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LE PETIT SOLDAT (1963)
Jean-Luc Godard

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Les premiers essais de Godard sont animés par une véritable fureur de filmer, une urgence palpable dans chaque plan et dans chaque coupure du montage. Pourtant, ces films donnent souvent l'impression que le réalisateur français d'origine suisse est un romancier poussé vers le cinéma par la force des choses. Homme de lettres, le critique des Cahiers du cinéma l'est jusque dans la forme de ses premiers films. Ainsi, Le Petit soldat tout comme Les Carabiniers aurait pu être une nouvelle littéraire. Seulement, Godard aime trop l'image et le son pour s'en passer. Le deuxième film de l'enfant terrible de la Nouvelle Vague traite des idéologies guerrières ou, plus spécifiquement, de l'absence d'un idéal motivant le conflit entre la France et l'Algérie. Le sujet du Petit soldat est la nostalgie de la guerre d'Espagne. Peut-être s'agit-il d'une réponse cynique à L'espoir d'André Malraux qui intellectualisait et ennoblissait l'action militaire idéaliste. Quoiqu'il en soit, il s'agit du premier film vraiment politique de Jean-Luc Godard et ce sera d'ailleurs la première des victimes de la puissante censure Gaulliste qui s'en prendra plus tard à La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo.

Le ton du Petit soldat demeure toutefois celui de la réflexion. Godard n'ose pas y déclarer grand chose, car à l'époque sa propre position politique est encore chancelante et oscille entre des extrêmes qu'il n'ose pas embrasser tout simplement parce qu'il ne s'y reconnaît pas. Dès sa première réplique, « Pour moi, le temps de l'action a passé. J'ai vieilli. Le temps de la réflexion commence. », le personnage d'agent secret interprété par Michel Subor s'affirme donc comme alter-ego confus d'un réalisateur encore indécis. Cette valse-hésitation entre le travail intellectuel et l'action directe, Godard n'y aura répondu que plus tard dans sa carrière. Dans Tout va bien et son film annexe Letter to Jane, il se penchera plutôt sur le rôle de l'intellectuel dans l'action révolutionnaire. Son plus récent film, Notre musique, réitère que ce sont les penseurs qui sont sensés. Les sages, dit-il, sont trop occupés à construire des bibliothèques pour se battre. En 1960, il est jeune et se pose encore la question : « Quel est mon rôle dans ce monde ? ». Le Petit soldat est l'amorce d'une démarche intellectuelle et non une fin en soi. C'est ce qui le rend si riche, vif et foncièrement jeune.

Dans Le Petit soldat, les scènes de torture ne sont pas un spectacle navrant révélant les horreurs de la guerre comme dans La Bataille d'Alger. Elles sont intériorisées et mènent à un questionnement sur la faiblesse, le courage et le conflit entre la force et l'intellect. Le Petit soldat est un film de genre détourné de sa fonction de divertissement. Déjà, Godard applique une des stratégies qui fera la richesse de son Alphaville en 1965. Tourné brusquement et sans grands moyens, c'est un film d'espionnage qui par rapport à ses modèles s'efforce de faire tout autrement. En ce sens, ce deuxième long-métrage poursuit ce renouvellement du geste cinématographique qui avait fait le succès de son illustre prédécesseur.

Ainsi, on reconnaîtra immédiatement les méthodes de tournage crues et instinctives de À bout de souffle en écoutant Le Petit soldat. On retrouve la vigueur candide des échanges entre Jane Seberg et Jean-Paul Belmondo lors de ces scènes fabuleuses qui opposent et unissent Anna Karina à Michel Subor. Encore une fois, l'approche technique de Godard remet en question tous les acquis et les absolus du cinéma classique. Au niveau du son, force est d'admettre que les irrégularités sont parfois déstabilisantes. L'ensemble est moins bien poli, la finition plus défaillante que dans À bout de souffle. Le résultat final demeure malgré tout des plus absorbants.

Mal reçu à sa sortie différée en 1963 tant par le public que la critique, Le Petit Soldat est pourtant un second film remarquable en tout point. Il établit déjà en 1960 la tangente politique dominante du cinéma de Godard, qui y fait preuve d'une franchise intellectuelle des plus honorables en affirmant non pas des absolus mais en proposant plutôt des ébauches de réflexions. Ici, Jean-Luc Godard est à la fois humble et effronté. C'est cette contradiction fondamentale que l'on apprécie dans cette oeuvre légèrement imparfaite mais d'une richesse incroyable où, après un seul film, Godard a déjà su évolué de manière constructive. C'est pourquoi malgré quelques erreurs mineures il s'agit d'un film essentiel à la compréhension de cet artiste crucial de l'ère des médias de masse.




Version française : -
Scénario : Jean-Luc Godard
Distribution : Michel Subor, Anna Karina, Henri-Jacques Huet, Paul Beauvais
Durée : 88 minutes
Origine : France

Publiée le : 19 Janvier 2006