TEKKON KINKREET (2006)
          Michael Arias
          
          Par Jean-François Vandeuren
          
          Le cinéma d’animation sera toujours divisé entre 
          l’image enfantine que les grands studios hollywoodiens lui collent 
          depuis près d’un siècle et le désir de quelques 
          artistes un peu plus aventureux de faire fi des dernières tendances 
          en la matière pour offrir un contenu plus original et mature 
          à leur auditoire. Alors que l’animation numérique 
          gagne de plus en plus de terrain partout sur la planète, une 
          poignée d’irréductibles cinéastes continuent 
          de défendre les intérêts de la bonne vieille planche 
          à dessin, voire même du stop motion et des marionnettes, 
          pour aller à contre-courant de la ridicule quête de perfection 
          et de réalisme envenimant le médium depuis le début 
          du nouveau millénaire. L’un des plus ardents défenseurs 
          de ces techniques plus traditionnelles demeure évidemment la 
          Japon où les dernières années auront été 
          l’affaire de Satoshi Kon et de ses superbes Millennium Actress, 
          Tokyo Godfathers et Paprika, et des studios 4°C 
          qui nous avaient offert en 2004 le jouissif Mind Game de Masaaki 
          Yuasa. La boîte nipponne, également responsable du Metropolis 
          de Rintaro et des meilleurs segments du collectif The Animatrix, 
          nous propose cette fois-ci une adaptation tout aussi survoltée 
          du manga Tekkon Kinkreet (Amer Béton) de Taiyo 
          Matsumoto, consolidant de nouveau sa position privilégiée, 
          mais néanmoins fragile, parmi les derniers grands bastions du 
          cinéma d’animation en cette ère de remises en question 
          et de retours en arrière.
          
          C’est à Michael Arias que furent confiés les rennes 
          de cet ambitieux projet. Il s’agit d’une première 
          présence sur la chaise du réalisateur pour l’Américain 
          qui avait déjà travaillé avec le studio japonais 
          à titre de producteur et d’animateur numérique sur 
          le génial Beyond de la série The Animatrix. 
          En soi, Tekkon Kinkreet poursuit avec fougue ce que la boîte 
          nipponne avait amorcé sur le plan esthétique et narratif 
          avec Mind Game. L’effort s’alimente ainsi de la 
          même frénésie visuelle pour raconter une histoire 
          qui, même si un peu plus terre-à-terre, ne rate jamais 
          une occasion de mettre en valeur ses influences autrement plus fantastiques 
          et oniriques. Arias nous transporte donc dans les rues de Treasure Town, 
          cité sur le déclin et repère de nombreux criminels 
          assoiffés de pouvoir. Le film suit plus particulièrement 
          le parcours de deux gamins, Black et White, dont la connaissance approfondie 
          des moindres recoins de cet immense terrain de jeu leur aura permis 
          de tenir leurs rivaux à l’écart et de protéger 
          leur part du gâteau. Les choses seront toutefois appelées 
          à changer à l’intérieur de la métropole 
          lorsque le chef d’un clan yakusa rasera les quartiers les plus 
          désuets de celle-ci pour y construire un immense parc d’attractions. 
          Les deux orphelins devront alors faire face à la musique lorsque 
          le mafieux en question tentera de mettre fin aux jours du duo, voire 
          de tous les individus susceptibles de lui mettre des bâtons dans 
          les roues.
          
          Ignorant avec un malin plaisir les nombreuses contraintes qui auraient 
          pu lui être imposées, le scénariste Anthony Weintraub 
          signe un récit survolté dont la versatilité n’a 
          d’égal que la grande imprévisibilité. Le 
          scénariste ne craint d’ailleurs pas de changer de ton ou 
          de ralentir le rythme de l’effort de façon drastique le 
          temps venu, enchaînant séquences humoristiques, oniriques 
          et psychologiques et démonstrations de violence pour le moins 
          sordides avec une étonnante facilité. Le récit 
          de Weintraub se démarque également en allant au-delà 
          des conflits s’opérant entre ses protagonistes pour révéler 
          le réel respect se terrant derrière des actes d’une 
          rare cruauté commis au nom d’un équilibre que tous 
          cherchent pourtant à faire basculer. Le scénariste illustre 
          d’ailleurs cette situation de belle façon en ramenant continuellement 
          celle-ci au symbole du Yin-yang, en particulier la relation entre ses 
          deux principaux personnages où ces rapports d’opposition 
          et de nécessité se font sentir jusque dans le nom de ces 
          derniers. Un parallèle qui prend également tout son sens 
          dans la représentation extrêmement organique de la cité 
          et dans la relation implicite s’opérant entre ses quartiers 
          et ses habitants. Weintraub dévie ainsi habilement notre regard 
          de ce qui n’aurait pu être qu’une simple lutte de 
          territoire pour livrer un constat des plus sensés sur le passage 
          du temps et l’effondrement de certaines traditions. Une dure réalité 
          dont aucune sphère sociale n’est à l’abri, 
          pas même la plus endurcie du lot.
          
