématurée, et
c'est avec peine que le spectateur endure ses péripéties
plus ineptes les unes que les autres. Cole, c'est avant tout
un scénario à deux intrigues fonctionnant sur le pilote
automatique, avec un antagoniste grossièrement défini
et une plagiaire dédaigneuse en guise d'intérêt
sentimental, laquelle tombe sous le charme du joli héros le temps
d'une maladresse et d'une référence littéraire.
C'est aussi une mise en scène dramatique sans finesse, télégraphiant
ses développements plusieurs minutes à l'avance. Bénéficiant,
certes, du paysage des bonnes vieilles Rocheuses, le film parvient surtout
à communiquer la parfaite banalité de la vie qui s'y trame.
Carl Bessaï filme en effet sans fougue, sans passion, des individus
mornes aux préoccupations terre à terre, mais ce parti
pris de simplicité passerait encore s'il ne semblait pas parfaitement
satisfait de son « charme discret », comme le soulignent
bêtement les narrations d'ouverture et de fin, preuves définitives
que rien n'est sur le point de changer dans la petite bourgade forestière
de Lytton. Au final, s'il comporte certains éléments de
peinture de milieu (au premier chef, les séances de beuverie
entre chômeurs), ainsi que des pistes narratives qui auraient
gagné à être développées (la relation
avec le neveu de race mixte, par exemple), Cole s'avère
un film insignifiant dont l'inclusion dans la section « Focus
» flaire l'engagement contractuel envers la mère-patrie
plutôt qu'un réel intérêt artistique.
10.10.2009 - Capsule
D/S
de Jacques Richard (2009)
Par Clara Ortiz Marier
Pour
les néophytes et les non-initiés, il est assez rare d’avoir
l’opportunité d’infiltrer le mystérieux monde
du BDSM (bondage, discipline, sado-masochisme). C’est donc avec
une certaine curiosité teintée de voyeurisme que l’on
s’expose à D/s, ce documentaire dont le titre
fait référence au lien de domination/soumission à
la base de toute relation SM. Avec ce film, Jacques Richard propose
une incursion furtive dans cet univers pour le moins singulier, en s’immisçant
au coeur d’un groupe très privé de dominas et de
soumis qui, périodiquement, se réunissent l’instant
d’une nuit pour s’adonner à divers jeux où
douleur rime avec plaisir. Le film s’ouvre sur un court prologue
où Richard s’adonne, par l’entremise d’un «
chat room » spécialisé, à une petite séance
de questions/réponses permettant d’éclaircir le
spectateur sur la terminologie utilisée au fil du film. La présence
d’un ouvrage de Sade sur un coin de la table de travail vient
contraster avec le recours à Internet. La suite se déroule
en trois chapitres clairement définis. Dans la première
partie qui se déroule quelque part sur une route de Belgique,
le spectateur se retrouve passager dans la voiture de « Maîtresse
Amazone », une domina au discours honnête et cru, en chemin
vers le donjon où se réuniront plusieurs de ses collègues
accompagnées de leurs invités. Entre le road movie
et le film de famille, la caméra tremblante de Richard capture
le témoignage de cette femme imposante qui expose ses propres
expériences, son cheminement, sa vision du SM. Nettement plus
intéressant du point de vue auditif que visuel, cette entrée
en matière permet tout de même d’introduire la deuxième
et plus longue partie du film : celle où l’on assiste en
témoin passif aux divers jeux exercés entre « adultes
consentants ». Maîtresse Léïa, domina professionnelle
ayant activement participé à la création du film,
souligne dans ce passage qu’il y a probablement autant de manières
de pratiquer le SM que de gens qui le pratiquent. Ainsi, les jeux varient
d’une domina à une autre, dans cet univers où la
créativité fait place à la diversité. Les
différents liens de pouvoir et de confiance (nécessaire
à tout rapport SM) surprennent et intriguent. Le film se termine
d’ailleurs sur une discussion sur le sujet, certes intéressante
par les différences d’opinions entre dominas, mais trop
courte par rapport au reste du film qui, dans son ensemble, reste assez
inégal. Maîtresse Amazone, mise à l’avant-plan
au début du film, ne revient que très brièvement
par la suite ; la seconde partie, trop longue, présente mal les
liens entre les divers participants ; l’esthétique générale
du film, assez brouillonne avec ses plans mal cadrés et mal éclairés,
sert mal son sujet. Bien qu’intéressant par son propos
et ses intentions, D/s demeure relativement décevant
dans son ensemble, tout au plus un étrange objet cinématographique
pouvant éventuellement plaire aux curieux.
10.19.2009 - Capsule
LES
DERNIERS JOURS DU MONDE de Arnaud et
Jean-Marie Larrieu (2009)
Par Mathieu Li-Goyette
Robinson
(Mathieu Amalric) enfile sa prothèse. L’handicap est dit,
pointé du doigt par deux cinéastes fonctionnant en schizophrènes
qui se complètent. L’Amalric sans mains puis l’Amalric
membré se chevauchent dans le canevas finement tissé du
dernier film des Larrieu. Évoquant la fin du monde, on pense
au Last Night de McKellar, mais c’est enfin devant un
carnaval grotesque de tensions sexuelles libérées que
l’on se retrouve consterné par les différents chemins
décadents empruntés par chacune des fréquentations
de Robinson. Comme le Crusoé, il demeure enfermé dans
un monde libéré. La rythmique instaurée par les
Larrieu se joue en allers et retours entre un doux souvenir d’idylle
(où sa main, donc l’écriture et l’allégresse
lui étaient permises) et le présent apocalyptique d’une
France bombardée (où la main manque et où une simple
petite écharpe jaune semble habiller le cou dégarni, peu
à peu cadavérique) crée discours par son alternance;
c'était comme ça, maintenant c'est comme ça, voilà
pourquoi l'être humain court à sa perte. En cherchant à
filmer cette certaine déchéance de façon légère,
il est presque convenu que le film des Larrieu s'oblige un humour noir
grinçant (« faisons l’amour, la terre explosera de
toute façon! »); la formule s’étire et s’épuise
au malheur d’une stagnation psychologique pour ce Robinson de
plus en plus évidé. Au moins chargé par ces francs
rires qui font retentir autant les cloches du comique pervers que celles
du jugement dernier, il y a un aspect édulcoré dans ces
Derniers jours du monde qui restera dans l’esprit du
spectateur. Occasion des plus belles et dernières folies, c’est
aussi la dédramatisation satyrique de la mort qui parvient, grâce
à des interprétations tout à fait louables, à
faire du décompte pour la fin des temps un petit jeu sans prétention
de « je-te-tiens-par-la-barbichette » où les tenants
caricaturés du monde contemporain s’effondrent sous leur
propre ridicule. Rira bien qui rira le dernier.
10.02.2009 - Capsule
DIRTY
MIND de Pieter Van Hees (2009)
Par Mathieu Li-Goyette
Réincarné
dans l’énergumène et cascadeur vedette Tony T, Diego
était un simple petit Flamand timide qui évoluait dans
l’ombre de son pitre de frère. Un incident vite arrivé,
puis le faire-valoir se réveille métamorphosé et
démarre à la surprise de son entourage une émancipation
miraculeuse. Femmes, gloire et excentricités s’emparent
de sa carcasse intello devenue charismatique. Succès commercial
en Belgique, Dirty Mind (le deuxième long-métrage
de Pieter Van Hees, qui y signe aussi le scénario) prêche
cependant par excès de classicisme. D’un synopsis intrigant,
la longueur et la perte de rythme dans ce récit qui s’écrase
sous les stéréotypes qu’il met en scène (et
c’est là le drame de la comédie romantique sophistiquée
: s’empêtrer pour nous faire comprendre un « message
») ne fait que rarement preuve d'originalité. Mêlé
à une historiette romantique où la tension cède
finalement le pas à une explosion de tensions mal caricaturées
(l’assistante d’un docteur tombe amoureuse de son sujet
schizophrène, le vieux docteur pervers en charge du même
patient s’avère jaloux) rend la seconde moitié de
l’oeuvre bêtement auto-suffisante. Ne créant plus,
ne procédant plus qu'à quelques trouvailles de mise en
scène (une division en chapitre qui tombe à plat, une
belle distinction entre les registres de la comédie romantique
et du film d’action pastiché pour les cascades), les pièces
longuement mises en place se contentent de s’exécuter vers
un dénouement aussi inévitable qu’ennuyeux et s"approchant
dangereusement des vignettes d’un programme thérapeutique
sur l’estime de soi. Quoique brillamment interprété
et contenant certains bons moments de comédie, il est difficile
de ne pas y voir une production insipide, réalisée par
les exécutants d’un nouveau cinéma belge qui - et
qu’on se le tienne pour dit que nous faisons la même chose
ici au Québec - doit vraisemblablement faire le chemin de croix
du cinéma industriel s’il veut alimenter ses autres avenues.
