SCOOP (2006)
Woody Allen

Par Alexandre Fontaine Rousseau

À plusieurs égards, Match Point constituait un authentique retour à la forme pour Woody Allen. S'il semblait s'être engagé depuis quelques années déjà sur la voie de la facilité et de la redondance, ce drame cynique et très classique sur les déboires romantiques et moraux d'un aristocrate anglais sera venu perturber, pour notre plus grand plaisir, la zone de confort dans laquelle s'était installé Allen. Sans répéter ce tour de force dramatique et cinématographique, le nouveau film du réalisateur de Annie Hall est de toute évidence le fruit du même renouveau créatif. Tout en s'inscrivant dans la même lignée de comédies policières légères que Manhattan Murder Mystery et The Curse of the Jade Scorpion, Scoop surpasse aisément ces essais et s'impose sans l'ombre d'un doute comme étant la meilleure comédie pure qu'a élaboré Allen depuis belle lurette.

En route pour le royaume des morts, le journaliste Joe Strombel dégote un dernier tuyau sur une affaire des plus alléchantes. Son récent décès l'empêchant de mener l'enquête, Strombel confie tout ce qu'il sait de l'affaire à une jeune étudiante en journalisme. Témoin de l'échange, un vieux magicien névrosé est impliqué bien malgré lui à cette affaire fort compromettante pour un jeune homme privilégié de la bourgeoisie britannique. Afin de s'infiltrer dans l'entourage de celui-ci, notre maladroite héroïne se dira fille d'un puissant magnat du pétrole américain que le modeste Splendini a toutes les misères du monde à incarner de manière crédible.

Certes, l'intrigue cocasse de Scoop pige la plupart de ses idées à même l'oeuvre d'Allen; les spectateurs perspicaces reconnaîtront au passage certains passages rappelant Match Point et noteront qu'une bonne partie du film s'appuie sur un comique de situation reprenant la logique de la seconde moitié de Small Time Crooks. Même l'introduction semble nous ramener l'instant d'une scène à Broadway Danny Rose. Heureusement, ce Scoop semble encore frais malgré son côté familier. À 71 ans, le vieux Woody est trop vieux pour se réinventer et, de toute façon, son univers s'avère aussi agréable qu'auparavant lorsqu'il est exploité avec flair.

Renouant avec plusieurs de ses thèmes fétiches, notre new-yorkais à lunette favori donne une fois de plus à la magie un rôle prépondérant dans la résolution de l'intrigue, s'amuse en se payant la tête des hautes sphères de la société et place la mort sur un pied d'égalité avec la vie. Le ton léger qu'il se permet ici de prendre n'est pas sans rappeler son oeuvre de la première moitié de la décennie. Néanmoins, la nonchalance empreinte de nostalgie de The Curse of the Jade Scorpion a cédé le pas à un classicisme aussi épuré qu'élégant dans la veine de celui de Match Point. Si cette oeuvre dramatique faisait référence au Crime et châtiment de Dostoïevski, Scoop se permet pour sa part d'emprunter à Hamlet certains éléments de sa trame narrative.

Toutefois, le succès de Scoop relève principalement de la qualité de ses interprètes. Allen est dans une forme redoutable en tant qu'acteur comique, livrant chaque réplique sur le ton juste. Le plaisir évident avec lequel il interprète - enfin, diront certains - un personnage approprié compte tenu de son âge avancé est fondamentalement contagieux. Hugh Jackman se débrouille parfaitement en tant que charmeur flegmatique. Quant à la belle Scarlett Johansson, elle livre une performance pleine de candeur justifiant hors de tout doute son statut de nouvelle muse du vieux Woody.

Si bon nombre de critiques s'évertuent à qualifier Scoop d'échec, c'est qu'il ne poursuit pas dans la même lignée sérieuse que Match Point. Pourtant, le film constitue un retour plein d'aplomb au monde de la comédie légère, mais intelligente. Petit film, mais grand divertissement, le nouveau Allen est un petit bijou humoristique truculent et tonique qui, s'il n'a rien d'une grande surprise, propose un moment de franche rigolade doublé d'une récapitulation bien roulée des grandes lignes de son oeuvre. Scoop tire son épingle du jeu en accomplissant en toute modestie tout ce qu'il entreprend. Pourquoi, dans ce cas, bouderait-on notre plaisir?