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SARABAND (2003)
Ingmar Bergman

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Depuis 1984 qu'Ingmar Bergman, légende vivante du septième art s'il en est une, n'avait pas vraiment donné de ses nouvelles au public international, se contentant d'écrire de temps à autre pour Liv Ullmann et de réaliser des téléfilms diffusés sans tambour ni trompette. On serait porté à croire que s'il s'est réveillé de son coma créatif pour réaliser Saraband, c'est qu'il avait quelque chose de neuf à partager. Que si le film originalement conçu pour la télévision s'était rendu jusque sur les écrans de Cannes et d'Amérique, c'est qu'il renouait avec la magie d'antan. Mais qu'est-ce que Bergman cherchait à nous dire en proposant cette suite à ses Scènes de la vie conjugale? Que l'amour est une prison, un mythe, un vil mensonge et la mort pour sa part inévitable? Que l'homme est fondamentalement mauvais? Que la famille est vouée à charcuter tôt ou tard ses membres dans une orgie de mépris longuement mariné? Merci, monsieur Bergman! On ne vous en demandait pas tant...

Avant de poursuivre, permettez-moi de souligner le respect qui est de toute évidence dû à l'une des plus grandes figures de l'histoire du cinéma, à l'un des plus grands artistes que cette forme d'art encore jeune ait enfanté. Cela étant dit, Saraband n'est rien sans le nom de Bergman. Rien si ce n'est qu'un concentré de mépris et de sécrétions bileuses qu'un vieux marchand de misère s'est amusé à concocter pour le plus grand plaisir des masochistes psychologiques qui aiment se vautrer dans la violence intellectuelle comme s'il s'agissait d'un plaisir plus noble que se complaire dans la violence sanglante d'un film d'horreur bien juteux. Tiède relecture de ses films de chambre produits dans les années 70, Saraband est une Sonate d'automne sans la passion ou la richesse.

Il y aura bien entendu une pléthore de critiques pour célébrer l'économie de moyens et la franchise crue de ce nouveau film du vénéré réalisateur suédois. Mais peut-on honnêtement parler d'un film épuré devant cette création numérique haute-définition à l'esthétique monstrueusement déficiente, cette création qui accumule les fondus enchainés mous et les effets visuels bons marchés pour ensuite nous écraser sous le poids de toute la tristesse humaine? Bergman ne nous épargne aucun des ressorts mélodramatiques de la grande anthologie de la tragédie russe avec Saraband. On lui concédera volontiers qu'il emploi un nombre extrêmement réduit de plans. Mais cette orgie d'apitoiements grincheux et de drames humains déchirants n'est en rien un exemple de retenue, d'élégance ou de minimalisme. Dépouillé de son symbolisme grandiose et de son riche onirisme, le cinéma de Bergman n'est plus qu'une invitation à la déprime collective pour cinéphiles en manque de pensées suicidaires. Mais personne n'osera remettre en question le nouvel opus d'un tel monstre sacré...

Difficile de croire que le cinéaste qui avait su avec Le septième sceau mettre en image la mort avec tant de doigté en soit réduit à faire planer son ombre lourdaude sans aucune finesse. Impossible d'accepter que l'homme qui avait su en défier la tragédie avec Les fraises sauvages ait finalement décidé de nous faire craindre l'amertume de l'âge d'or. Pourquoi donc Bergman a-t-il décidé de nous raconter pour une énième fois l'histoire d'un vieillard se terrant dans la haine et la rengaine? De nous refaire le coup de la pauvre musicienne poussée par l'amour possessif d'un parent instable à ne pas vivre sa vie selon ses propres aspirations? Que diantre tente-t-il de communiquer avec Saraband?

Rien de neuf, voilà ce que l'on conclut à la fin de ce film raté dont on peut au mieux vanter quelques moments d'une puissance indéniable, le chapitre L'heure du loup par exemple, ainsi qu'une direction d'acteurs aussi impeccable et sensible qu'à l'habitude. Tout de même, on a parfois la sombre impression que Bergman a voulu se payer notre tête. Comme lorsqu'il nous sert l'un de ses célèbres «silences habités», qu'il prend cette fois-ci plaisir à ponctuer d'un décompte vocal à grand coup de clins d'oeil peu subtils. Peut-être suis-je trop jeune pour saisir à quel point Saraband capture à merveille toute la douleur et l'obscurité du crépuscule de l'existence? Mais j'ai plutôt l'impression que le vieux tortionnaire aigri nous a servi un gros film gore psychologique, question de nous faire souffrir un peu. Sans l'humour ou le rythme du cinéma de viscères à ciel ouvert. «Love will tear us apart», comme chantait l'autre...




Version française : Sarabande
Scénario : Ingmar Bergman
Distribution : Liv Ullmann, Erland Josephson, Börje Ahlstedt
Durée : 120 minutes
Origine : Suède

Publiée le : 10 Août 2005