10.21.2009 - Capsule
EAMON
de Margareth Corkery (2009)
Par Mathieu Li-Goyette
Plus
reconnu pour ses prouesses financières que celles de son scénario
(tourné au modique prix de 500$), ce premier film de Margaret
Corkery présente cependant un regard empreint d'une grande sensibilité
sur le cas type et pervers de la décomposition familiale. On
y raconte donc l'histoire du bien turbulent Eamon, enfant né
d'une relation trouble entre parents au chômage, parti en vacances
avec ceux-ci et leurs 200 euros. Concept de la production oblige, concept
cinématographique qui renchérit, il y a autant d'argent
en poche chez les parents qu'entre les mains de la cinéaste vouée
à faire de ces vacances inertes - l'argent ne sert qu'à
se nourrir et se loger - l'occasion naturaliste rêvée pour
filmer l'écroulement des tensions sexuelles entre un homme désireux
et une femme blasée. Si Eamon devient rapidement le
théâtre d'un énième racontar sur le complexe
d'oedipe où l'enfant devient père et où la castration
de la figure paternelle par la progéniture occupe la première
moitié de l'oeuvre, c'est dans sa deuxième moitié
que Corkery développe une audacieuse revanche contre le sexe
féminin (développement soudain d'une relation père-fils,
intrusion de l'homosexualité, etc.). Bien qu'il y paraisse souvent
que les moyens du bord ont été utilisé avec plus
ou moins d'adresse, l'écriture de Corkery ressort comme la force
première d'un acte courageux autrement inconsistant dans sa mise
en scène souvent simpliste. Dans la mesure où cette dernière
ne tire que rarement profit des espaces pourtant répétés
du film, de la plage au chalet, c'est devant la même application
systématique des codes de la mise en scène de la séduction
que le spectateur se retrouve. Forcé d'applaudir son économie
de moyens, il serait hypocrite d'y voir le déploiement d'une
esthétique enrichissant un sujet plutôt conceptuel, jouant
sur des figures plus que des personnalités.
10.14.2009 - Capsule
LA
FAMILLE WOLBERG d'Axelle Ropert (2009)
Par Clara Ortiz Marier
Simon
Wolberg est maire de la petite ville de province où il habite
avec sa femme et ses deux enfants. La vie semble paisible. Mais sous
les apparences, l’orage gronde. Simon est atteint d’un cancer
des poumons et refuse d’en parler à ses proches. Sa femme,
Marianne, habite encore avec lui, mais l’a trompé avec
un autre homme. Leur fille, Delphine, qui s’apprête à
avoir dix-huit ans, ne pense qu’à quitter la maison familiale,
tandis que leur jeune fils Benjamin, perturbé par les tensions
qui grandissent entre ses deux parents, éveille l’inquiétude
de sa maîtresse d’école. Axelle Ropert dresse ici
le portrait typique d’une famille tiraillée, qui se déchire
tranquillement sous les efforts vains d’un patriarche amoureux
fou de sa femme et de ses enfants. Trop occupé à garder
les membres de sa famille auprès de lui, Wolberg ne réussit
qu’à les étouffer. Cette situation malsaine n’est
pas plus agréable pour la famille que pour le spectateur. Dans
un enchaînement malhabile de scènes qui échouent
à gagner notre intérêt, le montage inefficace nous
dévoile des personnages ennuyants à la psychologie mal
développée. On retrouve tout de même quelques moments
amusants, comme lorsque l’oncle Alexandre explique à son
neveu ce que signifie être dans la vraie vie comme son père,
ou à côté, comme lui, ou encore les quelques références
à la musique soul, dada du personnage principal. Mais le film
dans son ensemble reste assez inégal et déçoit
par son manque d’inventivité. Difficile de vraiment connecter
avec les personnages ou de simplement les trouver attachants. Le film
se termine sur cette phrase décrétée telle la morale
d’une fable, comme pour s’assurer que le spectateur ait
bien compris le propos du film : « Il n’y a de stable que
cette violence secrète qui bouleverse toute chose ». Mais
le problème est bien là : cette violence dissimulée
qui tiraille les Wolberg ne parvient pas à nous bouleverser en
tant que spectateur. La citation nous laisse indifférents, interloqués
ou encore irrités d’avoir perdu les dernières quatre-vingt
minutes à suivre les tribulations d’une famille sans grand
intérêt.
12.02.2009 - Capsule
GOODNIGHT
IRENE de Paolo Marinou-Blanco (2008)
Par Clara Ortiz Marier
Certains
films piquent rapidement notre curiosité. Une bande-annonce ou
un synopsis suffisent à attirer notre attention et chaque jour
nous séparant du visionnement réussit à faire grandir
nos attentes. Pour moi, Goodnight Irene de Paolo Marinou-Blanco
n’entrait pas dans cette catégorie, et ce, pour deux raisons
: un premier long-métrage de fiction par un réalisateur
dont le nom m’était inconnu, et une description qui me
semblait légèrement trop gentille d’un scénario
pouvant rapidement tomber dans l’ennuyeux ou le cliché.
Et pourtant, Goodnight Irene est facilement parvenu à
démontrer le contraire. Alex, ancien acteur anglais tombé
dans l’oubli, habite Lisbonne depuis plusieurs années.
Passant son temps à mélanger alcool et médicaments,
le quinquagénaire à la santé fragile refuse de
s’ouvrir au monde extérieur, jusqu’au jour où
une jeune peintre du nom d’Irène devient sa voisine de
palier. Celle-ci réussit à briser la carapace du vieux
misanthrope et les deux protagonistes se lient d’amitié.
Mais un jour Irène se volatilise. Cette disparition entraîne
l’arrivée d’un nouveau personnage dans la vie d’Alex
: Bruno, jeune homme solitaire aux manies étranges, lui aussi
à la recherche d’Irène. Les deux hommes, forcés
à l’apprivoisement mutuel, devront faire équipe
pour tenter de trouver une explication à la disparition de la
jeune femme. Bien que cet événement incongru serve de
pivot au récit, il ne constitue pas le coeur même de celui-ci.
C’est d’ailleurs la force de ce film qui, pour un premier
long-métrage, fait preuve d’une maturité surprenante.
Il n’est pas question ici d’une plate histoire d’enlèvement
où l’on mise sur une intrigue glauque ou prévisible.
Le mystère de la disparition n’est en fait qu’un
prétexte pour laisser place au développement de la relation
entre Bruno et Alex. Les deux acteurs parviennent d’ailleurs à
donner une réelle profondeur à leur personnage respectif,
et la justesse de leur jeu, soutenu par une mise en scène simple,
mais soignée, rend le film d’autant plus intéressant.
Une histoire douce-amère sur les amitiés inespérées
qui se tissent et se défont ; un film sans prétention,
tout aussi touchant qu’inattendu.
