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TARNATION (2004)
Jonathan Caouette

Par Jean-François Vandeuren

Au cinéma, la sortie d’un drame biographique est une chose plutôt courante. L’autobiographie est par contre une approche rarissime que l’on associe plus facilement au domaine littéraire qu’à toute autre forme artistique. Imaginer voir un cinéaste reconstituer sa vie l’espace d’un film sans faire appel à la fiction semble donc encore plus impensable. Car encore faudrait-il que le principal intéressé possède suffisamment d’extraits visuels et sonores pour construire adéquatement en image un tel témoignage. C’est pourtant précisément ce que l’acteur et maintenant réalisateur Jonathan Caouette a réussi à accomplir. Avec Tarnation, Caouette nous fait visiter les recoins les plus sombres de sa vie d’une manière qui tient pratiquement du voyeurisme. Cet essai co-produit par Gus Van Sant, ce qui n’est pas vraiment une surprise si l’on considère autant la forme que le contexte exposé, voir My Own Private Idaho, fait part d’un film raconté d’une façon quasi unique, ne se limitant jamais à une quelconque forme d’auto-valorisation, proposant à l’opposée un regard on ne peut plus honnête, aussi prenant que troublant sur la vie du réalisateur et de sa mère.

Cette histoire s’étalant sur plus de trois décennies se concentre au départ sur l’enfance trouble de Jonathan Caouette, mais également sur le passé de sa mère Renee Leblanc. Suite à une paralysie momentanée dû à une chute qui fut malencontreusement associée à un trouble d’ordre psychologique, cette dernière dut régulièrement subir une série d’électrochocs au cours de sa jeunesse, ce qui créa chez elle certains désordres cérébraux irréparables. Tarnation révèle par la suite l’adolescence de Caouette et l’affirmation de la personnalité de ce dernier, également marqué d’une expérience malencontreuse qui l’aura mené plus jeune à consommer deux joints trempé entre autre dans du PCP et dont son esprit ne se sera jamais totalement remis. Bien que le film utilise la chronologie comme ligne directrice, l’exposé se forme en soi à partir d’un collage survolté formant un album souvenir déjanté de la vie du jeune acteur à travers diverses photographies, archives vidéos, films amateurs et personnels, extraits sonores, morceaux de la culture pop des années 80 et 90 qui l’auront marqué, etc. Ce dernier utilise également une certaine mise en forme littéraire en tapissant son oeuvre de fragments de textes afin de nous guider dans son existence, en plus d’y ajouter un univers musical superbement choisi pour appuyer ce mélange.

Un des points les plus notables de cette expérience demeure les moyens restreints dont disposait Caouette pour la finaliser, n’y ayant investit au total que la très modique somme d’à peine trois-cents dollars et ne s’étant servi que du logiciel iMovie d’Apple pour le montage. Sachant cela, il est donc évident que Tarnation peut faire part d’un manque de moyens perceptibles dans la forme, mais dont la valeur de l’ensemble n’en est jamais réduite. Le film se construit en ce sens sur des bases esthétiques rudimentaires et désordonnées au départ dans lesquelles Caouette parvient étonnamment non seulement à garder une touche expressive qui lui est propre, mais également à rendre son témoignage aisément perceptible pour le public. Cet effort est donc beaucoup plus qu’un simple album de famille qui aurait pu ordinairement n’attirer que son instigateur. Il faut dire que le passé qu’il nous esquisse va parfois beaucoup plus loin que la mise en scène d’un simple journal intime, explorant un monde souvent laissé dans l’obscurité qui rappellera notamment d’une manière moins frénétique celui du documentaire Crumb de Terry Zwigoff. Caouette nous expose donc à son univers familial tourmenté, à ses cicatrices d’une enfance formée d’abus psychologiques indélébiles, à l'affirmation de son homosexualité, le tout formant un impact encore plus grand vu l’authenticité des images exposées.

Tarnation semble donc avoir été l’occasion pour Caouette de mettre les points sur les i avec sa famille, et particulièrement sa mère à qui il rend un hommage des plus émouvants dans des circonstances assez inhabituelles, mais également avec lui-même. Un projet qui n’avait donc pas seulement un but artistique, mais dont l’objectif d’avant-plan se voulait beaucoup plus humain et personnel. Une initiative livrée par le jeune cinéaste avec une honnêteté extrêmement rare au cinéma. Confrontation habilement menée qui atteint la majeure partie de ses objectifs, nous donnant un essai aussi inusité que provocateur. Alors que le documentaire pop est en plein essor, Tarnation nous ramène les deux pieds sur terre en réussissant à nous rejoindre sans jamais nous forcer la main, même si on se retrouve à bout de souffle à plus d’une reprise en cours de route.




Version française : -
Scénario : Jonathan Caouette
Distribution : Jonathan Caouette, Michael Cox, Adolph Davis, Renne Leblanc
Durée : 88 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 7 Février 2005