ENTRETIEN AVEC TERRY GILLIAM
À l'occasion de la sortie en salles du film Tideland
Par Frédéric Rochefort-Allie
C'est à peine après avoir franchi le seuil de la porte
d'entrée de la boîte de production Thinkfilms, située
à New-York, qu'un drôle d'individu s'avança vers
moi en quêtant, d'un pas boiteux, pancarte en carton à
la main, sur laquelle il était écrit : Studio-less film
maker, family to support: will direct for food. Sans surprises ni présentations,
on y devine immédiatement l'oeuvre du cinéaste Terry Gilliam,
toujours fidèle à son esprit d'ex-Monty Python. "Peut-être
que si je me balade avec ça sur Times Square, ça pourrait
fonctionner", dit-il en blague quelques heures avant de reproduire
le gag le soir même non loin du Daily Show de John Stewart.
Pourtant, il n'a pas tort. Son nouveau film, Tideland, sortira
bientôt sur les écrans américains, pas moins d'un
an après sa première canadienne plutôt mitigée
au Festival de Films de Toronto. Pendant tout ce temps, aucun distributeur
n'osa s'approcher de son oeuvre, un peu comme si elle portait la peste.
C'est à peine s'il ne fut pas lapidé sur la place publique.
"Après Toronto, c'était fini... Plus personne ne
voulait de mon film", dit mélancoliquement Gilliam. Comme
toujours certains lui reprochèrent d'être confus et choquant,
polarisant son public entre l'adulation et la haine, rappelant les beaux
jours de Brazil.
Heureusement, Tideland connaît présentement un
bon succès international, car plusieurs pays, tels l'Italie et
la Japon, l'ont accueilli à bras ouverts! La France, cependant,
l'aurait boudé, non pas à cause des drogues ou du thème
de la pédophilie, mais tout simplement parce que certains personnages
ont de légers problèmes de flatulences. Le problème
avec la distribution de ce film, tant au niveau local qu'international,
c'est que personne de l'équipe de production n'est arrivé
à identifier son public cible. "Au Japon, précise
Gilliam l'air tout aussi amusé que désespéré,
l'affiche présente Jeliza-Rose entourée de jolies fleurs.
[...] C'est vendu comme un chick flick!". Le cinéaste se
contente de se dire que son film plaît aux artistes, aux gens
dont l'âme d'enfant n'est pas éteinte et, plus important
encore, aux gens qui pensent. Cependant, avec un public aussi vague
et des réactions aussi variées de publics en publics,
Gilliam n'a aucune idée de ce qui l'attend au bout du compte.
Même ses bons vieux amis ne savent pas trop quoi en penser, "Michael
Palin l'a vu, précise-t-il, et il m'a dit : "C'est soit
le meilleur film que t'as jamais fait... ou le pire!""
Pour Terry Gilliam, ce fut un accomplissement majeur dans sa carrière,
qu'il décrivit comme "un retour aux sources". Avec
un budget de 12 millions en poche, ce qui est très peu tout de
même, il se sentit en quelque sorte libéré. Car
il faut comprendre que plus le cinéaste reçoit de larges
sommes, moins il en a le contrôle. C'est ce qui explique d'ailleurs
qu'il refusa bon nombre de projets tels que les Harry Potter
pour s'attaquer à un petit livre qu'il découvrit un peu
par hasard. Le cinéaste s'abandonna à ses fantasmes, y
allant d'une réalisation plus instinctive que jamais. Il laissa
aussi carte blanche à la jeune Jodelle Ferland, l'interprète
principale, qui fit preuve d'une imagination dans son interprétation
qui laissa Gilliam bouche bée. "Au début, elle ne
faisait que lire le scénario, mais quand Jeff Bridges arriva,
elle explosa!", dit-il, toujours impressionné par les différentes
voix qu'elle créa pour les têtes de poupées.
Quant à ses prochains projets, Terry Gilliam reste vague et préfère
ne rien annoncer. Tout porte à croire qu'il s'attaquera par la
suite aux aventures de Don Quichotte. "Tout d'abord, il faut que
je signe Johnny [Depp]", annonce-t-il visiblement ennuyé
par la question ; "Si j'ai Johnny, j'ai un film!" Vanessa
Paradis risque probablement de le suivre aussi (puisque Gilliam reste
toujours marqué par sa performance dans La Fille sur le Pont),
mais cette dernière n'a manifesté aucun intérêt.
Par contre, ce grand retour aux aventures du seigneur de la Mancha ne
se fait pas sans quelques mauvaises nouvelles. Jean Rochefort, par exemple,
n'enfilera définitivement plus les habits du seigneur de la Mancha.
"C'est tragique car il était parfait [...] je l'ai revu
dernièrement pour la promotion d'un film et il avait l'air plus
en forme que jamais. Malheureusement, Jean s'est cassé le cul
alors...", soupire-t-il. "Au bout du compte, conclue-t-il,
tout ça c'est des questions d'argent!"
Critique
: TIDELAND par Alexandre Fontaine Rousseau