![]() ANALYSE : ELDORADO DE CHARLES BINAMÉ Par Jean-François Vandeuren Si la principale fonction du cinéma, pour la majorité, réside en divertir, question de s’évader pendant environ deux heures par des situations incroyables telles que conçues par Hollywood au cours des dernières décennies, quelque part à l’opposé se trouve le septième art vu par ses artisans québécois qui pour leur part tentent de se concentrer beaucoup plus sur l’individu plutôt que sur l’action. C’est le cas du film Eldorado du réalisateur Charles Binamé, sorti en salles au début 1995, où ce dernier semble, comme c’est bien souvent le cas dans les œuvres québécoises modernes, aborder non pas la force du caractère humain et de sa capacité à se sortir indemne de situations extrêmes, mais plutôt son incapacité à savoir bien orienter son existence au quotidien. La plupart du temps, ce sont aussi des films qui se situent dans un contexte urbain très représentatif, faisant suite à la Révolution tranquille, ayant fait connaître au Québec sa part de changements où les individus se retrouvent sans vocation fixe dans un monde sans bases réellement définies et sans modèle à suivre. C’est ce qui nous amène à une problématique à savoir si, justement, dans un film comme Eldorado, les personnages ne sont-ils pas que les patients de cet immense asile de fous représenté par la ville du Québec moderne? En ce sens, ce dossier cherchera donc, en premier lieu, à dépeindre et commenter le contenu du film en ce qui attrait aux personnages principaux et aux types d’individus qu’ils représentent, pour ensuite s’attarder sur les techniques utilisées pour ajouter à l’atmosphère de cet univers d’incertitudes en plus de faire un survole des différents éléments symboliques, pour se terminer sur une mise en contexte du long métrage par rapport au cinéma québécois. Une histoire de personnages Tout d’abord, la partie la plus importante du film de Charles Binamé réside dans le développement de ses personnages et de leurs interactions entre eux et avec ce qui les entoure, représentant, à plusieurs niveaux, les problèmes actifs de la vie urbaine à travers la remise en question constante, les problèmes d’interaction avec autrui malgré un entourage abondant restant, toutefois, trop souvent anonyme, et la façon de faire suite aux éléments du passé par une génération qui se retrouve à hériter du même malaise que ses prédécesseurs, sûrement le problème le plus exploité au court du film. Donc, chacun se retrouve vivant à Montréal durant l’été de 1994 à tenter de fuir se qui compose leur réalité respective, synonyme de déceptions et de problèmes, en cherchant un moyen de ne pas avoir à s’y conformer, voulant la changer en elle-même à leurs yeux, où en tentant de changer celle des autres. En premier lieu, nous avons le couple de Marc et Loulou qui, respectivement, se fuit lui-même, ne sachant pas comment se prendre en mains et qui tente de se rescaper à travers Loulou en voulant la rendre heureuse où cette dernière, de son côté, a tendance à tout refouler, pleurant subitement sans vouloir manifester son mal de vivre. Elle se penche toujours vers le passé, représenté par sa mère décédée, en lui demandant conseil pour le présent alors que ce qu’elle désire réellement, sans le savoir, est d’accéder à l’avenir en ayant un enfant. Ensuite il y a Henriette qui cherche, par ses multiples thérapies, à ne plus être à l’écart de la masse et à pouvoir fonctionner avec un autre être humain sans nerveusement tout gâcher. Pour l’instant, elle se réfugie avec les animaux. Il y a ensuite Roxane qui, pour sa part, étant fille de riche, se réfugie à l’intérieur de l’humanité, voulant la sauver par divers moyens en faisant du bénévolat à droite et à gauche pour aider les plus démunies. On remarquera dans une scène qu’elle va même jusqu’à laisser une de ses proches pour se réfugier à toute vitesse dans son monde de bienfaisance, situation qu’elle doit à un immense choc subit lors d’un voyage. Autre fait à noter, on