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AN EDUCATION (2009)
Lone Scherfig

Par Jean-François Vandeuren

Il y a ces histoires que l’on ne connaît déjà que trop bien. Celles que l’on nous a servies à toutes les sauces et dont on peut deviner la fin avant même qu’elles n’aient commencé. Celles qu’au moins un artiste quelque part sur Terre se montre systématiquement désireux de reprendre « à sa manière », et ce, année après année. Et pourtant, après avoir été exposés à une suite de productions généralement ternes et ennuyeuses, nous avons droit de temps à autre à une bouffée d’air frais qui, sans nécessairement réinventer la roue, reconfirme à tout le moins la pertinence d’une trame narrative éculée tout en lui assurant - bien malgré elle - une certaine postérité à court terme. Une telle trouvaille se doit évidemment de posséder quelques caractéristiques propres qui lui permettront de sortir des sentiers battus en plus d’éveiller la curiosité du spectateur. Un scénario typique auquel semble vouloir se conformer An Education, sixième long-métrage de la cinéaste danoise Lone Scherfig, en cherchant à donner un nouveau souffle au traditionnel récit d’initiation. Nous nous retrouvons ainsi au coeur de la banlieue londonienne au début des années 60. Nous sommes alors invités à suivre le parcours de Jenny (Carey Mulligan), une première de classe de seize ans estimant que le cadre académique dans lequel elle évolue tend de plus en plus à limiter son épanouissement personnel. Une rencontre fortuite avec David (Peter Sarsgaard), un jeune homme fringant de plus de dix ans son ainé, lui ouvrira soudainement les portes d’un monde de plaisirs et de découvertes dont elle ne pouvait jusqu’alors que rêver. La question sera inévitablement de savoir si ce sympathique diplômé de l’école de la vie ne finira pas par avoir une influence néfaste sur cette jeune femme que tous croient promise à un brillant avenir.

La particularité première du présent effort est évidemment l’implication de l’écrivain Nick Hornby qui, après avoir vu ses romans High Fidelity et About a Boy être parfaitement adaptés pour le cinéma, décida de jouer lui-même les scénaristes en portant à l’écran une partie des mémoires de la journaliste britannique Lynn Barber. Bien qu’un tel rayon puisse paraître quelque peu inusité dans la bibliographie de l’auteur, ce dernier réussit néanmoins à dissiper bien des doutes très tôt dans le récit grâce, entre autres, à la vigueur et à la grande intelligence de sa plume. Le portrait de l’époque se révèle en soi des plus fidèles, illustrant habilement toute la rigidité d’un système scolastique qui, pour sa part, reflétait celle d’une société somnolente et prisonnière de sa propre grisaille. Hornby créera à partir de cette mise en situation une savante opposition entre deux partis ordinairement en accord l’un avec l’autre. Ce ne seront ainsi pas tant les parents de l’étudiante plus que les instances académiques qui manifesteront le plus d’inquiétudes face à la relation florissante entre celle-ci et le jeune trentenaire. De leur côté, les parents de Jenny tomberont instantanément sous le charme de David, eux qui, bien que soucieux de l’avenir de leur fille, souhaiteront également son bonheur (à court terme). An Education semble d’ailleurs vouloir proposer un regard différent sur le contraste entre ces deux concepts en accordant autant d’importance à l’apprentissage théorique et à celui que l’on ne retrouve que dans ces expériences insolites auxquelles nous nous devons d’être confrontés. Car pour Jenny, cette idylle ne représentera pas tant une opportunité de goûter à tout ce dont elle a toujours eu envi plus qu’une chance inouïe de pouvoir enfin mordre dans la vie à pleines dents.

Un éveil à la fois intellectuel et sensoriel dont Scherfig et Hornby réussissent aisément à imprégner le spectateur grâce à la vitalité et l’esprit de découverte dans lesquels baignent continuellement leur univers filmique. Une énergie qui sera d’ailleurs savamment exprimée à travers la fascination de Jenny pour une culture française qui était évidemment bien plus excitante à l’époque que celle de sa propre patrie, de par sa musique, sa littérature et, bien entendu, son cinéma - qui était alors plongé en pleine nouvelle vague. Le tout atteindra d’ailleurs son apogée lors d’une escapade mémorable à Paris au cours de laquelle la sublime direction photo de John de Borman illustrera à la perfection le rêve éveillé, mais ô combien naïf, de la jeune protagoniste. Car il n’est évidemment pas question ici que d’une simple histoire de rite de passage, mais aussi de l’inévitable histoire d’amour entre les deux principaux personnages - que le duo édifie au départ d’une manière tout à fait charmante, et même étonnamment engageante. Mais comme il était à prévoir, c’est également cette partie de l’intrigue qui finira par enfoncer tout le film dans un bourbier dont celui-ci ne parviendra malheureusement jamais à se sortir. Ainsi, tous les pièges inhérents à ce genre de récits que l’auteur anglais avait su si habilement contourner durant les deux premiers actes de son scénario nous seront subitement renvoyés au visage, et ce, en à peine quelques minutes. Un effondrement pour le moins brutal qui était en soi inévitable, puisque nous nous doutions bien qu’il devait forcément y avoir anguille sous roche avec ce prétendant si extraordinaire. Le tout discréditera une bonne partie du discours tenu précédemment par les deux cinéastes, eux qui reculeront au tout dernier instant pour se conformer à un moule dramatique dont ils avaient pourtant réussi jusque-là à se dissocier complètement.

D’une certaine façon, un tel changement de cap se révélera bénéfique, et même tout à fait logique vues les circonstances, puisqu’il facilitera l’émergence d’un propos féministe qui permettra à Jenny de saisir enfin le sens de l’accomplissement de soi - par opposition à simplement profiter, voire dépendre, de la fortune d’un autre homme. Une idée que le père de l’académicienne contemplera néanmoins du coin de l’oeil, lui pour qui l’avenir et la réussite de sa fille n’auraient soudainement plus à passer par un long périple sur les bancs d’école pour lequel il devrait débourser d’importantes sommes d’argent. Ainsi, An Education ne finit que par ressasser l’histoire typique d’une jeune fille devant faire le point entre sa raison et ses sentiments. Un apprentissage obligé qui ne se fera évidemment pas ici sans certains accrochages. Le problème, c’est que le dernier acte du film est orchestré d’une manière si précipitée et insistante qu’il en émerge une morale particulièrement lourde ne laissant plus aucune place au moindre compromis au sein du discours prononcé par les deux artistes. Malgré tout, le présent effort s’impose comme une réussite artistique indéniable grâce à la mise en scène d’une grande élégance de Lone Scherfig et aux dialogues on ne peut plus savoureux de Nick Hornby. Le duo put aussi compter sur une distribution impeccable au coeur de laquelle s’imposent les Peter Sarsgaard et Alfred Molina de par leur performance absolument délectable, tandis que la jeune Carey Mulligan vole littéralement la vedette avec ce premier rôle d’envergure auquel elle insuffle toute la délicatesse, l’énergie et la candeur désirées. Jouant à la fois le rôle de l’élève et du professeur, An Education réussit, certes, à soulever plusieurs questions pertinentes sur les rudiments de la vie et de l’amour, mais sans nécessairement avoir l’ouverture d’esprit - ou la patience - requise pour répondre à chacune d’entre elles.




Version française : -
Scénario : Nick Hornby, Lynn Barber (mémoire)
Distribution : Carey Mulligan, Peter Sarsgaard, Alfred Molina, Olivia Williams
Durée : 95 minutes
Origine : Royaume-Uni

Publiée le : 23 Novembre 2009