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REDACTED (2007)
Brian de Palma

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Depuis la Palme d'or de Fahrenheit 9/11 en 2004, bon nombre de documentaristes se sont aventurés à critiquer l'administration Bush ainsi que sa douteuse « guerre contre le terrorisme » dont l'épicentre demeure encore aujourd'hui le conflit irakien. Au fur et à mesure que s'éternise cette campagne militaire, que les soldats américains tombent au combat et que les enjeux officieux de cette vaste opération politique et économique sont révélés au grand public, l'opinion populaire se range du côté de cette dissension de masse des milieux culturels. S'exilant d'Hollywood après y avoir réalisé au cours des dernières années quelques-uns de ses pires films, Brian De Palma retourne vers le front indépendant pour signer à son tour un pamphlet virulent contre la guerre en Irak. Mais c'est du côté de la fiction hybride qu'a choisit de se risquer le réalisateur de Blow Out, signant avec Redacted une oeuvre qui s'approprie l'esthétique du documentaire pour rendre plus cinglante sa charge contre la présence d'une armée qui, malgré les pressions du Sénat américain, tarde à quitter le pays qu'elle occupe au nom de la soi-disant démocratie libre.

Mais, au-delà du thème de la guerre, la question qu'aborde De Palma est ici beaucoup plus profonde. Redacted est un pamphlet militant réalisé en tenant compte de la relation nouvelle qu'entretient le spectateur avec l'image à l'ère de CNN et du réseau internet; c'est un film qui se penche par sa forme sur la valeur de l'image à l'heure où, par sa prolifération et sa banalisation, celle-ci devient plus que jamais vulgaire produit de consommation. De Palma réitère cette boutade, qu'il avait formulé en réplique à la fameuse formule de Godard, comme quoi le cinéma ment vingt-quatre fois par seconde. Sauf que c'est le constant flux vidéo qui trompe aujourd'hui l'oeil, de même que la multiplication des sources d'information devenues autant d'écrans que nous ne savons plus gérer. Essai formel original, Redacted agence diverses sources - fabriquées de toute pièce, mais simulant leur propre véracité - pour raconter un fait réel: le viol d'une jeune fille de quinze ans et le meurtre d'une famille irakienne commis par une bande de soldats américains.

Malheureusement, le film de De Palma ne semble pas savoir lui-même où se situe sa propre vérité. À un sujet noble, le cinéaste américain oppose un traitement grossier qui n'offre que des conclusions démagogiques ambiguës à des questions troublantes. Construit à la manière d'un collage approximatif, Redacted tire ses images de plusieurs sources fictives pour produire un tout hétérogène: document amateur tourné par un soldat, diffusions internet diverses, reportages télévisés, bulletins de nouvelles, caméras de surveillance. L'objectif est de reconstruire, de manière fragmentée, un événement dont la médiatisation est elle-même brouillée. En ce sens, la démarche de De Palma est actuelle à défaut d'être juste. Elle indique, de la part d'un cinéaste fatigué, un certain regain de vitalité. Redacted témoigne d'une urgence de créer pour critiquer, d'un besoin de tourner, sans que le résultat ne soit nécessairement convaincant.

Car, bien qu'on ne puisse lui nier sa force d'impact initiale, Redacted frappe surtout par son emploi systématique de stéréotypes gros comme le bras, par son recours à des scènes « choc » d'une pertinence morale discutable et par son incapacité à tirer le meilleur de son pari formel audacieux. De Palma témoigne certes d'une crise de l'image, mais sans jamais en réconcilier les fragments éclatés. Ses personnages sont esquissés sans grande subtilité, si bien que leur transgression semble télégraphiée; ses interprètes jouent à outrance et quelques moments « d'humour », potentiellement involontaires, ternissent le propos d'un arrière-goût bizarre. L'accusation est violente, vitriolée, passionnée; le plaidoyer, néanmoins, se tire dans le pied à plusieurs reprises. Son parti pris de réalisme confond son désir de désamorcer les mécanismes de la représentation, jusqu'à lui nier toute efficacité.

Courageux, sans doute; mais il manque à Redacted le recul et la finesse nécessaires pour que sa charge soit digeste. Car c'est la maladresse qui marque le plus ici, une maladresse découlant d'une sorte de voyeurisme systématisé qui choque venant de la part d'un élève d'Hitchcock. L'imitation des tics documentaires place le film de De Palma sur une corde raide, mais c'est finalement ce bête désir de réalisme propre à la télé-réalité qui prend le dessus. Or il n'y a pas de vérité dans ces images. Ou, du moins, celle-ci est mise en scène, voilée, obscurcie, manipulée, déformée, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'une ambivalente variante. Si bien que le film, au lieu de le pousser à la réflexion, place le spectateur dans l'exacte position à laquelle il est confronté au quotidien. S'il comprend les enjeux de son époque, Redacted n'ajoute au final qu'à sa confusion. Malgré cela, un Redacted vaut bien dix Black Dahlia. Espérons simplement que De Palma saura canaliser cette énergie nouvelle au service d'un projet plus complet.




Version française : -
Scénario : Brian De Palma
Distribution : François Caillaud, Patrick Carroll, Rob Devaney, Izzy Diaz
Durée : 90 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 16 Octobre 2007