12.02.2009 - Capsule
GUTS
de Samuel Martín Mateos et Andrés Luque (2009)
Par Clara Ortiz Marier
Pas
facile de faire un film de mafieux de nos jours, après les légendaires
Godfather, Scarface, Goodfellas et autres
grands classiques de la même veine. Comment réussir à
faire un bon film de gangsters qui, tout en se revendiquant du genre,
parvient à ne pas tomber dans les clichés? Jarmusch s’y
était risqué avec son film Ghost Dog : The Way of
the Samuraï, et avait relevé le défi admirablement,
en détournant le genre tout en respectant certaines règles
propres à celui-ci. Dans ce cas de figure, il était nécessaire
de sortir des sentiers battus et Jarmusch l’avait compris. Difficile
donc de prétendre à l’originalité en se cantonnant
aux histoires typiques de transactions louches et de règlements
de comptes. C’est malheureusement le défaut de Guts,
premier long-métrage de Samuel Martín Mateos et Andrés
Luque, qui raconte l’histoire de Sebastiàn qui, après
avoir passé cinq mois en prison, est remis en liberté,
bien décidé à se replonger dans ses vieilles habitudes
de petite crapule aux desseins peu reluisants. Mais son oncle en décide
autrement et le force à prendre le premier autobus en partance
de Madrid, l’expulsant de la ville et lui interdisant de revenir.
Expédié dans une petite ville de Galice, le protagoniste
ne perd pas de temps pour planifier ses prochaines magouilles et parvient,
malgré son allure de racaille, à gagner la confiance d’un
vieil homme directement lié à la mafia locale. Ce dernier
représente une opportunité en or pour le petit criminel
: une porte ouverte sur le monde glauque du trafic de drogue. Sebastiàn,
avide d’argent et de pouvoir, se lancera tête première
dans la cour des grands et se retrouvera bien vite au coeur de l’action,
dans une suite de manigances et de trahisons où il ne pourra
faire confiance qu’à lui-même. Un bon effort pour
un premier film dont l’histoire est malheureusement trop prévisible,
mais dont le principal défaut est de ne pas oser dépasser
les archétypes du genre.
10.12.2009 - Capsule
I
AM NOT YOUR FRIEND de György Pálfi
(2009)
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Amère
déception que cet I Am Not Your Friend du cinéaste
hongrois Györgi Pálfi, réalisateur du délirant
Taxidermia qui avait secoué le public du FNC il y a
de cela trois ans. Brouillon et dépourvu d'imagination, ce troisième
long-métrage est à la limite l'exact opposé de
son prédécesseur qui brillait tant par l'inventivité
de ses images que par la précision de leur exécution.
Toutes ces qualités sont ici strictement absentes, remplacées
par le « réalisme » d'un scénario improvisé
en cours de tournage et servi à la sauce vidéo numérique
« capté sur le vif ». Multipliant les hasards douteux
et les effets chocs gratuits, l'intrigue suit les tribulations sexuelles
(plutôt que romantiques) de quelques « fuckés »
de service qui outre cette inaptitude à intégrer normalement
la société ont essentiellement en commun d'avoir tous
couché ensemble à un moment ou à un autre. Au lieu
d'insuffler spontanéité et dynamisme à l'entreprise,
ce choix de laisser libre cours à l'inspiration du moment (oh
que c'est beau, en théorie du moins) produit plutôt un
récit décousu dégénérant vers l'anecdotique
et l'insignifiant. Toute mise en scène, ici, n'est qu'effet de
style. L'ensemble bouge donc énormément, assez rapidement,
pour aboutir un peu nul part en fin de parcours: comme si l'énergie
était ici un concept formel plutôt qu'une quelconque vérité
physique, une drogue que s'injecterait le cinéma pour voiler
sa désolante absence de substance. Bien qu'il soit trop tôt
pour disgracier définitivement ce réalisateur somme toute
prometteur, I Am Not Your Friend est en définitive une
perte de temps qui mérite surtout d'être oubliée.
Avec un peu de chance, on pourra passer à autre chose sans trop
revenir sur ce qui n'est, espérons-le, qu'une grossière
erreur de parcours.
10.21.2009 - Capsule
IN
THE ATTIC: WHO HAS A BIRTHDAY TODAY?
de Jirí Barta (2009)
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Certes,
on pourrait reprocher à In the Attic le classicisme
figé de sa narration et critiquer le caractère convenu
de cette histoire qui se résume essentiellement au bon vieux
sauvetage d'une demoiselle en détresse par une bande de héros
vaillants, mais maladroits. Mais ce serait oublier que les contes ne
sont pas racontés pour réinventer la roue; qu'ils existent
pour émerveiller et faire rêver, ce qu'accomplit brillamment
le long-métrage de l'animateur tchèque Jirí Barta.
Mignon comme tout, ce petit film tout droit sorti d'un songe impressionne
constamment par les trouvailles visuelles que génère son
esthétique volontiers naïve, bricolée un peu à
la mitaine avec des objets domestiques. S'emparant d'éléments
du quotidien, il les investit d'une imagination rappelant l'enchantement
spontané de l'enfance et donne à l'inanimé une
vie propre grâce au miracle technique du cinéma. Comme
si Jan Svankmajer avait décidé de réaliser un gentil
divertissement pouvant plaire à toute la famille, au lieu de
la terroriser avec des hallucinations dérangées. Abandonnons
un moment l'austérité de la pose critique. Le petit univers
d'In the Attic est chaleureux comme une paire de pantoufles
en mouton, réconfortant comme un feu de foyer en automne; et
si on lançait une émission intitulée Ciné-Tisane,
ce film y serait programmé aux côtés d'autres classiques
d'animation sympathiques qu'un public casanier à la recherche
d'un peu de bonheur reposant pourrait visionner emmitouflé jusqu'aux
oreilles en sirotant ce breuvage chaud dépourvu de la moindre
trace de caféine. Et tous, le soir venu, pourraient s'assoupir
en paix - réconciliés avec le monde par cette conclusion
triomphante affirmant que le peuple uni jamais ne sera vaincu et que
les régimes tyranniques finissent toujours par s'effondrer. Voici
enfin une fable qui fait du bien.
10.21.2009 - Capsule
KATALIN
VARGA de Peter Strickland (2009)
Par Jean-François Vandeuren
Par
une belle journée ensoleillée, le mari de Katalin Varga
découvre le lourd secret que celle-ci s’efforce de lui
cacher depuis plus de dix ans. Une situation qui poussera subitement
la jeune mère à quitter le nid familial en compagnie de
son fils pour s’aventurer au coeur de la campagne roumaine avec
un seul objectif en tête qui, jusque-là, n’aura pas
encore été totalement défini. Un soir, Katalin
fera la rencontre d’un homme auquel elle tendra ultimement un
piège par esprit de vengeance. Avant de mourir, ce dernier lui
fera connaître l’identité de l’individu qu’elle
recherche vraiment et de la région dans laquelle il se trouve
à présent. Premier long-métrage de l’artiste
multidisciplinaire britannique Peter Strickland, Katalin Varga
tire avant tout sa force dramatique de l’aura de mystère
entourant sa protagoniste et de l’atmosphère particulièrement
lugubre qu’il matérialise progressivement autour de celle-ci.
La nature n’a ainsi rien de réconfortante dans le présent
effort alors qu’elle est toujours intrinsèquement liée
au profond traumatisme que vécut jadis son personnage titre.
Ces paysages glauques dominés par la brume défilent ainsi
au rythme des élans musicaux tout aussi inquiétants de
Steven Stapleton et Geoff Cox. Ceux-ci permettront d'ailleurs d'accentuer
un certain détachement par rapport à la principale intéressée
dont il sera parfois difficile d’être sympathique à
la cause, même si nous nous doutons bien du motif de ses actions,
lequel nous sera révélé lors d’une séquence
absolument formidable au cours de laquelle une tension dramatique déjà
palpable atteindra subtilement son apogée. Cependant, il faut
bien admettre que le film de Strickland demeure essentiellement du domaine
de l’anecdotique alors que la résonance de son discours
se révèle parfois assez limitée, si ce n’est
que pour cette notion de justice qu’il parvient à édifier
sans jamais faire le moindre compromis. Mais grâce à la
force de ses images et du jeu de sa principale interprète, le
cinéaste réussit en bout de ligne à faire de ce
récit somme toute assez classique un drame saisissant, et surtout
parfaitement maîtrisé.
