WALL STREET (1987)
          Oliver Stone
          
          Par Mathieu Li-Goyette
          
          « Les requins de Wall Street ». Le sobriquet de ces surhommes 
          façonnés de monnaie fait frissonner peut-être encore 
          plus aujourd’hui qu’il ne l’a jamais fait grâce 
          à la surmédiatisation de la présente crise économique 
          et surtout due à la figuration nécessaire qui s’opère 
          contre « le système ». Théories du complot, 
          allégations contre des multimilliardaires manipulateurs, la présente 
          crise doit passer comme l’alibi d’un antagoniste pervers, 
          d’une force politico-maléfique rimant avec le maintenant 
          retraité dernier président des États-Unis d’Amérique. 
          Ayant récemment apporté son regard critique sur la carrière 
          de ce dernier, l’engagement d’Oliver Stone dans cette croisade 
          aveugle en terre païenne date d’aussi loin qu’aux débuts 
          prometteurs de Platoon où la guerre était remise 
          en question sous l’aile psychologique du jeune réalisateur 
          prodige pour peu après revenir semer la zizanie au coeur même 
          de sa nation : la bourse de Wall Street. Ces deux premières sorties 
          politisées de Stone sur la scène publique cinématographique 
          reste depuis les grammaires principales du cinéaste engagé. 
          La folie de la guerre, l’errance d’un instigateur entouré 
          d’ombres dans une univers de béton et de longs couteaux, 
          les répercussions s’étendent de Natural Born 
          Killers à JFK, de Alexander à Nixon 
          et plus récemment W.. Cinéma à deux vitesses, 
          celui d’Oliver Stone fonctionne comme une valse violente où 
          chaque temps de respiration est l’élan d’une violence 
          viscérale, révoltante. « Il y a 10 ans j’ai 
          payé cette toile 60 000$, aujourd’hui elle en vaut 600 
          000$... C’est ça le capitalisme à son meilleur, 
          j’espère que tu n’étais pas assez naïf 
          pour croire vivre dans une démocratie, ici c’est le libre 
          marché».
          
          Les propos de ce Gordon Gekko (Michael Douglas), investisseur et grand 
          nabab de Wall Street sont adressés à l'endroit du jeune 
          courtier Bud Fox (Charlie Sheen) à l'instant où le voile 
          sur la conspiration qui semble viser la compagnie du père de 
          ce dernier (Martin Sheen) se lève pour ne laisser paraitre qu'une 
          avarice liée à l'auto-suffisance et à une exclusion 
          du système économique; exclu de son propre royaume en 
          péril, le roi régit dans l'ombre un royaume qui l'a engendré. 
          De fil en aiguille, la tragédie de Stone reprend des codes shakespeariens 
          ses préoccupations, ses archétypes et une certaine théâtralité 
          des éclairages qui s'exerce en contrepoint d'une mise en scène 
          défoulée favorisant le mouvement fluide et un montage 
          mitraillé. Cerné de tous bords, Fox se faufile entre les 
          investisseurs à la recherche de son idole Gekko, défrayant 
          sur son passage des bornes idéologiques et légales qui 
          ne peuvent s'avérer dans l'acte final que des pièges dument 
          mesurés et déposés tout au long de l'ascension. 
          Cherchant une finalité, Fox est un être désireux 
          de faire valoir à l'autorité paternelle une certaine preuve 
          de réussite (monétaire) tout en s'accaparant la réputation 
          et le savoir d'un boursier omniscient. Tenté par le Diable Gekko, 
          le pacte faustien tenté se voit résolu dans l'absolution 
          du fils par son père, mais aussi la condamnation du jeune fils 
          par l'économie de marché et son ancien maître devenu 
          une ombre dépossédée devant le New York orageux 
          et pluvieux.
          
