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LES ORDRES (1974)
Michel Brault

Par Alexandre Fontaine Rousseau

C'est le 16 octobre 1970 qu'est décrétée par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau la Loi des mesures de Guerre afin de faire face à la situation de crise provoquée par les enlèvements perpétrés par le FLQ. Par le fait même, ce prétendu défenseur des droits humains devant l'Éternel retirait au peuple québécois ces mêmes droits et libertés tandis que l'armée canadienne arrêtait 457 individus sans mandat et souvent sans motif réel. Des artistes et des syndicalistes sont la cible première de cette vague de perquisitions massive dans les milieux souverainistes et socialistes du Québec. La Crise d'octobre demeure l'un des événements majeurs de l'histoire de notre pays. Les Ordres nous enferme avec des prisonniers injustement soupçonnés pour diverses raisons d'être de connivence avec le FLQ.

Les Ordres avoue d'emblée n'être qu'une oeuvre de fiction, une tentative de récréer pour la postérité un de nos grands drames collectifs. En toute franchise, les comédiens se présentent comme tel pour ensuite entrer sous nos yeux dans la peau de leurs personnages respectifs. Malgré cette pirouette formelle digne d'un film de Godard, c'est ce courage honnête dont font preuve les acteurs qui donne le ton au chef d'oeuvre de Michel Brault. Une oeuvre vraie, marquée non seulement par son authenticité vénérable mais aussi par sa grande humanité, qui marquera un grand nombre de québécois et se rendra jusqu'au festival de Cannes grâce aux bons soins de Claude Lelouch pour aller y remporter un prix du jury pour sa réalisation exemplaire.

Cette reconnaissance internationale est une confirmation tout de même fiable du fait que le film de Brault demeure l'un des sommets, sinon l'aboutissement ultime, de la vague du cinéma-vérité qui dominera la production nationale durant les années soixante et soixante-dix. Aux côtés du splendide Pour la suite du monde qu'il tourne en 1963 en compagnie de Pierre Perrault, Les Ordres est un monument d'humanisme réaliste marqué par cette quête du vrai qui marque toute la poétique du regard que porte sur soi-même l'art du peuple québécois en cette prolifique période d'une richesse inestimable. Le produit final applique mieux que les films de la Nouvelle vague la doctrine que prônait celle-ci: un cinéma direct, donc pris sur le vif et tourné avec les moyens du bord, où la liberté formelle absolue est une arme de plus dans l'arsenal du réalisateur.

Il faudra attendre un troisième montage des Ordres avant que le film tel que nous le connaissons aujourd'hui, un hybride ingénieux entre le style documentaire et la fiction classique, vienne au monde. Mais dès le tournage, une esthétique précise et peu conventionnelle est établie. Alors que le cliché aurait stipulé l'exact opposé de ce stratagème, Brault et son directeur photo François Protat tournent les scènes de prison en couleurs délavées et les autres segments du film dans un noir et blanc classique et élégant. On maltraite avec conviction la pellicule des scènes de huis clos, en la sous-exposant de deux stop au tournage et en la surexposant d'un stop au développement, question de lui conférer une texture sale et désagréable cohérente avec l'état des personnages. Le contraste créé est éloquent tout en évitant les conventions.

Si le travail technique est louable, ce sont des interprétations de premier ordre qui insufflent au film son indéniable puissance émotionnelle. Si Jean Lapointe s'avère tout simplement époustouflant, le reste de la distribution fait preuve d'une conviction remarquable. Même les non-professionnels tels que le chanteur Claude Gauthier et la chanteuse Louise Forestier font preuve de cette sobriété percutante qui demeure la signature du film dans son ensemble.

Les Ordres demeure un témoignage puissant, crié quelques années seulement après les événements qu'il raconte, d'un événement qui a profondément marqué le Québec en entier. Mais, d'abord et avant tout, le classique de Brault est une oeuvre universelle sur la liberté, la volonté et la justice. S'il nous interpelle encore aujourd'hui, c'est que son propos est à l'abri du temps de même que le traitement intimiste qui en est fait demeure plus imposant encore que sa valeur historique indéniable. Les Ordres demeure l'un des vrais joyaux de notre cinéma national, notre mémoire collective illustrée magistralement à l'écran afin qu'une fois, au moins, nous nous souvenions.




Version française : -
Scénario : Michel Brault
Distribution : Hélène Loiselle, Jean Lapointe, Guy Provost, Claude Gauthier
Durée : 109 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 5 Octobre 2005