A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

WENDY AND LUCY (2008)
Kelly Reichardt

Par Laurence H. Collin

Il est devenu difficile pour le public du cinéma du vingt-et-unième siècle « d’accrocher » durant le visionnement d’une oeuvre sans trame narrative conventionnelle. Il ne suffit que de visionner quelques bandes-annonces de films populaires pour s’exposer à une réalité indéniable sur les attentes d’un spectateur : les personnages, les enjeux, la montée dramatique et parfois même une partie de la conclusion doivent être déjà connus (et ce, de façon presque subliminale) pour inciter l’achat d’un billet. Au centre de ces histoires rigoureusement formatées, des personnages esquissés le plus rapidement possible et aux motivations claires et concises prennent vie. Ce que l’on oublie trop souvent, c’est que le récit a tendance à nous distancier des personnages à l’écran - une fois leurs traits établis, on ne peut les voir exister qu’à l’intérieur d’une série d’évènements particuliers.

Contre-exemple savoureux : la cinéaste indépendante Kelly Reichardt, douze ans après son premier essai cinématographique River of Grass (et deux ans après son projet le mieux reçu, Old Joy), signe ici une oeuvre d’une sensibilité rarement égalée en toute une année de cinéma. Même si l’on considère qu’il s’agit d’un film minimaliste indépendant, Wendy and Lucy est dépouillé des conventions narratives et des codes cinématographiques courants jusqu’à en devenir translucide. La caméra de Reichardt ne nous montre que ce qui se passe, s’abstenant de teinter son approche de toute forme de misérabilisme - pourtant, son impact n’en sort pas dilué, bien au contraire.

Wendy and Lucy nous fera donc passer une heure et vingt en compagnie d’une jeune femme fauchée dans la fin de sa vingtaine (Michelle Williams), et de sa chienne. En route vers l’Alaska pour y trouver un emploi, Wendy perdra Lucy à cause d’une erreur de jugement. Elle entreprendra donc de la retrouver, coûte que coûte, dans une ville qui n’était que transitoire au départ. Voilà fort probablement ce que le scénario presque au complet de l’oeuvre couvre, faisant succéder chances et malchances dans le parcours de son personnage principal. Wendy n’est pas développée de façon traditionnelle - en effet, on ne sait que très peu de cette figure silencieuse - mais les cadrages expressifs (beaucoup de longues prises silencieuses) et surtout, le jeu touchant de retenue de la comédienne nous élèvent bien au-delà de son anonymat social et interpersonnel. La substitution de toute fioriture (notamment d’une musique de fond) en échange d’une caméra rivée sur le personnage pour la durée complète du film résulte en une expérience magnétique. Ce type de personne sans éclat apparent n’est pas souvent invité à parader sur les écrans de cinéma la durée d’un long-métrage; d’en observer une exister et tenter de se sortir seule d’une situation désespérante, ne serait-ce qu’un peu, possède quelque chose d’étonnamment assez spectaculaire.

Atterrissant en pleine récession économique, Wendy and Lucy pourrait difficilement être un film plus actuel. Cette méditation sur le coût émotionnel d’une vie au bas de l’échelle sociale colle tout à fait à une réalité prenant une expansion gigantesque de jour en jour - sans même savoir quels sont les buts à long terme de son personnage titre, nous sommes en mesure de saisir autant son passé que son avenir, ne serait-ce que par un coup de téléphone à sa soeur distante ou une brève discussion avec un groupe d’itinérants. L’extrême parcimonie des notations psychologiques explicites doublé du langage corporel que Williams adopte, autant en présence d’un individu que seule, pointe vers une existence lourde et contrariante, d’où sa soif de liberté. La réalisation de Reichardt ne se contente cependant pas de jouer au miroir avec les états d’âme de Wendy—ayant lieu vers la fin d’un été, le film jouit d’une photographie posée imageant l’environnement avec les verts et le doré, évitant ainsi avec grâce d’utiliser le gros grain et la caméra à l’épaule comme gage de « réalisme » facile. Aussi aux commandes du montage, la réalisatrice évite toute complaisance en gardant l’ensemble en dessous de 80 minutes. La courte durée de Wendy and Lucy avantage l’ensemble de tous les points de vue possibles, puisque la modestie intentionnelle de son film et la petitesse des nuances dans l’approche ne garantit pas une oeuvre aussi divertissante qu’intéressante pour tous les publics. Tout comme les situation dans lesquelles Wendy se retrouve, le film demande une patience que certains spectateurs ne seront pas prêts à donner. Si le film de Reichardt est une très belle réussite dans son format actuel, il aurait été dur de s’imaginer la même chose si son récit avait été prolongé, même de la façon la plus naturelle possible.

Culminant sur une finale bouleversante, cette co-production de Todd Haynes s’imposera donc comme l’un des chef-d’oeuvres les moins vus de 2008. On peut facilement voir tous les ingrédients qu’il manque à Wendy and Lucy pour pouvoir le commercialiser (même comme film prestigieux durant la saison des galas), et même admettre que beaucoup resteront de glace devant une approche aussi épurée. Mais la puissance d’évocation de l’ensemble alliée à la performance troublante de vérité de Williams défie n’importe quelle formule d’accolade toute faite, et valide Reichardt comme une force tranquille à surveiller au cours des années qui suivent.




Version française : Wendy et Lucy
Scénario : Jonathan Raymond, Kelly Reichardt
Distribution : Michelle Williams, Will Patton, Will Oldham, John Robinson
Durée : 80 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 13 Mai 2009