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THE SOLOIST (2009)
Joe Wright

Par Louis Filiatrault

Quiconque s'est attardé sérieusement sur les deux premiers films de Joe Wright a compris que dans son créneau spécifique de la cour cinématographique, le jeune cinéaste ne donnait pas sa place. En effet, sans exactement réinventer les moules d'une certaine tradition sentimentale, Atonement et Pride and Prejudice ont révélé un talent exceptionnellement précoce pour une forme de romantisme ardent, esquissé à coups de gestes grands, voire démesurés (ce qui lui attira les foudres ou simplement l'indifférence de la critique de haut niveau). Suintants d'atmosphère, il s'en dégageait une profonde compréhension de la sensibilité anglaise et de ses histoires, rendues vivantes par une accumulation de subtilités en tous genres. Aussi était-il légitime pour les amateurs d'appréhender The Soloist, véritable archétype du film de commande américain ; le Britannique saurait-il traverser la barrière culturelle et traduire correctement la pulsation des États-Unis contemporains, plus spécifiquement de Los Angeles? Saurait-il rendre justice à des thèmes « universels » tels que la solitude et la bienveillance altruiste? Le résultat apparaîtra mixte pour les cinéphiles moins fanatiques, mais sans doute réjouissant pour les curieux saluant l'audace et l'engagement formel dans les films en apparence banals.

En notre qualité de simples mortels, nous ne saurons sans doute jamais si The Soloist fut écrit par Susannah Grant avec l'intention d'en proposer la réalisation à Joe Wright, mais une chose se présente à l'évidence : en réitérant le phrasé quasi-musical auquel nous a déjà habitués sa mise en scène, le cinéaste brouille les pistes d'un scénario somme toute assez conventionnel, ce qui occasionne à la fois ses plus grandes forces et ses plus navrantes faiblesses. En effet, là où quelqu'un comme Steven Soderbergh (l'homme derrière le Erin Brockovich de la même auteure) aurait sans doute accentué les données brutes et abondantes liées aux divers milieux présentés, le travail de Wright tend à souligner les interstices fantômatiques et la matière émotive abstraite autant que le lui permettent les contraintes de son récit véridique, d'une indéniable portée didactique. Aussi la stylisation constante à laquelle aspire ce traitement rend-elle flous certains éléments essentiels du scénario: pourtant côtoyé de façon intime au cours du premier acte du film, le journaliste incarné sans artifices par Robert Downey, Jr. demeure insaisissable, difficile à suivre en ce qui concerne les motifs de sa relation étrange avec un musicien schizophrène et sans domicile (que Jamie Foxx interprète de façon magnétique, intrigante, et décidément originale) ; il en va de même de la façon dont ce dernier est perçu par le lectorat du Times de Los Angeles, ainsi que des initiatives communautaires qu'inspirent les articles de Steve Lopez. Ceci dit, fidèle à son habitude, Joe Wright sait diriger les dialogues de manière captivante et franchement étonnante, en leur conférant un ton de frustration amer et inconfortable, résistant à la tentation des bons sentiments. C'est ce détail particulier qui semble pointer le mieux en direction de l'intérêt plus large de The Soloist, à savoir le sentiment d'une urbanité intense et enveloppante.

Au même degré que les cinéastes du plus haut calibre, la maîtrise de Joe Wright sur la conduite de son film s'affiche dès les premières minutes : une succession percussive de gros plans très calculés impose d'emblée un rythme singulier qui sera brisé, repris, modulé. Et s'il n'est qu'une constante entre les trois films de l'Anglais, il s'agit sans aucun doute d'une matière sonore sculptée avec intelligence, en accord avec l'intensité du sujet. Aussi le spectateur attentif remarquera-t-il rapidement l'étonnante place accordée aux bruits d'ambiance ; les conversations de bureau semblent parasitées par les alentours, les ronronnements des voitures occuper toute la conscience... Si bien que la musique finissant par émerger du violon de Nathaniel Ayers apparaît comme une bouffée d'air dans un milieu hostile. À la moindre occasion, c'est donc un véritable combat que met en scène le montage sonore dirigé par Craig Berkey: celui de la musique (celle de Beethoven et celle, originale et encore une fois magnifique, de Dario Marianelli) contre l'environnement urbain et même contre l'homme ; en témoigne la conclusion de la séquence un peu appuyée de « l'envol des oiseaux », alors que la conversation reprend difficilement, au creux d'un viaduc, entre le journaliste opportuniste et son instable sujet. Du côté du montage image, The Soloist s'acquitte généralement très bien d'une tâche difficile, à savoir d'équilibrer les échelles macro et micro ; toute la progression narrative du film semble en effet articulée en vue de passer d'une perspective on ne pourrait plus distanciée, plongeant sur les autoroutes de Los Angeles, à une incursion révélatrice dans les déroutants parages d'un centre de réinsertion, culminant sur des séquences nocturnes d'une grande poésie. On accusera peut-être Joe Wright et son brillant chef-opérateur d'« esthétiser » quelque peu la misère, mais jamais de la romancer telle qu'a pu le faire l'équipe de Danny Boyle sur Slumdog Millionaire ; tout au plus reprochera-t-on des flash-backs surexplicatifs et un dernier acte confus, dans un ensemble dont l'effort de sensibilisation apparaît sincère et bien documenté.

Réalisateur d'un incontournable et d'une magnifique romance coupable au cours des dernières années, Joe Wright aurait pu s'effacer le temps de quelques compromis et ultimement mettre sa réputation en jeu. Heureusement, son travail conserve un intérêt tout à fait singulier, et trouve même le moyen d'élargir sa palette de façon étonnante. D'une part, il y trouve l'occasion de s'illustrer à son plus haut niveau d'abstraction à ce jour ; en atteste la visualisation colorée d'une prestation symphonique, semblant sortir tout droit de Fantasia. De l'autre, il démontre un intérêt (sans que l'on puisse encore parler d'un réel « engagement ») pour une question résolument pertinente, à savoir la maladie mentale et les moyens difficiles et respectueux de la tempérer. Distribué par Participant Productions (compagnie s'étant aussi chargée de films remarquables tels que The Visitor et Standard Operating Procedure), The Soloist se présente explicitement comme une plate-forme didactique et ouvre sur du matériel additionnel pour quiconque désire s'impliquer davantage, mais gagne également une densité surprenante en s'affichant avec une force peu commune dans la sphère esthétique ; néanmoins, c'est peut-être en ne sachant pas toujours adopter la bonne attitude face à un récit somme toute assez réservé que Joe Wright, sans le vouloir, commet ses plus grands écueils. En multipliant les vues sur la ville, les fragments temporels, les instantanés de passants, le réalisateur anglais semble parfois viser la conception d'une oeuvre portant sur l'humanité entière, ce qui, sans être illégitime, se situe de toute évidence hors des ambitions du scénario de Susannah Grant. Ceci étant dit, l'évidente réussite formelle et les meilleurs moments de The Soloist suffisent pour confirmer la réjouissante vision du metteur en scène ; il faudra simplement patienter jusqu'au prochain tour avant qu'elle frappe à nouveau de plein fouet.




Version française : Le Soliste
Scénario : Susannah Grant, Steve Lopez (livre)
Distribution : Jamie Foxx, Robert Downey Jr., Meggan Anderson, Halbert Bernal
Durée : 117 minutes
Origine : États-Unis, Royaume-Uni, France

Publiée le : 8 Mai 2009