ESPIONNER, CARTOGRAPHIER CRÉER:
LE NOUVEL ESPACE PUBLIC DU CINÉMA
Mercredi 14 Octobre 2009
Par Mathieu Li-Goyette
Beyond locative media: Mapping the public sphere
Inventeur du terme « nouveaux médias » (bien qu’il
le nie encore), Steve Dietz le conférencier, théoricien
et penseur de la toile multimédia était de passage à
Montréal pour cette quatrième journée bien chargée
du FNC Lab. Ayant entre autres événements organisé
des expositions dans le coeur des hautes technologies américaines
(Silicon Valley), Dietz est de ces pionniers chez qui le cinématographe
se retrouve entre deux perceptions : la scientifique (donc la première
qu’on lui aura incombé) et l’expressive (qui fait
la joie des vidéastes et artistes de l’art hybride). Du
cinéma (tant l’art que la salle) à l’environnement,
la « cartographie » de l’espace public selon Dietz
s’effectue par étape alors que d’une ville à
l’autre, sa caravane d’oeuvres faisant des nouvelles technologies
et de l’art conceptuel son cheval de bataille se déplace
en laissant derrière lui des bornes d’accès sans
fil aux coins de rue important et aux endroits les plus insolites. Bluetooth,
cartes réseau sans-fil, cette multitude d’ancrages virtuels
permet ainsi de trianguler la position de n’importe quel utilisateur
d’appareils électroniques dans le cadre d’un projet
baptisé Loco - il y a aussi ici une part de conquête, de
laisser derrière soi des marques au fer rouge dans l’espace
public. C’est en effet à partir de cet instant que les
messages textes envoyés de cellulaire en cellulaire lors de l'expérience
s’entrecroisaient, se mélangeaient et créaient une
situation de chat et de souris où les utilisateurs cherchaient
à retrouver, selon des trajets cartésiens, la source du
signal... redistribuée et modifiée au gré d'une
intelligence artificielle qui aime taquiner les passants.
Art interactif, on peut en dire autant d’un créateur qui
décida de relier toutes ses informations privées (déplacements,
utilisations de ses cartes de crédit, caméras de surveillance
chez lui, etc.) en ligne et en temps réel sur un site web personnel.
À chaque déplacement et d’une situation délicate
à l’autre (traversée des douanes, entrée
dans des zones restreintes) faisait de son quotidien une démonstration
du contrôle exercé par l’état (tant par sa
propre volonté que par les déplacements tumultueux qu’il
vivait) et en fait en quelque sorte un documentaire engagé ET
en temps réel. Repéré par ce système de
bornes et de caméras, cet exemple d’autoportrait vidéo
(les exemples semblables sont nombreux) est aussi celui que l’on
retrouverait si un piéton décidait de s’accrocher
une caméra au dos et de rouler aléatoirement à
vélo (le tout déterminé par ces mêmes bornes
sans fil par exemple). À mon avis, de cette expérience
de filmer une réalité non plus contrôlée,
il est alors possible de tracer les méthodes à venir d’une
démarche d’ « objectivité » documentaire
(qu’on sait impossible - les théoriciens du cinéma
en ont déjà assez parlé) qui, laissant parler un
certain geste aléatoire, se retrouverait finalement au coeur
d’un dripping de celluloïd, d’une recherche plastique
postmoderne. Sans vouloir imposer cette hypothèse, il est cependant
intéressant aujourd’hui de prendre en compte l’évolution
des nouveaux médias et du réseautage exhaustif de l’espace
public comme apparatus exceptionnel de nouvelles expérimentations.
De même, il serait primordial de se pencher sur les possibilités
d’une circulation permanente et surtout omniprésente dans
l’espace public pour le développement du jeu vidéo.
Réalité virtuelle ou virtualité de la réalité,
il est possible que ces nouveaux repères artificiels soient les
fondations d’une nouvelle recherche de causalité dans l’espace
vidéoludique jusqu’ici restreint aux écrans (au
mieux portables: voir Nintendogs).
STEVE DIETZ
C’est Michelle Teran qui eut ensuite la lourde tâche de
poursuivre dans le même ordre d’idées que Dietz.
Artiste de l’espace public (c’est Baudrillard qui l’aimerait,
cette formulation), c’était l’occasion d’être
témoin des faits, gestes et démarches de la créatrice
à travers les théories développées plus
tôt par Dietz. Ayant parcourue plus d’une quinzaine de villes
lors des dernières années accoutrée pour passer
inaperçue, micro et caméra en mains pour établir
peu à peu une cartographie visuelle des espaces publics sans
aucune manipulation technique sur l’image. Récemment, elle
a aussi commencé à retracer les utilisateurs du service
Youtube via le logiciel en ligne de repérage Google Earth en
isolant un par un les lieux de tournage de ces vidéos (lorsque
les utilisateurs y avaient inscrit l’information). Cherchant ainsi
à imager une cité donnée (particulièrement
Berlin dans le cas ci-présent), Teran est allée à
la rencontre des utilisateurs les plus originaux et populaires sur le
réseau de distribution vidéo gratuit. D’un expert
en billard aux ados devenus adeptes d’un jeu de poubelles, elle
les a épaulés dans leurs démarches tout en tentant
de comprendre sur le terrain les préparatifs que certaines de
ces entreprises au sommet de l’absurde nécessitaient.
Pour revenir sur ce que j’évoquais dans l’article
Le cinéma arraché
au voyeurisme, c’est là une tentative de la part
de Teran de réguler et d’encadrer, grâce à
ses moyens techniques et sa pensée d’art conceptuel, des
pratiques essentiellement urbaines et reliées à une vogue
du n’importe quoi et de l’aléatoire provoquée
par l’intrusion progressive des nouvelles plateformes de distribution
comme YouTube. Facilité par l’implantation des nouveaux
médias, la projection des images mouvantes est de plus en plus
aisée et incite donc de multiples personnalités à
prendre les rennes de l’occasion de s’exprimer à
travers une image dont on n’a jamais été en mesure
de contrôler la provenance et la destination. Si l’on évoquait,
par de grandes généralisations, le cinéma postmoderne
comme celui à partir duquel l’homme était amené
à observer plus souvent l’image de la réalité
que la réalité elle-même (publicités, télévision,
jeux vidéos, etc.), il y dans cette découverte des ficelles
du métier de l’art du cinéma une espérance
de démocratisation accompagnée rapidement d’un sentiment
de banalisation du média.
Conclusion mélancolique si conclusion il y a à y voir,
il est à noter que cette raréfaction de l’image
à apprécier (plus il y a d’images, moins possible
soit-il qu’elles demeurent à sauvegarder) s’accompagne
d’un raisonnement intrinsèque à la question de l’archivage
des images mouvantes. Quelles sont les images que l’on doit sauver?
Quelles sont les images que l’on doit regarder? Il est, selon
moi, évident que l’arrivée graduelle des nouveaux
médias dans le cinéma est en train de le schématiser
(dangereusement?) et de lui donner une équation fixée
dans les contraintes du binaire et de l’espace virtuel; la cinémathèque,
l’archiviste et le muséologue respirent, YouTube fonctionne
selon des algorithmes précis de votes, de plaintes et de commentaires
pour distribuer ses « oeuvres » en ordre d’importance.
Dorénavant, il n’est donc plus nécessaire de chercher
à disséquer, voir liquéfier l’image perçue,
mais bien à questionner son éthique de distribution et
ses stratagèmes technocratiques, car ces données sont
aujourd’hui (et bien plus que le discours signifiant du cinéma)
la source de sa politisation.
LIENS UTILES
http://www.yproductions.com/
http://www.ubermatic.org/