          Incarné par un Douglas surpassant ses propres moyens (à 
          l'en croire l'Académie, sa performance de Gekko est, à 
          ce jour, la seule récompense qu'il possède à titre 
          d'acteur), le magnat invisible est bercé par les utopies de l'économie 
          de marché sur laquelle il aspire à contrôler la 
          plus grande part. Nullement poussée par une soif d'argent ou 
          de réputation, l'avidité pour la possession est symptomatique 
          d'un stéréotypage à la conspiration. Baigné 
          dans une noirceur désignative d'une possession diabolique, le 
          visage de Gekko de l'esprit malicieux chuchotant à l'oreille 
          de Fox, lui relançant les ultimatums, trahissant à quel 
          degré celui-ci semble avoir tout prévu d'avance l'évolution 
          psychologique, mais surtout la montée cupide de Fox (via lequel 
          Martin Sheen offre la performance d'une carrière). Le « 
          discours à la nation » de Gekko aux boursiers, de Garrison 
          (JFK) au jury, d'Alexandre à ses troupes, la 
          plate-forme publique sert de vitrine à quelques uns des plus 
          beaux élans patriotiques de l'histoire du cinéma.
          
          Wall Street est cependant doté d'une fin classique, 
          dans les normes, d'une conclusion amenée au discours sur l'Amérique 
          qui, depuis lors, semble avoir vieillit faute d'une dernière 
          décennie suspicieuse léguée par l'administration 
          américaine. Lourd de symboles, de concepts littéraires 
          et théâtraux, l’hommage d’Oliver Stone a son 
          père courtier de Wall Street est un film d’un classicisme 
          efficace jouant drôlement sur plusieurs codes du genre mélodramatique. 
          Où les amourettes sont choses communes et n’apportent qu’au 
          récit que quelques anecdotes cocasses par leur rareté 
          (une prostitué stimulée par le langage boursier, une copine 
          agent double sous les traits de Daryl Hannah) ainsi qu’une pièce 
          manquante trop peu étoffée vu l’ampleur du drame.
          
          Tragédie incomplète qu’est celle de Wall Street, 
          le cinéma de Capra n’y est pas tout à fait avec 
          la même régularité critique, le corpus de Stone, 
          lui, pas encore assez étoffé pour prétendre lui 
          prêter les codes aujourd'hui bien établis de sa vision 
          du monde. Entouré d’un être menaçant blotti 
          on ne sait trop où, la trahison de Fox et le pouvoir de Gekko 
          et son empire appréhende l’assassinat de JFK, l’isolement 
          maladif de Nixon, la conspiration contre Alexander : Oliver Stone est 
          un cinéaste qui filme le destin des patriotes en cinéma 
          subjectif. Placés aux côtés de Fox l’opportuniste, 
          nous ne pouvons qu’être persuadés de la fin prochaine 
          de son rêve financier et de sa dénonciation. Le rêve 
          américain trop artificiel, trop rapide qu’il vit ramène 
          aux paroles de son père prônant n’avoir jamais juger 
          la valeur d’un homme à son portefeuille. Principalement 
          le récit d’un fils cherchant la reconnaissance (et à 
          en croire le vécu du cinéaste, l’hypothèse 
          d’un film tout aussi autobiographique que Platoon frappe 
          l’esprit), la rébellion du protégé contre 
          son maître impie tient de la grande tradition des récits 
          de la rédemption où Stone, l’iconoclaste, se permet 
          enfin d’accomplir sa réflexion et d’apporter à 
          son microcosme en crise le jugement d’un dernier plan à 
          vol d’oiseaux : l’omniscient metteur en scène se 
          retire de celle-ci avec le sentiment du devoir accompli.
         
          
        
        Version française : 
Wall Street
        Scénario : 
Oliver Stone, Stanley Weiser
        Distribution : 
Charlie Sheen, Michael Douglas, Martin Sheen, Daryl 
        Hannah
        Durée : 
127 minutes
        Origine : 
États-Unis
        
        Publiée le : 
30 Janvier 2009