10.12.2009 - Capsule
KOMA
de Ludwig Wüst (2009)
Par Clara Ortiz Marier
Le
jour de son cinquantième anniversaire, Hans, chauffeur de taxi
et père de famille, refuse de se présenter à la
petite réception organisée par sa femme et ses amis. Le
quinquagénaire à l’esprit tourmenté préfère
la quiétude et la solitude d’un bord de lac à la
présence de ses proches. À son retour à la maison,
Hans trouve dans son salon un dvd gravé appartenant à
son fils; un « snuff movie » sordide déniché
sur Internet. Dans ce court film, un homme et une femme s’adonnent
à une séance de sado-masochisme particulièrement
violente. Le visionnement de la vidéo met le feu aux poudres,
dès lors, le protagoniste, hanté par le souvenir de Gertrude
et de ce qu’il lui a fait subir, décide brusquement de
quitter sa femme et son fils. Hans, malgré son quotidien aux
apparences tranquilles, porte en lui la marque d’une brutalité
sauvage. Étrangement, cette information passe mal à l’écran.
La mise en scène et le jeu de l’acteur ne nous permettent
pas de comprendre le trouble du protagoniste. On perçoit un détachement
et une incapacité du personnage à vivre sa vie comme avant,
mais la douleur et le remord présumé de Hans ne se font
pas très bien sentir. Incapable de continuer à vivre la
double vie qu’il menait, Hans part à la recherche de Gertrude
afin de faire face à ses démons et peut-être éventuellement
s’absoudre de ses fautes. Le spectateur suit avec impuissance
le parcours du personnage, dans une suite de scènes où
le réalisme se manifeste dans les détails anodins, comme
dans les silences et les non-dits qui contribuent à insuffler
une certaine lourdeur à l’ambiance générale
du film. L’acteur principal, avec son jeu très peu démonstratif,
nous laisse dans une certaine ambivalence. Difficile de vraiment savoir
ce qui est ressenti par le protagoniste mais difficile aussi pour le
spectateur de rester indifférent à la tension sous-jacente
de certaines scènes. Car ici, la violence agit sur deux plans
: explicite et soudaine comme dans le film amateur déniché
par le fils de Hans, mais aussi latente et inhérente à
l’ensemble du film.
10.14.2009 - Capsule
MAURICIO'S
DIARY de Manuel Pérez (2006)
Par Mathieu Li-Goyette
Lancinant,
long et classique, le Mauricio’s Diary de Pérez
est un film fleuve à l’eau de rose rempli de bons sentiments
et d’interprétations poignantes. Prenant source dès
la chute du mur de Berlin et l’écroulement progressif du
bloc communiste, l’histoire de Mauricio est celle d’un homme
profondément ancré dans son passé; n’étant
même plus capable d'en rire, il ne lui reste qu’à
pleurer les vestiges de la confrérie communiste. Suite à
la dispersion de sa famille aux quatre coins du monde à cause
du pêché originel commis par le père (l’adultère),
Mauricio demeure seul sur l’île, trop vieux pour rejoindre
les rangs des étudiants-voyageurs, trop sage pour embarquer à
pieds joints dans cette idéal de mondialisation - il ne le nomme
jamais, c’est ce « quelque chose qui ne m’intéresse
pas » du vieil homme grincheux qui vivra du mieux qu'il peut en
saint. Rempli de compassion, c’est le talent de biographe chevronné
du réalisateur à analyser et à en venir à
une synthèse finale (le vieux Cuba est trop orgueilleux pour
suivre sa jeunesse… qui se fragmente depuis qu’elle a perdu
l’innocence de son idéalisme) qui sauve Mauricio’s
Diary du sentiment complaisant de mélodrame exotique. Mise
en scène dans les règles trop strictes de l’art,
servi par une trame sonore aux longs legatos mélancoliques, l’éloquence
de Pérez est toute remplie de bonne volonté et d’un
déplaisant arrière goût du « cinéma
de mon'onc » cubain (de toute façon horriblement mal distribué
pour pouvoir juger de sa valeur d’oeuvre contemporaine). D’ici,
il est uniquement possible de pointer la puissance de son récit
et la couleur bien fade de son apparence rose bonbon.
12.02.2009 - Capsule
LA
MERDITUDE DES CHOSES de Felix Van Groeningen
(2009)
Par Mathieu Li-Goyette
Au
terme du visionnement de La Merditude des choses, il viendra
au spectateur québécois une impression de déjà
vu. Cette impression, elle est issue de cette vision étrangère
si ressemblante, rappelant l'oeuvre de Lauzon, mais aussi l'écroulement
familial tel qu'Arcand l'a mis en scène. « Pays »
entre guillemets, la Flandre parle Flamand, et du haut de ses six millions
d'habitants, tente de résister à l'assimilation belge
(et française au Nord) tout en luttant pour faire connaître
sa culture de par le monde. Le cinéma flamand, bien qu'il demanderait
une exploration certaine, nous fournit pour l'instant cette Merditude,
un joyau des cinémas nationaux. Faisant état de l'enfance
de Gunther Strobbe, le troisième film de Groeningen appose une
structure en alternance avec un présent où le jeune s'avère
être devenu la caricature d'un écrivain célèbre
et misanthrope qui dirige une réflexion sur la décadence
de la classe moyenne en Belgique en déterrant ses pires souvenirs.
Ceux-ci, constamment plongés dans une triste nostalgie, sont
aussi noyés dans les beuveries de la famille Strobbe qui font
la honte du quartier et, à travers festivités et coups
d'éclats, font la une des commérages du coin. Incapable
de soutenir la tension accumulée au fil des ans, incapable de
supporter l'avalanche d'insultes et de commentaires désobligeants,
le jeune Strobbe sera amené à tracer son propre chemin
à travers un récit initiatique dont l'espoir, enseveli
sous le pessimisme et de sombres états d'âmes, rappelle
certainement l'état d'abandon dont souffrait Ben X dans le film
homonyme il y a de ça deux ans. Maîtrisé et servi
par des interprétations de qualité, La Merditude des
choses est un film que l'on qualifierait de coup de poing; d'autant
plus véridique puisqu'ici, c'est du père et de cet éclatement
des relations père-fils dont l'adage est issu. Bris des liens
du sang, bris d'un pacte coulé dans et par la bière, la
décadence du film de Groeningen est dévastatrice, poignante,
mais surtout force le regard vers une nouvelle voix qu'il faudra assurément
surveiller de très près. S'efforcer d'écouter,
puis de comprendre les enjeux qui, du premier regard, semblent être
en mesure de nous toucher si profondément comme si, de par-delà
l'océan, il était possible de retrouver un autre cousin
de cinéma.
10.19.2009 - Capsule
MEREDITH
MONK: INNER VOICE de Babeth M. Vanloo
(2009)
Par Louis Filiatrault
Le
vingtième siècle est celui qui a vu les artistes occidentaux
mêler et questionner les notions traditionnelles de « médium
», avant d'embrasser la possibilité du corps comme support
fondamental de l'expression. Bien connue du milieu des arts performatifs
depuis les années 60, l'Américaine Meredith Monk est l'une
des figures-phares de ce renouveau des arts de la scène, et c'est
un hommage d'une sérénité communicative que lui
rend l'Hollandaise Babeth M. Vanloo dans ce documentaire modeste mais
très agréable. Si le travail filmique de l'artiste multidisciplinaire
ainsi que ses premiers temps auprès des collectifs d'art subversif
y sont très sommairement évoqués, Inner Voice
explore en profondeur les présentes activités de celle-ci,
ainsi que l'aboutissement de ses principes en évolution perpétuelle.
