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LA VIE AVEC MON PÈRE (2005)
Sébastien Rose

Par Vincent Bergeron

Si j'étais cinéaste, le thème que je voudrais le moins développer serait facilement celui de la famille. Au Québec, on peut honnêtement affirmer avoir suffisamment traité de la question. Sous tous les angles possibles, mais est-ce en excluant trop souvent les plus intéressants et inusités? Même cette question, cette nuance de ma part est de moins en moins justifiable.

Un film bien balancé comme Horloge Biologique de Ricardo Trogi parle pour le meilleur et pour le pire à beaucoup de gens de ma génération. Moi, je ne peux résister à la tentation de qualifier de lâche et de peu ambitieuse une génération chantant les louanges d'un film « qui nous ressemble », mais aussi dépourvu de valeurs humaines constructives, sans être particulièrement artistique ou même drôle, à plus d'un niveau. Néanmoins, son propos a l'avantage d'être beaucoup plus près de la réalité que celui de la plupart des films traitant de la famille au Québec. Un peu comme l'excellente série télévisée Les Invincibles de Jean-François Rivard, mais sans toute sa subversion de comédie noire m'apparaissant beaucoup plus subtile et inattendue, Horloge Biologique fait partie d'un nouveau courant thématique québécois où la famille n'est plus la priorité principale des personnages.

Voilà pourquoi le magnifique et très cinématographique La vie avec mon père de Sébastien Rose paraît soudainement un peu retardé en ayant comme thème principal le respect de la famille, l'amour perdu et retrouvé que deux fils partagent finalement avec leur père. Oui, encore une fois, les québécois se feront donner une leçon d'humilité par un cinéaste aux valeurs archaïques. Il y a certainement un côté vieillot et rangé chez Rose qui l'empêche de croire aux propositions sans espoir – « mais nous pouvons toujours boire!!! » - des personnes de sa génération. Souvent cela joue étrangement en sa faveur dans La vie avec mon père ; la finale, le pire défaut du film, demeure douteusement frileuse par rapport à l'avenir, un peu comme celle de Horloge Biologique l'est, mais d'une manière diamétralement opposée. Le beaucoup plus conventionnel et timide Comment ma mère accoucha de moi durant sa ménopause développait essentiellement les mêmes thèmes que ceux présents dans La vie avec mon père. Cette fois-ci, l'emphase n'est pas mise sur la peur de la vie adulte, mais sur l'absence de substance vivante dans l'existence des deux fils d'un père excentrique.

Auteur d'un seul roman, un succès commercial lui ayant permis de vivre comme un bohème presque jusqu'à la fin de ses jours, François Agira (Raymond Bouchard) se retrouve avec ses deux fils dans une maison aussi fragile que son sens des responsabilités. Un homme d'affaires froid et rationnel, Patrick (David La Haye) doit parfois subvenir aux besoins de son frère Paul Agira (Paul Ahmarani), retenant du côté artiste irresponsable de son père. Sans grand talent littéraire, Paul s'évade surtout dans les drogues. Dépourvu de folie, Patrick a beaucoup de difficulté à supporter le désordre dans lequel semble se complaire Paul et son père François. Lorsque la dernière heure de François sera annoncée, les trois apprendront à s'aimer pour de vrai. Ensuite les deux fils se diront indirectement : « Peut-être avait-il raison après tout ? »

Sur papier, l'histoire de La vie avec mon père semble assise sur des caricatures et des bons sentiments réconfortants. Si la finale en est pleine alors que les deux fils se contentent de s'assir sur l'héritage culturel de leur père, tout ce qui vient avant n'a rien à voir. Oui, chaque personnage est associé à une sorte de modèle. L'un est un homme d'affaires, l'autre est un artiste avec tout ce que cela implique dans notre imaginaire collectif. Heureusement, Rose ne se sert de ce procédé (modèle) que pour ancrer une cinématographie remarquable.

Elle lui permet de rapidement présenter les traits principaux de ses personnages, sans perdre de temps, l'imager comme au théâtre. Plusieurs cinéastes québécois ont eu recours à des procédés théâtraux ses dernières années. André Fortin le fait avec conviction et style depuis longtemps. Ce n'est rien de nouveau ou de surprenant, mais aucun ne m'a autant convaincu de la force du procédé que Rose avec ce film. Ces mises en scènes s'imbriquent naturellement avec les dialogues, sans détachement émotionnel et permettent ainsi de nouvelles possibilités narratives : des soirées aussi déchues que merveilleuses dans une maison inondée et/ou sans électricité, un cours de séduction en direct et plus subtilement la substitution de la mère par la petite amie du frère. S'il vaut mieux se taire et ne pas trop expliquer un film aussi calme et philosophique où tout prend un sens véritable au visionnement plutôt qu'à l'analyse écrite, il n'en demeure pas moins que La vie avec mon père est loin d'être aussi conventionnel qu'il en a l'air.

Un autre aspect n'avantageant pas ce film sur papier est la similarité de son scénario avec celui des brillantes Invasions barbares de Denys Arcand. Certainement, le fils homme d'affaires ressemble comme deux gouttes d'eau à celui incarné par Stéphane Rousseau dans Les Invasions barbares, mais la figure du père est plus drôle, moins intellectuelle et pessimiste. Dans les deux cas, elle est reniée et critiquée de toute part, avant d'être embrassée juste avant sa mort. Rose ne propose pas des dialogues aussi intellectuellement stimulants, mais il possède un style visuel et narratif très vivant, absent chez Arcand. Personnellement, sans le comparer aux Invasions barbares – n'étant pas sans faiblesses non plus - je trouve que « La vie avec mon père » se défend vraiment bien.

En particulier, Raymond Bouchard, un excellent acteur, omniprésent depuis plus d'une décennie au Québec, se surpasse dans le rôle du père (François Agira). Devant à la fois être drôle, charmant, abattu et humilié, d'une scène à l'autre, il répond toujours avec un charisme digne de son personnage. Du début à la fin de ce film où le père demeure heureux d'être en vie jusqu'à la fin, tout en gagnant en mélancolie, François Agira constitue un rôle très exigeant que Bouchard comprend de A à Z, sans jamais forcer la note. L'acteur permet en plus à la cinématographie de s'intégrer judicieusement au scénario, sans qu'on la remarque trop, alors qu'il domine notre attention.

Oui, sans qu'on le remarque trop alors qu'il domine notre attention. La vie avec mon père tend à se faire oublier depuis sa sortie au cinéma, mais il faut le voir!




Version française : -
Scénario : Stéfanie Lasnier, Sébastien Rose
Distribution : Raymond Bouchard, David La Haye, Paul Ahmarani, Hélène Florent
Durée : 105 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 17 Février 2006