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TAQWACORE: THE BIRTH OF PUNK ISLAM (2009)
Omar Majeed

Par Louis Filiatrault

Les premiers amateurs de Black Flag ou de Minor Threat vous diront sans doute que le « vrai » punk-rock a fait son temps, qu'il a aidé à faire passer la pilule d'un climat idéologique particulièrement douloureux, et que la soumission progressive de son esthétique aux impératifs du marché a fini par le vider de tout son sens. Ce passéisme réducteur s'avère pourtant bien insuffisant pour rendre compte d'un genre musical et d'une pensée anarchisante dont les véritables adeptes sont encore bien vivants, ne serait-ce qu'en plus petits nombres, et répondent à des réalités autrement plus singulières. À preuve: les punks musulmans à l'identité complexe que nous présente Taqwacore, documentaire grisant et convivial réalisé avec un amour évident par le Montréalais Omar Majeed. S'échelonnant sur une longue période, le film s'emploie d'une part à montrer la subversion rageuse qu'alimente à petite échelle cette « sous-culture d'une sous-culture d'une sous-culture », et de l'autre à témoigner d'une authentique recherche spirituelle, en lutte contre l'hypocrisie de la tradition. Le résultat s'avère senti, certes affligé de quelques failles rhétoriques et de passages obligés, mais néanmoins porteur de subtilités que le truchement de l'éthique punk aide à révéler.

Le documentaire Global Metal de Sam Dunn et Scot McFadyen a bien montré qu'il était possible d'entretenir un projet rock'n'roll au sein d'environnements sociaux n'y étant pas forcément sympathiques. Mais l'islam est une toute autre paire de manches, si l'on doit en croire la charge frondeuse de Taqwacore ; non seulement les groupes concernés brisent-ils certains interdits par la pratique même de leur art chaotique (instruments à cordes électriques, femmes chanteuses...), mais la teneur de leurs textes constitue un affront direct aux idées fermes du culte millénaire. Une audace justifiée ici par un certain affranchissement du dogme: nés en sol américain, c'est sous l'influence privée de leurs familles et non d'une communauté restrictive qu'ils ont fait de l'islam une partie intégrante de leur vie, et choisissent désormais de l'entretenir au quotidien. Désireux d'éveiller leurs pairs de tous âges et de toutes provenances à la possibilité d'une autre dévotion, les apôtres du « punk de la piété » se montrent ainsi prêts à tout pour s'imposer en public, ce qui donne lieu à quelques moments jubilatoires tels que la performance impromptue des Kominas en clôture d'un congrès islamiste à Chicago, ou encore le concert final sur un toit de Lahore au Pakistan. Cependant, la colère affichée par les membres s'avère parfois curieusement puérile, le goût du choc pur éclipsant la conscience à plusieurs occasions. Provoquer pour changer les choses, provoquer pour le plaisir ; la position des « taqwacores » n'est pas claire, et le film patine lorsque vient le temps de souligner cette ambivalence qui, il faut l'admettre, nourrit la docte punk depuis sa fondation.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le personnage central du film, voire le catalyseur de tout le projet, n'est pas un musulman aux racines étrangères, mais bien un Américain de souche, converti à l'islam de son plein gré lors d'une période de crise. Michael Muhammad Knight, alliant ses connaissances de la réalité urbaine occidentale et son expérience religieuse à l'étranger, est en effet l'auteur du roman The Taqwacores, qui trouva preneur chez les rockers ici dépeints et provoqua leur éventuelle réunion. Personnage aux allures à la fois rustres et mystérieuses, Knight est une véritable anomalie dont l'abondante présence à l'écran donne lieu à quelques malaises et incongruïtés ; quelques étalages de détails portant sur sa vie personnelle semblent déplacés dans le cadre d'un film se disant consacré au punk-rock, tandis que certaines manifestations de sa foi le font paraître davantage comme un charlatan qu'un honnête disciple (on pense à la séquence frappante où celui-ci prend part à une séance d'autoflagellation). Le survol de son retour nostalgique à Islamabad au dernier tiers menace par ailleurs de faire dévier le film une fois pour toute de sa direction initiale, lui insufflant un ton étonnamment déconfit pour un certain temps. Mais au bout du compte, la quête personnelle du jeune homme se réaffirme comme étant le ciment et le carburant de ce « mouvement » qui n'en est pas encore vraiment un, et lui donne un poids que la naïveté de certains de ses membres ne suffit à soutenir. Noyau intellectuel de toute l'entreprise, Knight est celui qui pose les questions sans attendre les réponses toutes faites, et prolonge dans une sphère autrement plus respectable ses idées encore bourgeonnantes sur la liberté de culte et la recherche du bonheur.

En tant qu'objet de cinéma, le film de Majeed est le résultat sans fioritures d'une naturalisation de la caméra au sein d'un groupe de camarades. D'une facture souvent brouillonne, parfois inspirée, sa progression est conduite assez habilement selon les codes secrets du documentaire indépendant. Le plus grand problème de Taqwacore: The Birth of Punk Islam, en réalité, s'avère carrément extérieur à toute considération esthétique: malgré la vitalité de son sujet, celui-ci passe en effet dangereusement près de raconter une histoire de « losers » sans espoir. Non pas qu'il y ait quoi que ce soit de mal à cela, mais certains développements suspects viennent miner considérablement la puissance du film en tant que « manifeste »: le concert annulé, assez tôt dans le film, déçoit les attentes et sème le doute quant à l'avenir de la troupe, tout comme la décadence narcotique dans laquelle sombrent les compères au cours d'un séjour prolongé au Pakistan. De façon générale, le rassemblement ici présenté manque tout simplement d'un peu d'envergure pour convaincre de sa validité à long terme. Ceci étant dit, Majeed et ses acolytes ne se montrent pas dupes pour autant ; honnête, leur témoignage constitue bel et bien le document d'une « naissance », avec ce que cela implique de recherche et d'éventuelles révélations. Cela suffit en soi pour distinguer Taqwacore de la mêlée des documentaires à sujet rock'n'roll, si souvent consacrés à la mythification d'un passé pas très lointain, ainsi que pour légitimer sa réflexion provocante sur les questions de pratique religieuse, qu'il imbrique tout naturellement dans un ensemble bien vivant.




Version française : -
Scénario : Omar Majeed
Distribution : Michael Muhammad Knight, Basim Usmani, Shahjehan Khan
Durée : 80 minutes
Origine : Canada

Publiée le : 12 Octobre 2009