REVOIR L'IDÉAL DES NOUVEAUX MÉDIAS
Mercredi 14 Octobre 2009

Par Mathieu Li-Goyette

The Archives we don’t know.
La production participative.
Le cinéma engagé à l’ère du numérique.

C’est dans ce laboratoire de cinéma et de nouveaux médias que ces premiers jours du Festival du Nouveau Cinéma ont provoqué débats et rencontres. Entre professionnels, amateurs, critiques et invités du festival, les discussions se sont vues alimentées dans des salles curieusement pleines d’intéressés (alors voilà un pied de nez à ceux qui lançaient que les « nouveaux médias ça n’intéresse personne, un festival c’est pour les films, voyons ») et où il m’aura aussi été permis de risquer une entrevue avec Rick Prelinger et son monumental projet d’archives (cette dernière sera d’ailleurs publiée en intégral dans les prochains jours). Pourquoi donc Panorama-cinéma devrait-il s’intéresser aux nouveaux médias? Lui donner une place si prédominante alors que notre vocation est celle de la critique qualitative et que cette dernière s’impose d’elle-même comme suffisante à notre « mission »?

Parce qu’une première conférence de la trempe de The Archives we don’t know (Les archives que nous ne connaissons pas) a lancé plusieurs pistes essentielles sur la recherche de l’image, sur la valeur tant monétaire qu’expressive de celle-ci et que ces questions nous concerneront directement dans les mois qui vont venir. Prelinger, vétéran en la matière depuis plus de 25 ans, s’amenant bonnement à Montréal le temps d’une conversation d’une centaine de minutes agrémentée de vidéos sélectionnés de sa main, est bien un recycleur chevronné. De cette démarche de réutilisation (il en aura fait lui-même un long-métrage ayant parcouru les festivals), le site en ligne de Prelinger, www.archive.org, est d’abord une plateforme de diffusion de l’image libre de droit. Alors que l’archiviste détient les royautés de quelques milliers de films, une grande partie de la collection (composée de vidéos familiaux, retrouvés, films amateurs, bulletins d’informations, clips publicitaires, etc.) est mise à la disposition du domaine public dans le but d’y conférer une nouvelle vie. Utilisés dans des collages et installations vidéos ainsi que dans certains documentaires, films expérimentaux et reportages télés, la banque d'images de Prelinger est incessamment devenue la banque sanguine du cinéma d’expérimentation contemporain.

Des centaines de films qui y pigent leurs informations prennent cependant racine dans ce que l’on nomme aujourd’hui la production participative : un deuxième exposé moins dynamique, encore enrichissant. Autant pour les projets télés que pour un long-métrage distribué en salle, c’est la représentante de www.touscoprod.com qui a le plus épaté grâce à la logistique mise en place et à la force de l'initiative né en France. Grâce à lui, des centaines de producteurs s’unissent en fournissant une somme minime à ce projet au bien modeste budget, mais aux retombées économiques vivables (encore une fois question de nouveaux médias : nouveaux équipements puis nouvelles plateformes de distribution rendent la chose aisément possible). Alors que les autres intervenants axaient leurs présentations sur leurs projets respectifs, ce deuxième atelier fut moins la chance de réfléchir à cette démocratisation de l’image que de s’apercevoir qu’en dépit des possibilités de la toile, c’est d’abord et avant tout le commerce conventionnel du cinéma qui s’y transporte. Avec les mêmes volets de production (locaux et distance en moins), nous avons plus à faire ici à un amalgame plus ou moins pertinent de sites web utilisant principalement l'internet comme plateforme de diffusion (souvent payante) et encore plus comme lieu de publicité virale. Petite note : deux conférenciers Français qui communiquent de façon presque incompréhensible en anglais sous prétexte qu’un des invités est anglophone, à Montréal, devant un public francophone, est une incohérence qu’on ne pouvait passer sous silence.


LE CINÉMA ENGAGÉ À L'ÈRE DU NUMÉRIQUE

Enfin, c’est une troisième conférence en trois jours qui nous amène à parler de ce cinéma engagé à l’ère du numérique. Organisé dans le cadre de la 2e édition du Forum social québécois, ce panel avait pour objectif de sensibiliser l’auditoire à la rigueur d’un cinéma documentaire humanitaire, la relative facilité à l’exécuter et l’impact qu’il pouvait provoquer au sein des milieux de diffusion de moins en moins enclins à donner liberté de parole. Pendant que l’un deux s’évertuait à nous vendre sa vision du « reportage d’auteur » via un vidéo semi-professionnel tourné en Palestine (et honnêtement, sombrant dans le quelconque assez rapidement), le panel se déroula avec la participation du public dont les questions du danger de tourner et des contraintes budgétaires furent les principales préoccupations. En effet, contraints à plier l’échine sous la pression des investisseurs privés, des publics manquant parfois de réception et devant aussi faire face à des nouvelles contraintes inconnues du milieu cinématographique (la qualité de l’image mise en ligne, les vitesses de téléchargement, l’hégémonie qu’a la télé pour la diffusion des reportages et documentaires) l'entreprise est sous respirateur artificiel. Forcé d'admettre que le cinéma indépendant est visiblement difficile à maintenir rentable dans ce supposé Eden de la distribution (des salaires minimes, un manque de subventions, un public minuscule).

Né dans le cadre de Ciné-Paix et accompagnés dans leurs démarches par l’ONF et les Journées de la culture, ce dernier segment nous aura donné l’occasion de se pencher plus précisément sur l’éthique de tournage de ces « cinéastes libres ». S’excluant de toutes formes, ceux-ci ne semblaient plus penser le septième art comme un art, mais bien comme un outil de communication technocratique. Comme lorsque la plume et l’écriture furent démocratisés, il y eut d’abord poèmes, ensuite textes scientifiques ou édits royaux. Le point est qu’il ne reste plus tant de cinéma dans ce Ciné-Paix offrant au plus souvent une vision bêtement humaniste d’un monde peu nuancé, car peu approfondi aux moyens de recherches pertinentes : première étape décisive du cinéma documentaire. Difficilement attaquable (évidemment personne ne se risquerait à fustiger ces intervenants sociaux), l’on doit cependant demeurer critique à l’égard de cette nouvelle production avant qu’elle ne sombre dans un laissez-aller généralisé. Un manque d’encadrement médiatique (plus de gens devraient regarder ces films et les commenter) et un manque d’appréciation et d’expérimentation conceptuelle face aux possibilités du documentaire (des sujets « chauds » à la forme ennuyante) mettent actuellement en danger la nécessité d’une production circulant dans le huis-clos des groupes d’interventions; une ironie qu’on dissimule justement à l’ère des « nouveaux médias ». Faire du cinéma reste avant tout un privilège, c’est cette notion de rareté amenant au plus souvent une recherche adjacente à une qualité qui risque de se perdre au passage.


LIENS UTILES

http://www.archive.org
http://www.touscoprod.com
http://forumsocialquebecois.org/fr/cinepaix