          Ce rapport on ne peut plus viscéral entre la métropole, 
          ses lois non-écrites et ses différents clans est illustré 
          d’une manière tout aussi sentie par Michael Arias. Ce dernier 
          signe une mise en images à la fois énergique et raffinée 
          se pourvoyant d’une échelle de plans et d’un montage 
          plutôt inusités pour un film de cette nature. La facture 
          visuelle d’Arias n’a d’ailleurs rien de statique et 
          reproduit avec aisance les mouvements saccadés ordinairement 
          produits par une caméra à l’épaule tout en 
          affichant un goût marqué pour l’utilisation de plans 
          subjectifs. Les élans visuels d’Arias se mêlent ainsi 
          parfaitement au style d’animation formidablement imprécis 
          des studios 4°C pour donner véritablement vie aux couleurs 
          vibrantes et aux traits on ne peut plus expressifs de celui-ci. Le cinéaste 
          américain n’a toutefois aucune difficulté à 
          laisser cette exubérance de côté pendant de longs 
          moments pour plonger son film dans une vague d’ambiances nocturnes 
          qu’il laisse mijoter sur un fond musical tout aussi enivrant. 
          Le ralliement contre la modernité qui aurait dû avoir lieu 
          à cet instant est alors balayé par un vent de nostalgie 
          que les deux cinéastes traitent avec une étonnante lucidité. 
          Un pont entre action et prise de conscience que Weintraub et Arias exécutent 
          à la perfection en n’associant jamais leur effort à 
          une ligne de pensée bien précise, leur permettant d’alourdir 
          progressivement le ton de leur film et de lui conférer sournoisement 
          des airs de tragédie que le duo défend d’une manière 
          tout aussi saisissante.
          
          Michael Arias et son équipe se révèlent donc à 
          la hauteur du défi qui leur fut octroyé et signent au 
          final un film hautement expressif autant dans ses actions que ses idées 
          et les émotions qu’il désire véhiculer. Tekkon 
          Kinkreet se positionne ainsi adéquatement dans la filmographie 
          stellaire des studios 4°C entre la folie créatrice de Mind 
          Game et les élans plus posés de l’excellent 
          Metropolis de Rintaro. Si la facture visuelle d’Arias 
          tient considérablement ses distances avec la réalité, 
          les écrits d’Anthony Weintraub, pour leur part, nous y 
          renvoient constamment en soulignant d’une manière toujours 
          très directe l’inévitabilité de certains 
          événements, portant du coup un regard à la fois 
          sensible et cru sur la fin d’une époque et l’(in)capacité 
          d’adaptation de certains individus face à cette nouvelle 
          réalité dans le meilleur comme dans le pire des cas. Le 
          duo cherche ainsi une lueur d’optimisme dans la période 
          rongée par l’incertitude que nous traversons actuellement 
          en méditant sur le passé sans nécessairement vouloir 
          le louanger, se concentrant plutôt sur les faiblesses l’ayant 
          marqué et la façon dont le monde finit par s’en 
          accommoder. Car après tout, plus les choses changent, plus elles 
          restent exactement les mêmes…
        
          
         
        
        
        Version française : -
        Scénario : 
Anthony Weintraub, Taiyo Matsumoto (manga)
        Distribution : 
Yû Aoi, Yusuke Iseya, Kankurô Kudô, 
        Sanchu Mori
        Durée : 
111 minutes
        Origine : 
Japon
        
        Publiée le : 
11 Juillet 2007