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MARY AND MAX (2009)
Adam Elliot

Par Louis Filiatrault

Pour des raisons mystérieuses, on continue de négliger la puissance du cinéma d'animation en tant que reflet poétique du réel. Que des objets désormais consacrés tels que Persepolis ou Valse avec Bachir soient encore perçus comme des exceptions confirme cette règle non écrite: le territoire du genre demeure à prime abord l'abstraction sous toutes ses formes, qu'il s'agisse d'univers féériques ou de fabulations impressionnistes. Mais comme l'écrit le spécialiste Marcel Jean en ouverture de son Langage des lignes, « la question du mouvement demeure [toujours] la même: comment faire bouger les êtres de façon qu'ils expriment le mieux possible une idée du monde » (2006, p. 34). Transmettre un point de vue singulier en rendant une existence crédible à des figurines de pâte à modeler ; tel n'est pas le moindre exploit de Mary and Max, long-métrage poussant les facultés expressives de l'animation traditionnelle jusqu'aux limites de l'entendement.

Sortant moins de nulle part qu'on pourrait le croire, ce film sublime constitue en effet la rentrée fort attendue de l'Australien Adam Elliot, lequel s'était mérité un Oscar pour sa précédente création animée, il y a de cela six ans. Mais si la distinction prestigieuse a visiblement permis au réalisateur de mobiliser des ressources considérables, celui-ci ne semble aucunement restreint par ce statut d'« enfant chéri », et c'est la relative modestie de l'entreprise, de même que son irrévérence délicieuse, qui fondent au moins en partie son charme colossal. La maîtrise dramaturgique et la vision tordue, pour leur part, achèvent de catapulter le film parmi les classiques intemporels.

Le premier atout de Mary and Max, c'est un synopsis hors du commun qui suffit à piquer la curiosité ; ce n'est sans doute pas chez Dreamworks ou Disney que l'on songerait à raconter l'amitié se forgeant par la magie de la correspondance entre une fillette australienne et un autiste new-yorkais, et l'auteur s'en montre fort conscient. Pourtant, le réflexe d'Elliot en amorce de son film n'est pas de crier sa dissidence, mais bien de nous attendrir à un univers composé de subtils détournements. Sans perdre une minute, la table est mise pour un spectacle surprenant ; chaque nouveau plan contient son gag distinct, son observation farfelue, et nous dispose à lire chaque fragment au second degré. La principale stratégie narrative du cinéaste, à savoir un commentaire impassible dirigeant le sens de l'action, est aussi mise de l'avant aussitôt que possible.

En effet, les images ne sont jamais laissées à elles-mêmes pour narrer ce qui s'avère un récit dont la gravité se révèle à travers un feu roulant d'anecdotes humoristiques, parfois grossières, toujours déphasées. Débité avec une pointe de dérision complice par Barry Humphries et quelques autres (parmi lesquels un Philip Seymour Hoffman mettant une nouvelle intonation à l'épreuve), le texte fin et patient de Mary and Max fait l'effet d'une musique savante pénétrant la surface des choses, aux aguets du genre de pensées volatiles que l'on hésite à partager. Sans parler de la qualité de l'animation elle-même, l'alternance d'une palette aux coloris terreux et d'un noir et blanc soigné complète cet écrin esthétique d'une beauté ensorcelante, que le cinéaste alimente avec un flot continu de matière inédite.

Tous les éléments sont donc en place pour un visionnement agréable et captivant, mais n'équivaudraient pas à grand-chose si le scénario ne consistait qu'en une accumulation de faits divers. Aussi est-ce la force de Mary and Max que de lever le voile sur deux cas de détresse en apparence banals, mais tout à fait transcendants au bout du compte. Adorable et inoffensif au premier abord, le film se rapproche furtivement du véritable fond de son histoire: solitude et maladresse dans le cas de la jeune fille, réalité atypique du syndrome d'Asperger pour l'obèse et clairvoyant Max. C'est en effet un besoin de communication intense qui pousse ces deux êtres à se livrer à des tirades qui, dans un autre contexte que la correspondance écrite et quasi-anonyme, sembleraient pour le moins déplacées.

Ceci étant dit, l'objectif d'Adam Elliot n'est pas d'appesantir les traumatismes de ses personnages pour en faire des sujets de pitié, mais bien de témoigner de la vitalité de l'esprit qui les habite malgré l'adversité. Sans crier gare, les protagonistes interrompent ou closent régulièrement leurs chroniques par des parenthèses extravagantes qui, par addition, finissent par constituer des cartes psychologiques d'une complexité remarquable. La connivence en arrive au point où Mary, dont le mûrissement n'aura jamais cessé, choisit de rendre la pareille à son ami en pliant son cas à la science universitaire ; moment où le film prend une tournure dramatique plus prononcée, et où les développements se font nettement plus mesurés.

La chute est abrupte, et avec elle s'envole une grande part de l'humour chaleureux avec lequel s'est introduit le film. Mais si on aurait pu souhaiter que l'auteur articule plus en profondeur les répercussions de ce revirement choquant, l'essentiel n'en demeure pas moins d'une clarté irrévocable: la césure émotive, préparée avec tant de candeur et d'élégance, ne s'en trouve qu'amplifiée, le cinéaste l'embrassant jusque dans ses retranchements les plus sombres. Que le développement du récit en arrive à la contemplation du suicide, aussi effrayant que celui puisse paraître, n'en demeure pas moins en parfaite cohérence avec ce qui l'a précédé. Par ailleurs, la charge dramatique des événements est illustrée avec une telle force qu'il est difficile d'en vouloir à cette audace narrative qui risque d'en bouleverser plus d'un.

Par la simple franchise compatissante dont il fait montre à travers son écriture, Mary and Max aurait déjà suffi à nous changer des méga-productions animées ne s'encombrant pas trop de substance à digérer soi-même. Mais au-delà du talent de conteur virtuose que révèle Adam Elliot, c'est un authentique regard de poète que ce dernier nous invite à poser sur les choses simples qui nous entourent. Film fait avec un amour tout élémentaire pour le mouvement et l'allure des objets du monde, Mary and Max est à la fois l'oeuvre d'une équipe d'artistes forcenés et le résultat d'un abandon complet des insignifiances rattachées aux déclinaisons du cartoon. On irait jusqu'à dire que sa profondeur est littérale: la surface extérieure, de l'avant-plan au plus infime détail du décor, y est composée expressément pour ouvrir des brèches vers une couche d'humanité commune, un peu amère, toujours à deux pas d'un éclat de rire. Sans oublier cette voix qui nous berce, nous rappelant qu'il ne s'agit toujours que d'une histoire...

Film de montage étonnamment sophistiqué, récit de communication pré-cybernétique, fantaisie d'évasion malgré sa lucidité totale, Mary and Max est tout cela, et plus encore ; un véritable joyau du cinéma d'animation, et l'un des meilleurs films des dernières années.




Version française : -
Scénario : Adam Elliot
Distribution : Toni Collette, Philip Seymour Hoffman, Eric Bana, Barry Humphries
Durée : 80 minutes
Origine : Australie

Publiée le : 13 Novembre 2009