Des plus lointaines expériences avec le groupe Dolmen Music jusqu'aux
« opéras » plus tardifs, ces compositions minimalistes
parfois stridentes sont guidées par la mémoire musculaire,
faculté consistant à intérioriser des phrases curieusement
apaisantes lorsque mises en contexte. Les nombreuses bribes de «
Songs of Ascension », sa création la plus récente,
révèlent d'ailleurs une manifestation physique et sonore
absolument stupéfiante, vibrant d'un esprit de communauté
n'ayant rien d'archaïque. Pour sa part, Monk elle-même fait
preuve d'un verbe spirituel et constamment intéressant, loin
de la condescendance ayant contaminé plus d'un pratiquant du
bouddhisme « new age ». À la réalisation en
vidéo numérique, Vanloo s'en tient au strict minimum,
mais évite le bombardement d'information, laisse aux collaborateurs
la chance de s'exprimer en longueur, et canalise de ce fait l'aura de
paix entourant la démarche de l'artiste. Moment d'intimité
privilégié, Inner Voice est aussi disponible
en ligne pour un visionnement gratuit. (Lien)
10.21.2009 - Capsule
NÉ
POUR ÊTRE SAUVAGE: L'HISTOIRE TROUBLE DE WD-40 de
Pierre-Alexandre Bouchard et Alex Jones (2009)
Par Mathieu Li-Goyette
Je
fais parti d’un type de Québécois dans la vingtaine
qui n’a jamais connu WD-40. Ni en spectacle, ni en album, peut-être
en aérosol dans les outils du garage, mais voilà tout.
Pourtant, le documentaire personnel de Pierre-Alexandre Bouchard et
personnalisé par Alex Jones ne m’a pas nécessairement
donné le goût de quitter ma catégorie de non-initié.
Oeuvre intéressante qu’est celle de WD-40, certes, c’est
devant la structure disparate et bâclée du documentaire
que l’impression d’être une procession de foi s’adressant
aux convertis remplace la curiosité par l’ennui. Sans être
malhonnête non plus, il est important de mentionner que ce Né
pour être sauvage est une création de musiciens de
profession et que, à travers les commentaires élogieux
de Michaëlle Jean et Mononc’ Serge à l’égard
du groupe poursuivi par la poisse, il finit, au bout de quelques scènes
de calvaire à nous faire avaler cette notion de « film
» de famille. Tourné en vidéo au fil d’une
dizaine d’années (regroupant donc l’existence du
groupe et de ses vidéos souvenirs), l’alternance entre
ces moments de déchéance et ces entrevues filmées
au présent tentent d’élever un discours mélancolique
en se remémorant les chances ratées de la formation musicale.
Car grandement articulée tout en renvoyant des insultes d’une
intervention à l’autre, la camaraderie qui uni Alex Jones
à son frère et au reste du groupe demeure une expérience
touchante qui vise à faire s'écrouler les stéréotypes
qui furent lancés à l’occasion des « succès
» du groupe. « Vulgaires », « sales »,
« bûcherons », on y découvre à l’inverse
justement une verve inspirée quotidienne, un rock « made
in Québec » avec l’originalité suffisante
de demander un documentaire. Victimes lors de leur carrière du
nez levé des chefs d’antenne puritains, victimes de l’apparent
dédain des documentaristes à leur endroit alors qu’on
souhaitait voir un hommage posthume au groupe devenu culte, c’est
jusqu'au cinéma que les frères Jones auront été
mal encadrés et finalement malchanceux. Et s’ils n’avaient
pas dû compter uniquement sur les moyens du bord pour s’exprimer…
10.12.2009 - Capsule
NEW
DENMARK de Rafaël Ouellet (2009)
Par Jean-François Vandeuren
Les
premiers instants du troisième long-métrage de Rafaël
Ouellet laissent présager une suite directe au bouleversant Derrière
Moi de 2008. Nous suivons alors le parcours d’une jeune adolescente
sillonnant les rues d’une petite ville de région et posant
des affiches dans le but de retrouver sa soeur récemment disparue.
Mais si tout lien avec le film précédent de Ouellet est
vite écarté du point de vue du récit, New Denmark
conserve néanmoins plusieurs attaches avec celui-ci au niveau
de la forme et du fond. Le cinéaste québécois pose
une fois de plus les bases d’un univers cinématographique
d’une inquiétante sérénité et composé
de très peu de dialogues, dissimulant une tension dramatique
dont l’implosion sera traitée avec tout autant de retenue.
Oeuvre empreinte d’une profonde tristesse, New Denmark
réorientera progressivement ses observations des gestes posés
en (dés)espoir de cause par sa protagoniste pour se concentrer
de plus en plus sur le deuil que devra vivre cette dernière.
Le réalisateur réussit ainsi à traiter d’un
sujet des plus délicats - et d’actualité - en abordant
celui-ci sous un angle pour le moins intrigant, et parfois même
inusité. La problématique de la relation avec les étrangers
se révélera d’ailleurs beaucoup moins alarmiste
que dans Derrière Moi alors qu’elle permettra
malgré tout l'établissement d’un lien de confiance
qui, cette fois-ci, ne réservera aucune mauvaise surprise à
son personnage principal. S’inscrivant dans une tendance privilégiant
une approche extrêmement épurée au coeur d’un
milieu évoluant à des miles des grands centres urbains,
Rafaël Ouellet poursuit son parcours en s’affirmant comme
un artiste qui sera définitivement à surveiller au cours
des prochaines années. Son langage étant désormais
défini, il ne lui reste plus à présent qu’à
en peaufiner l’exécution, qui a parfois tendance à
s’égarer sur le plan scénaristique en plus de comporter
quelques fautes techniques un peu gênantes qui auraient pourtant
pu être facilement évitées.
10.10.2009 - Capsule
NUAGES
SUR LA VILLE de Simon Galiero (2009)
Par Mathieu Li-Goyette
D'un
côté, c’est Robert Morin, de l’autre Jean-Pierre
Lefebvre. De l’un l’iconoclaste vidéaste du cinéma
québécois, de l’autre le sage qui ne parle plus
très souvent, mais qui demeure encore et toujours d’une
pertinence troublante. Deux figures essentielles de notre septième
art sous la direction de l’écrivain de cinéma Simon
Galiero (qui occupe tour à tour ici le métier de réalisateur,
scénariste, monteur, assistant aux sous-titres même!) et
qui trace le portrait d’un certain temps contemporain, intrinsèquement
lié aux significations qu’empruntent la représentation
du monde par ses diverses images. Un adolescent joue à la vie
sur Wii jour et nuit, des camarades polonais qui se perdent en forêt
sous fond de discussion sur l’avenir et la mondialisation, Morin
qui interprète l’ « habitant » à la
recherche d’un emploi et Lefebvre l’écrivain à
la gloire d’antan; un véritable dandy à ses heures
lorsqu’il pénètre dans un club vidéo à
la recherche de Skolimowski et de Wajda (qu’un Polonais croit
boulanger : comble du drame pour le cinéphile qu’est Galiero!).
Malgré un scénario particulièrement réussi
dans sa collaboration avec une mise en scène au temps dilaté,
les longueurs demeurent inhérentes à ce premier long-métrage
qui tente (et réussi bien quelques fois) à faire parler
l’environnement étiqueté de ses personnages. Bornes
de signalisation pour situer le discours de Galiero au carrefour de
la critique d’un monde postmoderne et à l’absurdité
du monde (et du même discours qu’il aura premièrement
entrepris), ces signes étampés de long en large des Nuages
sur la ville en font pourtant une oeuvre curieusement humble. Même
si cette dernière ne représente pas les aspirations épatantes
du Capitalisme sentimental d’Asselin (2008), elle le
rappelle certainement en thème et dans la dérision qu’elle
dévoile face au « monde » ramené à
la loupe par un cinéaste au grand discours, mais à l’exécution
tout juste encore en apprentissage de montage et de concision. Nous
attendrons la deuxième prise avec impatience.
10.12.2009 - Capsule
PASSENGER
SIDE de Matthew Bissonnette (2009)
Par Alexandre Fontaine Rousseau
On
sous-estime trop facilement le potentiel que possèdent deux bons
personnages, bien campés, livrant avec aplomb un dialogue intelligent,
de porter sur leurs épaules un film autrement plutôt ordinaire.
