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PARKING (2008)
Chung Mong-Hong

Par Mathieu Li-Goyette

Est-ce que la mondialisation a réellement atteint le cinéma? Expliquons-nous. À l’en croire les cinémas asiatiques, il y a du côté de cette cinématographie une sensibilité que l'on se plaît à voir, depuis Wong Kar-Wai, sous les traits d'une poésie enluminée par les néons et les écriteaux d’une terre lointaine (et il va s’en dire que la vision de WKW n’est pas tant celle du Hong Kong que celle de sa vision romantique du monde - son escapade américaine avec My Blueberry Nights aura au moins trahi ses méthodes). D’un autre côté, le cinéma de Jia Zhang-ke se manifeste comme peut-être l’un des plus sensibles à cette question tandis que Hou Hsiao Hsien et Tsai Ming-Liang, les deux de Taïwan (comme ce précieux nouveau réalisateur Chung Mong-Hong) demeurent les plus pertinents en la matière. Sujet malléable, car composé dans la multiplicité, il est, selon moi, important de distinguer une certaine esthétique postmoderne (recyclage, personnages multipliés, fracturés dans leur fort intérieur, etc.) d’une esthétique « mondialisante » visant non pas la mélancolie - en d’autres mots ce « post » du moderne, cette nostalgie de l’après - mais bien le vertige du présent, des télécommunications, de l’amour à distance et du surpeuplement - donc la perte totale de la singularité au profit d’un agencement avec la masse. Chose dite, il n’est à présent pas bien complexe de se référer à la Chine comme berceau d’un nouveau réalisme poétique où, d’un Chinois à l’autre, les rêves changent, mais les ressources demeurent; congestionnés, pris dans le même entonnoir hasardeux avec un certain rêve américain archaïque en bout de ligne, c’est sur ce surplace dont parle ce cinéma. Le parking.

On aura, certes, comparé l’aventure de Chen-mo à celle de Griffin Dune dans le After Hours de Scorsese (aventure nocturne suivant les contraintes d’un dédale menant à la folie, puis le sauvetage in extremis), mais il serait peut-être plus judicieux de se pencher sur le cinéma de Tsai Ming-Liang. Par son flair et sa facilité à faire s’accorder des personnages aux allures excentriques, par le temps et le tranquille engrenage qui se met en place et se dégage comme qualité première du film de Chung, l’exploit permet une plongée dans la détresse, mais aussi dans l’attente d’un « cataclysme » (ici une bien probable cassure avec sa copine) rarement vue dernièrement. C’est un peu l’histoire du Trou de Ming-Liang où un locataire se faisait ami avec sa voisine d’en-dessous et qui, par le biais d’un trou dans le plancher, la rejoignait pour attendre la fin du monde, et c’est face à cet inévitable affrontement en compagnie d’un inconnu que l’être, soudainement écarté de ses notions spécifiques (à savoir l’aspect « postmoderne » reposant sur les caractéristiques de l’âme de tous et chacun) était ramené à son état le plus primaire, celui d’humain, de confrère d’espèce. Sans nécessairement se plonger aussi loin que son contemporain taïwanais a maintenant la maîtrise de l’exercer, Chung porte dans son Parking le regard poétique d’un homme terre-à-terre, maîtrisant l’espace de son film et de ses personnages comme un ballet de chambre dont la chorégraphie ne doit que bien peu à ses confrères, mais doit bien plus à cette partition des dialogues et de la musique insérée à sa juste valeur d'euphorie dont le cinéaste s’avère le maître à penser; et c’est un premier film.

Donc écrit, filmé et réalisé par cet inconnu Chung Mong-Hong qui récolte des récompenses de par le monde, Parking se décrit difficilement (ou du moins l’exercice me semble particulièrement futile) si ce n’est de dire que d’en parler comme d’un casse-tête aux coins ronds, un casse-tête monté en spirale et dont chaque connexion participe à relier les personnages de l’appartement devant lequel Chen-mo s’est stationné et dans lequel il recherche le propriétaire d’une Benz qui, elle stationnée en double, l’empêche de rentrer à temps pour sauver sa relation. Malmené par un propriétaire de Benz qui demeure inconnu, Chen-mo est en fait en train de se confronter au hasard et à la malchance, d’affronter ce damné destin qui, maître du jeu, le fera rencontrer ces autres figures (une prostituée, un barbier amputé, de vieux grand-parents dont la petite fille n’a plus de père) qui apparaissent et disparaissent au gré du récit, l’accentuant pour lui permettre de garder un rythme tout en faisant passer Chen-mo à travers diverses épreuves qui, autant symboliquement que concrètement, viendront édifier sa masculinité (après tout, l’on est en droit de se demander pourquoi sa relation est en péril!). Grande réussite, c’est dans ces saynètes tour à tour romantiques, drôles et tragiques que le spectre d’émotion du spectateur est attaqué de tous sens et - voilà le plus grand brio de l’opus - est amené à maturité.

Par sa relation aux femmes avec cette prostituée maltraitée par son proxénète, il en ressortira plus fort d’avoir côtoyé cette plus femme que femme, cette manifestation qui, par son travail dans le sexe et par le sexe (donc ce qui différencie au niveau le plus fondamental et primaire ces deux individus) l'amène à se doter de la compassion et des responsabilités invoquées par les relations amoureuses. Ensuite, la fraternité grâce à ce barbier avec lequel une petite partie de foot de table permettra de tisser les liens de ce qui semblerait être une première vraie amitié, fondée dans la camaraderie et non pas par le travail ou, plus bêtement, par les affinités. Enfin, par le biais de cette relation avec des grands-parents qui ont pris sous leur aile la petite fille de leur enfant criminel et dont la paternité et la prise en compte d’une causalité (un nouveau réseau de responsabilités, une nouvelle personne à laquelle on devrait porter une attention toute particulière) Chung, par sa mise en scène et une esthétique trempée dans une huile dorée, fluide et allant à tout vent d’un lieu à l’autre et d’un paradigme d’émotions à l’autre, tente de faire synthèse. Ayant tout d’abord déconstruit les faiblesses affectives de son personnage avant de les reconstituer sous les traits de ces rencontres pas plus probables qu’inventées par un « gars des vues » persistant, plan après plan, à faire grandir Chen-mo, c’est lorsqu’il aura compris les leçons qu’il retournera chez les grands-parents prendre la petite; comment prendre soin d’un autre lorsqu’on se néglige pathétiquement. Finalement libéré de l’immeuble, il quitte l’endroit avec ces nouveaux amis, mais surtout avec ces nouvelles expériences qui lui permettront d’affronter le « cataclysme » dont on parlait, l’attente pour l’ultime objectif dont le cinéma taïwanais, dans sa prose pré-apocalyptique, se fait le plus élogieux et cohérent garant. Une rare vision du monde dont ce Chung Mong-Hong se fait, à son tour, l’indice d’une relève tant attendue.




Version française : -
Version originale : Ting che
Scénario : Chung Mong-Hong
Distribution : Chang Chen, Kwai Lun-mei, Leon Dai, Chapman To, Jack Kao
Durée : 112 minutes
Origine : Taïwan

Publiée le : 8 Novembre 2009