met aussi l’emphase sur le fait que ce qui manque, la plupart du temps, aux personnages, en est un autre. Comme pour Lloyd qui anime son émission à la radio sous le pseudonyme de Gaspar, par qui il met en évidence l’aspect morbide de la vie urbaine sur un ton très "politicaly incorrect" et violent en provoquant ses auditeurs, la ville en-soi, par des histoires absurdes, mais révélatrices, et en faisant sortir par ses propos, un paysage détraqué qui n’a plus rien de normal. C’est pourtant le personnage le plus lucide du film, celui qui est le plus en contrôle de ses moyens, qui perçoit le mieux la réalité et qui sait y faire face de façon cohérente. Et pourtant, ce qui lui manque fondamentalement se retrouve à son opposé et c’est ce qu’il tentera d’aller chercher chez Rita en essayant de la sauver du gouffre pour ne plus être solitaire dans un monde de folie. Cette dernière, de son côté, est le personnage de la morte vivante, errant dans les rues montréalaises à vivre de destruction et d’un état de "je m’enfoutisme" extrême, s’étant sauver d’un suicide auquel elle s’était résignée adolescente. Ce sont, d’ailleurs, les deux seuls personnages des six pour qui le film se terminera sur une note positive. Au niveau du développement du récit, la trame narrative ne se compose pas d’une histoire réellement établie, mais plutôt de scènes assez courtes représentants des fragments de vie des divers personnages, certains fleuretant souvent avec l’inutile, qui, une fois assemblés, donne du sens à un contexte où des personnages assoiffés de changement s’entrecroisent. Roxane cherchant au départ à sauver Rita de la rue, et de la misère le reste des moins fortunés de Montréal; Marc tentant de ramener Loulou au bonheur; Lloyd se retrouvant à vouloir faire réagir une ville endormie par son inconscience par rapport à sa folie par l’entremise des ondes. On remarque dès les premières images du film, faisant suite au monologue de Lloyd à la radio, qu’elles sont celles d’une ambulance roulant à toute allure, suivit d’une scène où Roxane aide des dizaines de démunis en leur fournissant de la nourriture. Une autre scène du genre apparaît un peu plus loin dans le récit où Roxane fait de la prévention chez les punks montréalais en ce qui concerne la sexualité. Scène qui ira de façon ingénieuse submergé le personnage de Roxane pour faire place à des images accompagnées par des dialogues incohérents de gens de cette culture marginalisée cherchant à appartenir à rien de préétabli, tout en étant solidaires entre eux, révélant un problème important où les gens normaux ne le sont pas toujours, même envers eux-même. Techniquement parlant En ce qui concerne l’aspect technique d’Eldorado, on remarque que le visuel du film est beaucoup axé sur la composition d’image où, par exemple, bien des plans iront jusqu’à emprisonner les personnages par divers éléments du décor mis à l’avant plan ou en les plaçant similairement dans une prédominance de l’environnement, créant un effet de claustrophobie. On remarque aussi une importance reliée au niveau des couleurs où l’on cherche à apporter une signification aux évènements avec une domination du bleu, signifiant le calme et l’évasion, du rouge, symbolisant l’action, une certaine force intérieure poussant à la révolte manifestée par la colère entre autre, et du blanc, signifiant la sagesse, la vie à travers une force intérieure beaucoup plus axée sur la maîtrise de soi. Le blanc est aussi une couleur beaucoup plus neutre qui ne laisse pas vraiment paraître d’émotion. Une scène du film qui montrera un changement d’état d’âme par l’entremise des couleurs est celle où Rita fera passer sa robe du blanc au rouge et où elle passera, par le fait même, d’un état plutôt passif face à ses problèmes, à un état d’action, allant jusqu’à trahir Roxane. L’eau d’un bleu très prononcé est aussi utilisée dans le même sens que son symbolisme. La musique joue aussi une place de choix dans l’univers du film de Binamé où on nous plonge dans