Passenger Side, sans être vraiment marquant, offre ainsi
un agréable moment pour cette exacte raison. Les personnages
du cinéaste d'origine montréalaise Matthew Bissonnette,
deux frères errant à bord d'une BMW des belles années
dans un Los Angeles gentiment décalé s'étendant
à perte de vue, échangent mots d'esprit et insultes inspirées
tout au long des quatre-vingt-cinq rapides minutes que dure ce sympathique
road movie qu'on imagine sans peine en compétition à
Sundance. Leurs conversations sautent de la scientologie au hockey,
sur ce ton légèrement distancié qu'ont généralement
en commun les protagonistes de ce genre de comédies « indie
» sans prétention tandis que défilent en arrière-plan
des chansons de Wilco, Leonard Cohen, Islands, Dinosaur Jr. et The Mountain
Goats. Mais, chose plus rare, leur cynisme sonne vrai et leur sens de
la répartie dégage malgré sa précision clinique
une spontanéité parfois jouissive. Cette complicité
qui s'installe entre les protagonistes au fur et à mesure que
progresse leur odyssée jusqu'aux limites de la ville pourrait
nous laisser croire que Bissonnette désire ici nous rappeler
que « la famille, il n'y a que ça de vrai dans la vie »;
mais un dernier retournement un brin forcé de son scénario
vient ébranler les fondements de cette morale naïve. Certes
inconséquent mais sans conteste amusant, Passenger Side
divertit adéquatement comme le ferait une bonne sitcom bien écrite
conservant son air d'aller jusqu'à la fin. Revenez-nous la semaine
prochaine pour de nouvelles aventures des éternels adolescents
cultivés en état de perpétuelle crise existentielle…
10.02.2009 - Capsule
RAPPING
WITH SHAKESPEARE de Michael King (2008)
Par Jean-François Vandeuren
Sur
papier, la prémisse de ce Rapping with Shakespeare de
Michael King est en soi tout ce qu’il y a de plus intrigante.
Le cinéaste semble ainsi vouloir suivre le parcours d’un
professeur enseignant dans une école d’un quartier peu
cossu de Los Angeles qui tente d’intéresser sa classe à
l’oeuvre de William Shakespeare en tissant différents liens
entre le travail du dramaturge anglais et celui des rappeurs idolâtrés
par ses élèves. Dans le but d’offrir un portrait
un peu plus approfondi de cet univers, King s’immiscera dans la
vie de ses principaux sujets tout en cherchant à établir
certains parallèles entre leur petite histoire et celle de personnages
tels Henry V, Jules César, Roméo et Juliette - dans lesquels
ces derniers se seront, d’une certaine façon, reconnus.
Le problème toutefois est que le réalisateur finit par
abandonner complètement son idée de départ pour
concentrer toutes ses énergies sur sa trame de fond, mais en
approchant celle-ci d’une manière toujours aussi approximative.
Les diverses interventions du professeur nous présentant son
cours ne feront d’ailleurs pas plus de sens que celles des jeunes
individus cherchant à défendre la culture rap. Un montage
absolument désastreux ne fera, pour sa part, que miner davantage
une trame narrative déjà complètement déficiente
par le biais de laquelle King ne se contentera que de nous présenter
de façon générique le parcours d’individus
ayant réussi à échapper à la dureté
d’un milieu particulièrement violent, et à assurer
leur avenir de belle façon. Il est d’ailleurs assez difficile
de comprendre comment le présent effort a pu en arriver là
alors que des témoignages n’ayant souvent aucun point en
commun s’enchaîneront d’une manière de plus
en plus confuse et désordonnée. L’ensemble ne sera
évidemment pas aidé par le manque total d’ambition
dont fait preuve King au niveau de la forme, tandis qu’une trame
sonore pleurnichant constamment ses rythmiques de fond de ruelle et
de synthétiseur new age viendra planter le dernier clou dans
le cercueil de cette production on ne peut plus aberrante.
10.19.2009 - Capsule
THE
RED CHAPEL de Mads Brügger (2009)
Par Louis Filiatrault
Le
documentaire insolent, que le fameux Borat consacra pour de
bon il y a déjà trois ans, connaît depuis une ébullition
certaine. Et pourtant, rares sont les efforts qui, à travers
un tel dispositif satirique, sont parvenus à exposer au-delà
des tics de surface la réalité du groupe infiltré.
Ce n'est heureusement pas le cas de ce distrayant The Red Chapel
qui, sans raffiner particulièrement la forme du sous-genre, montre
toute l'actualité de la dictature ayant cours en Corée
du Nord. La réussite du film se fonde avant tout sur une certaine
humilité de la part des instigateurs: tandis qu'un film comme
Religulous visait ouvertement à tourner ses cibles en
dérision, les complices du film de Mads Brügger commencent
avant tout par se ridiculiser eux-mêmes dans un jeu de masques
savoureux. Les deux humoristes aux racines coréennes réunis
par le cinéaste débarquent en effet du Danemark en proposant
un spectacle débile qui ferait office d'« échange
culturel » auprès des masses ordinaires ; performance qui,
une fois corrigée par les officiels, n'en deviendra que plus
grotesque et pitoyable.
C'est avec un sens aiguisé de la subversion et de la situation
révélatrice que Brügger documente ce parcours moqueur,
dont il nous assure que chaque prise de vue fut approuvée par
le bureau de censure nationale: la scène où la guide assignée
du groupe, figure fascinante à la dégaine suspecte, fond
en larmes devant la grande statue de Kim Il-Sung, n'en est qu'un exemple
remarquable. Il en va de même du défilé gigantesque
auxquels s'incrustent les comparses, donnant au film des allures de
Triomphe de la volonté inversé. Malheureusement,
certaines erreurs de jugement retirent au film une part de sa force
latente: à la merci du réalisateur-interprète,
le spectateur est sommé d'endurer de nombreux échanges
non sous-titrés, ainsi que les positions trop explicites de celui-ci
par rapport aux situations observées. Ces quelques défauts
ne suffisent pas cependant à neutraliser la pertinence de ce
film qui inquiète en même temps qu'il amuse, donnant à
voir une mentalité monstrueuse ne laissant passer aucune occasion
de se valoriser elle-même.
10.12.2009 - Capsule
RIEN
À PERDRE de Jean-Henri Meunier
(2009)
Par Jean-François Vandeuren
Le
dernier projet du cinéaste français Jean-Henri Meunier
(Ici Najac, à vous la terre) prit forme suite à
une rencontre pour le moins inattendue entre ce dernier et Phil le fakir,
un clown itinérant qui, par une belle journée d’octobre
2006, célébrait son anniversaire dans les rues de Toulouse
en partageant son bonheur avec le reste des passants. Quelques mois
plus tard, le sympathique personnage participait à une mobilisation
organisée par les Enfants de Don Quichotte, un rassemblement
d’individus en quête d’un toit qui s’installèrent
dans les allées François Verdier dans l’espoir qu’on
les entende et qu’on leur vienne en aide. Évidemment, la
réponse des instances politiques n’en finira plus de se
faire attendre. Accompagnant discrètement ses différents
intervenants, la caméra de Meunier prend petit à petit
les traits de l’un de ces manifestants ayant décidé
de braver le froid et des conditions souvent assez difficiles pendant
près de cinq mois pour arriver à leurs fins. Mais plutôt
que de mettre l’emphase sur la misère humaine dans le but
de faire ressortir un quelconque sentiment de pitié ou d’indignation
chez le spectateur, le réalisateur propose plutôt une fascinante
fable humaine sur la détermination, la dignité et le droit
à l’égalité. C’est d’ailleurs
en s’intéressant davantage à la fougue et à
la solidarité unissant ces individus plutôt qu’à
leurs conditions de vie que Meunier finira par conférer une connotation
beaucoup plus optimiste que défaitiste au titre de son film.
Le cinéaste se montrera aussi particulièrement habile
dans la façon dont il traitera le passage du temps, isolant le
spectateur aux côtés de ses protagonistes en ne lui donnant
jamais droit de regard au-delà des barricades. Documentaire assez
classique, et ce, autant au niveau de la forme que des enjeux abordés,
Rien à perdre propose néanmoins un portrait fascinant
d’une situation sociale au-dessus de laquelle planent encore énormément
de préjugés et dont personne n’est véritablement
à l’abri.
