A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

THE SPY WHO LOVED ME (1977)
Lewis Gilbert

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Bien que les deux premiers James Bond de la période Roger Moore, Live and Let Die et The Man with the Golden Gun, aient su imposer l'acteur anglais auprès du grand public, la série semblait pour sa part toujours chercher la nature profonde de sa nouvelle direction. En s'adaptant aux modes passagères - que ce soit la blaxploitation ou le kung fu - l'infatigable franchise s'était en quelque sorte achetée l'indulgence des spectateurs chez d'autres marchands d'exotisme. Mais au-delà de ces apanages stylistiques s'était installé un certain malaise créatif, comme si Bond soudainement n'avait plus de grande lutte à mener ou de noble cause à défendre. Alors que Live and Let Die tournait au fond autour d'une vulgaire affaire de stupéfiants, son successeur s'était penché sur un affrontement à caractère somme toute personnel; Bond ayant maintenant vaincu son égal, que lui restait-il à faire sur cette Terre? Comme le souligne la maxime familiale, le monde ne suffit pas pour un Bond; ayant survécu à la Guerre froide, l'agent secret allait faire un pas de plus vers la modernité, envisager un échiquier politique nouveau et embrasser les sombres forces communistes de l'Union soviétique. Littéralement, d'ailleurs, puisque l'incorrigible Roger Moore n'a aucunement l'intention de freiner ses ardeurs sexuelles notoires pour l'excellent The Spy Who Loved Me.

Vers 1977, la relation entre les grandes puissances occidentales et le bloc communiste s'est développé dans le sens d'une certaine détente à un point tel que Brejnev et Nixon ont pu, en 1972, blaguer sur les voitures et signer quelques traités à Moscou. Avec The Spy Who Loved Me, c'est 007 qui signe un pacte de non-agression avec l'ennemi; dans le cadre de sa dixième aventure au grand écran, l'as des espions britanniques doit collaborer avec l'agent Triple X (Barbara Bach) - aucun gag n'est trop facile pour le scénario d'un bon Bond - afin d'élucider un mystère qui embarrasse tant le gouvernement de sa Majesté que le Kremlin. Quelqu'un, quelque part, a trouvé le moyen de repérer les sous-marins nucléaires des deux grandes puissances et s'amuse à les subtiliser. Le coupable, sorte de hippie mégalomane féru de biologie marine du nom de Karl Stromberg (Curt Jurgens), fricote à bord de son repaire aquatique une petite apocalypse atomique dont le but avoué est de remodeler le monde à son image. Enfin, James Bond a trouvé un complot à la hauteur de son talent!

Si le lascar de service est cette fois d'un calibre admirable, force est d'admettre que la nouvelle collègue de Bond est elle aussi digne de mention. Première Bond Girl issue des mutations sociales du féminisme, Triple X a l'honneur d'être le premier personnage fort du «sexe faible» à chambouler l'ordre logique traditionnel de la saga selon lequel la femme est soit traîtresse potentielle (l'armée de jeunes filles programmées de Blofeld dans On Her Majesty's Secret Service faisant office d'ultime délire de ce modèle), soit simple objet sexuel (n'importe laquelle des créatures de rêves que croise Sean Connery), soit complètement écervelée (la pauvre Mary Goodnight, de The Man with the Golden Gun), soit dangereuse castratrice potentiellement lesbienne (Rosa Klebb, la Russe aux souliers empoisonnés de From Russia with Love). Avec The Spy Who Loved Me, la série reconnaît ses torts et fait ouvertement son mea culpa; James Bond se fera ainsi damner le pion à quelques reprises par une femme qui, tout comme lui, sait employer le sexe de manière froidement calculatrice.

Heureusement, l'habile scénario signé Christopher Wood et Richard Maibaum arrive à introduire ces changements avec un certain doigté. Ingénieuse, du moins selon les standards lourdaud de la série, l'intrigue impose quelques nuances surprenantes au sein de cet univers manichéen: par exemple, l'unes des premières victimes de 007 s'avère l'amant de sa future partenaire. Cette entorse notable à la règle non-écrite selon laquelle les victimes génériques de notre agent secret favori n'ont aucune famille introduit quelques tensions dramatiques pertinentes que le dénouement s'assure bien entendu d'écarter avec désinvolture. Mais, pour quelques scènes clés, la psychologie simplifiée de la série est perturbée par quelques complications intrigantes. L'auto-parodie caractéristique des Bond des années 70 flirte ici avec l'auto-critique.

Dans une optique diamétralement opposée, The Spy Who Loved Me est aussi l'amorce de la «vraie» période Moore en ce sens où, avec l'aide de l'ambitieux Lewis Gilbert, elle entre ici dans une ère de démesure et d'ambition où l'exagération réellement fait la loi. Le réalisateur de l'épique You Only Live Twice renoue ici avec l'immodération de cet opus, confirmant ainsi son titre de roi du grand déploiement au sein de l'écurie de réalisateurs ayant fait leurs armes sur la série. Débutant sur une cascade parfaitement estomaquante, cet épisode réserve à l'amateur de sensations fortes quelques séquences d'anthologie; la fameuse Lotus Esprit submersible, quant à elle, demeure la plus mémorable des voitures conduites par 007 au cours des années 70. Donnant carte blanche à Gilbert, Albert R. Broccoli finança la construction du plus grand plateau de cinéma de l'histoire; Stanley Kubrick, sous le couvert de l'anonymat, accepta d'en superviser l'éclairage. Pour sa part, le rôle de brute à tout faire revient au géant Richard Kiel dont le brutal et abruti Jaws, colosse à la mâchoire de molosse, deviendra l'homme de main le plus populaire de la saga.

Bref, tous les ingrédients gagnants - y compris une chanson-thème mémorable, la célèbre Nobody Does It Better - seront enfin réunis avec ce Spy Who Loved Me qui scellera définitivement la relation entre Roger Moore et les foules; même s'il conserve ses airs nonchalants de notaire en vacance, l'acteur anglais campe maintenant avec une confiance totale le mythique personnage. Son charisme ne sera jamais l'égal de celui de Connery, mais Moore impose avec aisance une vision décontractée et teintée d'humour de l'agent secret qui lui est propre. Trouvant le juste équilibre entre la légèreté et une certaine application qui fait défaut aux plus faibles films de son règne inégal, The Spy Who Loved Me est l'apogée de cette vision de James Bond selon laquelle l'agent secret, transformé une bonne fois pour toute en vedette internationale, ne sauve maintenant le monde que pour épater la galerie. Son passage cyclique sur les grands écrans est assuré et, comme l'indique le générique final, James Bond sera de retour dans deux ans pour... For Your Eyes Only?




Version française : L'Espion qui m'aimait
Scénario : Christopher Wood, Richard Maibaum
Distribution : Roger Moore, Barbara Bach, Curd Jürgens, Richard Kiel
Durée : 125 minutes
Origine : Royaume-Uni

Publiée le : 27 Janvier 2007