un monde musical composé de sons industriels, de bruits, de distorsions, allant même jusqu’à dominer les dialogues en intensité. Par rapport aux dialogues, fait à noter, qu’ils sont tous improvisés par les acteurs pour ajouter au réalisme. C’est un fait qui peut paraître anodin, mais qui, dans un certain sens, peut montrer que la façon dont les acteurs ont aussi bien campé leur personnages peut faire référence à une quête de soi-même à travers la ville moderne présent au-delà d’un personnage de film. Une tendance chez les cinéastes québécois Si nous nous plaçons dans le contexte de la culture québécoise en général, les thématiques par rapport à la ville exploitées dans Eldorado ne sortent plus de l’ordinaire où dans la compositions de ces errants de la société, Binamé ne se retrouve pas seul à dépeindre la vie urbaine d’une façon aussi maussade qu’elle en semble sans issue, même s’il fut l’un des premiers à le faire à si grande échelle. C’est une tendance qui fut suivit par plusieurs réalisateurs où l’on personnifia de nombreux personnages en quête d’eux-mêmes, que l’on peut d’ailleurs placés dans l’historique du Québec où, suite aux années de changements de 1960 à 1980, on a pu remarquer un désir de commenter le malaise existentiel des Québécois. Que ce soit à travers, le retour en arrière de Pierre Falardeau sur l’historique du patriotisme des francophones en un pays qui les "opprime", ou à récemment, avec des cinéastes comme Denis Villeneuve qui suivait plus particulièrement les traces de Charles Binamé. Chez Villeneuve, on peut retenir de ses deux œuvres que sont Un 32 Août sur Terre et Maelström, une énorme détresse entourant les personnages principaux où, respectivement, on se retrouve avec une femme déroutée, suite à un accident, demandant à son meilleur ami de lui faire un enfant, qui accepte à la seule condition qu’il soit conçu dans le néant du désert, où le voyage pour y aboutir se fera en parallèle avec de nombreuses révélations sur eux-mêmes, et de l’histoire d’une autre femme qui ne sait pas comment gérer sa carrière et sa vie impliquant tout ce qu’il y a de plus moderne à travers les communications et le commerce et les plaisirs artificiels, après avoir renversé et tué un homme inconsciemment en voiture, remettant en cause, sa propre humanité. Ces deux exemples démontrent bien ce désir incrusté chez le cinéma d’auteur du Québec depuis quelques années à vouloir témoigner de façon imagée de cette engouement pour la manifestation d’une société qui n’est pas toujours à l’écoute de ses propres besoins et valeurs, nageant dans un univers de grandeurs disproportionnées et de consommations souvent inutiles sans toujours chercher à vraiment savoir de quoi ils sont faits à l’intérieur. il y a aussi un fort penchant pour l’évasion comme dans Un Crabe dans la Tête d’André Turpin, alors que le personnage principal trouve comme moyen d’accalmie, celui assez symbolique de se retrouver immobile au font de l’eau en pleine noirceur. Pour conclure, on peut voir Eldorado comme
un des longs métrages qui auront parti le baille, au Québec,
de cette vague de films dépeignant le thème de cet état
de malaise existentiel et d’insécurité par rapport
au quotidien se retrouvant de plus en plus campé en la vie urbaine
chez la génération faisant suite aux baby boomers. Situation
que l’on nous présente de plus en plus fréquemment,
non seulement dans les films québécois d’aujourd’hui
par les Binamé, Villeneuve et autres, mais souvent à l’intérieur
des autres formes d’arts, notamment en littérature comme
chez Monique Proulx par exemple. Est-ce un mouvement qui cherche à
aller vers des tendances plus conservatrices ou cherche-t-on réellement
à orienter la conscience des égarées du Québec
urbain pour les sortir de leurs remises en question qui semble jamais
n’avoir de fin? Chose certaine, il semble bel et bien y avoir
un problème avec l’apprivoisement du changement et du passage
vers l’avenir.
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