10.10.2009
- Capsule
SHE,
A CHINESE de Xiaolu Guo (2009)
Par Mathieu Li-Goyette
Alors
que ce dernier récipiendaire du Léopard d'Or au festival
de Locarno remet brièvement en question la qualité du
reste de la compétition du prestigieux festival, l'oeuvre bien
humble de Xiaolu Guo n'en demeure pas moins une des belles folies de
cette sixième génération de cinéma chinois
(celle de Jia Zheng-Ke, Wang Bing et autres). Racontant les périples
de la jeune Mei qui n’est jamais « allée à
plus de 5 miles de chez elle » (comme le stipule l’un des
nombreux intertitres d’un film où l’usage de ceux-ci
s’avère primordial à la compréhension du
récit) à travers une planète mondialisée.
Celui-ci, grandement composé en silences, sert de paysage au
trajet de la jeune Chinoise jusqu’en Angleterre où elle
cherchera l’amour qui lui a été enlevé depuis
un fatidique après-midi où un homme d'apparence bonace
l’agressera. Troublé, souillé, elle fuit vers la
ville, puis vers le monde. She, a Chinese raconte alors la
réapropriation d’une confiance envers la vie et envers
ceux avec qui l’on doit la partager (le copain, le mari). Transporté
par une mise en scène restreinte en moyens et jouant habilement
d’une trame sonore envoutante, ce n’est pas tant l’aspect
plastique extrêmement réussi du film que son manque à
trouver une terminaison pertinente à l’état d’être
chinois qui ne suffira pas à combler les attentes face au cinéma
de Guo. Chinoise parmi le monde, Mei est une moyenne, un indicateur
de sa condition nationale perdue, puis retrouvée au prix coûteux
de la perte de toute innocence. C’est de ces dommages collatéraux
dont ressort la plus grande force et la plus belle réflexion
de ce quatrième film de Xiaolu Guo qui, après The
Concrete Revolution, How is Your Fish Today et We
Went to Wonderland, continue de s’assurer peu à peu
une position de choix dans le panorama du cinéma chinois.
10.21.2009 - Capsule
TEARS
OF APRIL d'Aku Louhimies (2009)
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Un
nom n'est qu'un nom, et il ne faut pas se fier à un nom me dira-t-on.
Mais certains noms d'événements, comme par exemple «
Festival du Nouveau Cinéma », créent inévitablement
des attentes quant à la nature même des films qui y seront
programmés. Voir un drame historique aussi classique dans sa
facture que Tears of April dans le cadre d'un festival théoriquement
consacré à l'innovation et à une certaine conception
contemporaine du cinéma a donc de quoi surprendre, surtout lorsque
le film en question s'avère en rétrospective parfaitement
négligeable. Car, suite à une mise en situation somme
toute prometteuse annonçant une réflexion sur la notion
de justice en temps de guerre, le film du cinéaste finlandais
Aku Louhimies s'égare en choisissant la voie extrêmement
convenue (et inutile, a-t-on le goût d'ajouter) du mélodrame
sur fond de fin de guerre civile. Le public a ainsi droit à une
véritable liste d'épicerie de lieux communs du genre:
les amours condamnés, les suicides tragiques, les soldats transformés
en animaux, les monologues arrogants débités par des personnages
taxés sans équivoque d'intellectualisme bourgeois par
la mise en scène… Il y a pourtant un court moment où
l'on espérait aimer Tears of April, lors de cette séquence
sur une île isolée où le paysage linéaire
et décoloré donnait à rêver un huis-clos
opposant deux personnages réduits par les conditions arides à
leur essence primaire. Une fois cet endroit quitté, le film multiplie
malheureusement les scènes maladroites en tentant de peindre
une ambitieuse fresque d'époque avec les moyens d'un téléfilm
de luxe. Comme les deux protagonistes principaux , il ne nous reste
plus alors qu'à revisiter en mémoire cet espace sauvage
où tous les espoirs nous étaient encore permis jusqu'à
la délivrance offerte par le plan final - une image fixe qui
matérialise une bonne fois pour toute la mentalité figée
à l'oeuvre derrière cette mise en images terriblement
convenue du passé.
10.14.2009 - Capsule
VAMPIRES
IN HAVANA de Juan Padrón (1985)
Par Alexandre Fontaine Rousseau
«
Faites attention, car l'homme qui se tient à vos côtés
sur la plage… pourrait bien être un vampire! » C'est
sur cet avertissement que se termine l'amusant Vampiros en La Habana!,
classique de l'animation cubaine où le vampirisme s'avère
- quelle surprise! - une métaphore fort peu subtile d'un capitalisme
sanguinaire. Il y a d'un côté les vampires américains,
gangsters assoiffés d'argent et de pouvoir, et de l'autre les
vampires européens, riches bourgeois qui veulent que rien ne
change; et pris entre ces deux forces il y a le sympathique vampire
cubain Pepito, qui joue de la trompette et participe à la Révolution
tandis que son oncle tente de le « guérir » de sa
condition. À mi-chemin entre le gentil dessin animé du
samedi matin et les escapades plus osées d'un Ralph Bakshi, le
film de Juan Padrón n'arrive jamais vraiment à se situer
esthétiquement entre ces deux pôles; mais ses positions
politiques sont quant à elles autrement moins ambigües,
le discours du film se situant très clairement à gauche
sur le grand échiquier des idées. Tandis que le joyeux
Pepito et ses camarades tentent de renverser le régime en place,
les vilaines forces capitalistes internationales s'affrontent autour
du sort à réserver au « Vampisol » - un élixir
qui permet aux vampires de s'exposer au soleil sans en mourir. Bien
plus que les intérêts du peuple vampire, c'est le profit
qui motive les querelles entre les puissants du monde des morts-vivants.
Heureusement, le bien commun triomphera et Pepito, libéré
de sa malédiction, devient un exemple de rédemption pour
l'ordre mondial. À défaut d'être un film particulièrement
brillant, Vampiros en La Habana! s'avère une curiosité
historique fort ludique (pour des raisons d'abord idéologiques)
portée par une trame sonore funky à souhait signée
Arturo Sandoval.
10.16.2009 - Capsule
VERMILION
SOULS d'Iwana Masaki (2007)
Par Mathieu Li-Goyette
J’aime
le cinéma japonais. J’ose espérer en connaître
les forces et faiblesses… mais il arrive un temps où l’on
doit se rendre à l’évidence que son propre alma
mater est capable de trahison. Ordure parmi les déchets d’un
cinéma « différent », le premier film produit,
écrit et réalisé par Iwana Masaki a la prémisse
d’Alice au pays des merveilles. Où un jeune écolier
s’aventure de l’autre côté d’une mystérieuse
porte où des esprits mélancoliques attendent impatiemment
d’être au nombre de cinq pour être gazés, jeux
sexuels et taquineries tordues s'additionnent sans jamais s'imbriquer.
En attente d’atteindre le sublime état d’éthéré,
il y a dans ce ramassis de platitude et de laideur plastique un bagage
référentiel repiqué au buto (danse macabre née
graduellement au tournant des années 60) et aux effets esthétiques
et décoratifs du théâtre de marionnettes bunraku.
Accompagné d’un lourd texte sur la mort, la réincarnation
et l’atmosphère cataclysmique de ce fameux syndrome post-nucléaire
japonais, la vulgarisation est dangereusement pénible. En fait,
Vermillion Souls raconte autant de poésie et de grâce
que ne pouvait le faire en un plan le Ugetsu (1953) de Mizoguchi
dont Masaki s’inspire clairement. En plus d’être autrement
incompétent lorsqu’il tente en vain de créer un
dernier effet de distanciation en montrant les ficelles de sa mise en
scène, l’effet ne semble que rajouter l'insulte au désastre
prétentieux. Histoire de fantômes d’une autre époque
tout aussi bien en concordance avec cette idée de référent
culturel d’après-guerre, il y a dans la démonstration
contemporaine du cinéaste une capacité d’incompétence
dans la mise en scène, le cadrage et le montage qui fait état
d’une sorte de désir mutilatoire (envers sa réputation
de « cinéaste » et son public) à créer
de l’abjection entre l’oeuvre et le bien malheureux spectateur.
