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TOUT EST PARFAIT (2008)
Yves Christian Fournier

Par Mathieu Li-Goyette

Acte désespéré, égoïste, ou même désinvolte clameront certains. Fléau des sociétés occidentales tout en étant son plus grand tabou, le suicide provoque, fait mal et y faire allusion ne laisse personne indifférent. Chacun ayant une conception différente du suicide, il serait d’abord important de s’accorder sur l’évidente tristesse de l’évènement, mais surtout sur l’incompréhension jaillissant des répercussions de cet acte. Ramené à la dure réalité, la nouvelle du suicide d’un proche représente sûrement un des sentiment les plus complexe à décrire au sein du prisme émotionnel humain. Teinté de rage, de tristesse, de curiosité parfois, le pèlerinage du deuil qui s’en suit a dévasté plus d’une famille. Ceci dit, si vous êtes d’accord avec cette définition, penchons-nous sur le cas mitigé du premier long-métrage d’Yves Christian Fournier: Tout est parfait.

C’est donc sur une rafale de suicides dédramatisés de quatre adolescents banlieusards que s’ouvre le récit de survie de Josh, ami des quatre victimes. Compagnons depuis toujours et stéréotypés à fond en ados débauchés, imbus d’eux-mêmes et déconnectés de la réalité, ils menaient la grande vie de la nonchalance, du «écœure-moi pas, man!» lancé à son père. Tout était parfait.

Tout était en effet parfait jusqu’à ce que le regard peu réfléchi du jeune réalisateur s’en mêle. Bénéficiant à prime à bord d’un scénario bien cousu et d’une idée qui aurait eu le potentiel de donner un coup de jeune au cinéma québécois, le film s’empêtre dans plusieurs pièges par rapport à la progression des personnages. Tout est parfait déçoit amèrement et on se surprend à croire que le film a bel et bien été retenu à la Biennale de Berlin. Traçant le parcours de ce jeune, blasé de l’existence, la progression du film s’arrête après une quinzaine de minutes et laisse le protagoniste errer dans son univers d’adultes bêtements compatissants. Le dénouement du film nous étant aussi donné dès le début par un manque de subtilité, c’est à se demander qu’est-ce qu’il nous restera pour l’heure et demie à suivre.

Simplement des scènes de ménage opposant tour à tour Josh à ses parents, à son psychologue, au père d’un de ses défunts amis, à la blonde de l'autre, à l’ami d’un autre, etc. Bombardé de discours lui disant de «ne pas lâcher» et «d’affronter la vie comme elle est» ou encore la fameuse ligne du père substitut, alcoolique et désillusionné: «vous auriez dû le savoir, la vie est pas belle» (interprété par un Normand D’Amour perdant toute crédibilité suite à des métaphores reliant suicide et parties de golf), la progression nous laisse sur notre appétit et n’appui en rien les pensées obscures de Josh face à la situation. Le spectateur aurait bien pu trouver ces commentaires à la place des personnages, il n’avait pas besoin de 120 minutes. N’écorchant qu’en surface la problématique de la vie face au suicide et sa réception, le film en soi ne parvient qu’à nous apporter un discours humaniste sans y prolonger la réflexion.

Heureusement, certains flashbacks montrant la bande d’amis lors de leurs sorties pourraient faire oublier les autres lacunes de la mise en scène, car on a l’impression, pour une fois, d’en apprendre sur les causes de leur pacte. Bien que parfois inégales, ces scènes parviennent à rehausser la qualité générale du film qui évite le désastre en ne se contentant pas d’une chronologie narrative conventionnelle. On va et vient dans le temps, guidé par le montage, pour reprendre conscience des événements ayant poussé les jeunes à commettre cet horrible sacrifice/abandon. Mise à part la dernière scène, le film se sauve donc avec un dernier quart d’heure digne de l’engouement provoqué par sa sortie et ne répond qu’à la moitié de ses attentes. Refusant d’expliquer le suicide des jeunes ou leurs intentions derrière l’acte collectif, le choix de la narration conserve par ailleurs une certaine neutralité face au suicide lui-même pour s’en remettre à tenter d’expliquer le parcours psychologique de Josh qui devra accepter un jour ou l’autre que la vie se doit de continuer. En supplémentaire, une belle cinématographie et un jeu des acteurs juste la plupart du temps (note spéciale à Maxime Dumontier qui interprète Josh) viennent aider le tout à en faire un film sommes toutes «regardable», car il ne faut pas se leurrer, ses handicaps restent bien présents avec le recul nécessaire dû à l’émotivité du sujet.

On assiste ici à un regard bien lassant du monde adolescent d’aujourd’hui. Confinés à être des jeunes sans pensées, n’ayant rien à dire de mieux que leurs propres mérites et défaites, les seuls soubresauts de raisonnement qui viennent secouer ces derniers sont aussitôt enterrés dans un apitoiement le plus total. Convaincu de n’être compris par personne, ces jeunes se laissent à eux-mêmes jusqu’à la crise existentielle typique. Film révoltant et prétentieux à décrire un univers qu’il ne connaît apparemment pas, il finit par traiter du suicide comme d’un aspect secondaire comparé aux multiples scènes à caractère sexuelle qui se succèdent à un rythme enfreignant. Cherchant à faire passer son message par des plans chocs de nudités et de violences, le film échoue carrément à ajuster le tir et à mettre le doigt sur la réelle problématique du suicide pour n’être au bout du compte qu’un mirage bien charmant de la situation.

N’approchant pas encore un certain Elles étaient cinq, l’ensemble est miné par une réalisation aux allures poétiques avec quelques bribes d’inventivité (à suivre la suite de la carrière du jeune réalisateur). Si certaines scènes propose un talent clair de direction d’acteur et de mise en scène distanciée, la plupart, ayant l’air fait sur le pouce, viennent éclipser les précédentes. Possédant le potentiel à être comparé à un Gus van Sant s’il avait tenu la route sans s’effondrer, Tout est parfait s’inscrit dans une veine de films pour adolescents aux tendances sociologiques sans prétendre aboutir à la conclusion que l’on aurait souhaité. Dénoncer un problème de société ne peut malheureusement suffire à son public (dans la mesure où l’on respecte celui-ci) si l’on n’y apporte pas réflexion et ce quand même bien que l’on prend conscience de la noble intention du film. Envers un problème majeur tel que celui-ci, le pamphlet de sensibilisation ne devrait pas suffire, il faut la cure fournie avec. Se déroulant dans un monde à part, replié sur lui même, ces personnages n’ont d’importance et de profondeur que selon leur rôles précis dans le récit et s’éloigne ainsi du témoignage poignant qu’il aurait pu devenir. Faussement dédramatisé jusqu’à l’extrême ou carrément l'inverse par moment, Tout est Parfait (aussi provocant peut-il paraître) ne relève finalement que du film de genre d’adolescent stéréotype saupoudré de tragédie humaine, sans plus.




Version française : -
Scénario : Yves Christian Fournier, Guillaume Vigneault
Distribution : Maxime Dumontier, Pierre-Luc Brillant, Claude Legault, Chloé Bourgeois
Durée : 118 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 21 Mars 2008