Faisant ainsi état d’une très piètre vision
d’un monde chargé en performances mémorablement
caricaturales (et faussement théâtrale tellement l'excès
dérange), nul besoin d’être un cinéphile bien
parcimonieux pour fuir les fantômes de Masaki et s’apercevoir
qu’il est encore temps de quitter la salle et s'échapper
du monumental échec.
10.19.2009 - Capsule
VIVA
EL CUBEC LIBRE de François Gourd
et Mélanie Ladouceur (2009)
Par Alexandre Fontaine Rousseau
L'idée
en tant que telle n'est pas mauvaise: l'invention d'un pays virtuel,
union du Québec et de Cuba, qui porterait le nom de Cubec. On
peut aisément imaginer une fiction amusante s'inspirant du projet,
ou même un documentaire intéressant sur le cheminement
de cette idée parfaitement farfelue dans le monde si sérieux
de la politique. Mais qui a envie de voir le vidéo de voyage
qu'a réalisé François Gourd lors de son escapade
au royaume de Fidel? La réponse est tristement simple: à
peu près personne. Surtout quand l'exécution est aussi
pitoyable et la sélection des sujets aussi inconséquente
que dans ce Viva el Cubec libre réellement interminable
malgré sa très courte durée. La tragédie,
c'est que derrière cette simpliste opération promotionnelle
pour le sympathique parti NéoRhino du réalisateur se cache
toute une série de valeurs nobles avec lesquelles on est en accord
- et qu'on aimerait voir exprimées correctement. Mais pourquoi
la forme de l'essai doit-elle être si clairement bâclée,
la démarche artistique si peu inspirée? Ce pamphlet est
visiblement une arrière-pensée, le symptôme d'un
désir de mise en images de tout réel vécu; une
captation sans raison, sans direction, d'événements qui
devaient être agréables sur le coup, mais s'avèrent
sans intérêt une fois emboîtés en une suite
de cadres sans intentions. En tant qu'objet cinématographique,
Viva el Cubec libre témoigne d'une totale incapacité
à retranscrire à l'écran l'énergie du moment
et la portée satirique du geste. Que Gourd ait voulu se monter
un petit souvenir audiovisuel à montrer à sa famille et
à ses amis, voilà qui n'a rien d'insultant. C'est en présentant
la chose en public qu'il l'offre en pâture à un regard
critique auquel elle ne peut pas survivre plus de cinq minutes. Regrettons
l'occasion manquée et passons sans trop nous attarder, pour ne
blesser personne là où personne ne mérite d'être
blessé.
10.16.2009 - Capsule
WAPIKONI,
ESCALE À KITCISAKIK de Mathieu
Vachon (2009)
Par Louis Filiatrault
C'est
une foule étonnamment nombreuse et manifestement enthousiaste
qui s'est présentée à la première de Wapikoni,
escale à Kitcisakik. Bavarde et sans affectations, l'atmosphère
peu commune au festival était parfaitement appropriée
au visionnement d'un film à l'honneur d'une initiative tout aussi
conviviale, à savoir la « roulotte vidéo »
circulant depuis maintenant cinq ans parmi les communautés autochtones
du Québec. Mais si le sujet, aussi noble soit-il, ne laisse pas
forcément présager un hommage très enlevant, quelle
n'est pas la surprise de découvrir un film d'une éloquence
et d'une sensibilité remarquable. Monté en douceur et
photographié avec soin, Escale à Kitcisakik propose
une incursion pénétrante dans la réalité
de cette réserve située à proximité de Val-d'Or,
évitant avec bonheur d'insister sur la misère psychologique
de ses habitants, que la conversation et la force des choses finit par
révéler de toute façon. Les formateurs se montrent
généreux, d'une écoute exceptionnelle, tandis que
les quelques vidéastes amateurs s'avèrent attachants,
le film témoignant à merveille de la recherche, souvent
très personnelle, qui les pousse à profiter du passage
annuel de la roulotte dans leurs environs. Pour sa part, le choix d'inclure
à même le film l'essentiel des courts métrages réalisés
par ces derniers ainsi que leur projection publique donne à la
fois une conclusion et un prolongement approprié à cette
réflexion valable sur les bienfaits de la création et
le statut précaire des populations amérindiennes. Signant
son premier long-métrage, le réalisateur Maxime Vachon
peut se féliciter de ce documentaire d'excellente qualité.
10.16.2009 - Capsule
THE
WILD HUNT d'Alexandre Franchi (2009)
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le
besoin d'évasion est le principal thème de The Wild
Hunt, qui se penche sur l'étrange monde des jeux de rôle
« grandeur nature ». Si ses protagonistes se rejoignent
dans cette gigantesque fantaisie collective, s'ils acceptent ensemble
d'entretenir cette illusion, c'est qu'ils ont en commun le besoin d'échapper
à un réel qui n'est pas à la hauteur de leurs rêves.
Mais les non-initiés s'identifieront plutôt au personnage
d'Erik (Ricky Mabe), qui plonge à contrecoeur dans cet univers
parallèle un tantinet décalé afin de retrouver
sa copine (Kaniehtiio Horn, qu'on a aussi pu voir cette année
dans The Trotsky et Leslie, My Name Is Evil) séduite
par un diabolique chaman. Cette frontière séparant la
réalité de l'univers de sorciers et de chevaliers dans
lequel s'égare le sceptique Erik alimente en gags inspirés
le premier tiers du film du cinéaste montréalais Alexandre
Franchi. Difficile de dire si ce dernier rigole en compagnie ou aux
dépens de la communauté de joueurs qui l'a assisté
avec un enthousiasme palpable dans la réalisation de son premier
long-métrage, dont l'exécution technique s'avère
remarquablement professionnelle. Force est d'admettre, toutefois, que
ce milieu pour le moins particulier est dépeint de manière
comique et apparemment assez juste par Franchi qui accepte à
l'instar de son protagoniste d'adhérer au jeu. Malheureusement,
le scénario prend un virage pour le moins extrême au cours
d'un dernier acte qui détonne un peu trop par rapport à
ce qui a précédé - la sympathique comédie
de moeurs se transformant en film d'horreur, délaissant au profit
de cette démesure obligée les qualités plus intimistes
qui en avaient fait dans un premier temps une oeuvre somme toute étonnante.
10.14.2009 - Capsule
WOMEN
INTERRUPTED d'Ali Benkirane, Julian
West... (2009)
Par Louis Filiatrault
Il
y a de cela un an, l'infect Universalove de Thomas Woschitz
nous rappelait tout ce qu'un auteur de film à récits multiples
se déroulant « par-delà les frontières »
se devait d'éviter. Associations forcées, forme tapageuse,
intrigues incomplètes... Tout y passait. Aujourd'hui, sans non
plus y fournir une alternative miracle, le curieux Women Interrupted
propose une solution autrement plus raisonnable à un problème
esthétique similaire: rassemblés par la productrice Karine
Allenbach, sept courts-métrages de provenances et de natures
variées s'enchaînent pour composer un discours d'une certaine
cohérence sur le thème large de « la femme ».
De l'éducation (la privation simplement décrite d'une
petite Marocaine) au machisme ordinaire (l'escalade comique savoureusement
gérée par Suzanne Clément et Christian Bégin),
en passant par divers types de ruptures, le tout illustre un éventail
d'approches autant narratives qu'esthétiques, ainsi qu'un sens
du contraste et de la continuité maintenant l'intérêt
du début à la fin. Seul le segment français, niaiserie
amateure dénichée sur Internet (un fait intéressant
en soi), détonne vraiment de cet ensemble dont l'absence de prétention
n'empêche pas de révéler certaines signatures distinctives
(en particulier Julian West et Nastasja Andre de la Porte). En guise
de clôture, la portion mexicaine tournée en vidéo
analogique résume bien l'esprit doux-amer et spontané
de ce moment de découverte agréable, premier d'une série
dont on espère entendre à nouveau parler.