NO MERCY FOR THE RUDE (2006)
          Park Choel-Hie
          
          Par Mathieu Li-Goyette
          
          Depuis 2003, d’innombrables amateurs qui ont vécu l’avènement 
          retentissant de Oldboy croient en un cinéma coréen 
          sur une lancée implacable. S’il prouve année après 
          année qu’on assiste à une éclosion sans précédent 
          dans le monde du thriller, mais aussi de la comédie, il n’a 
          cependant jamais encore atteint les festivals mondains si l’on 
          exclut les cas exceptionnels (et surtout hors-culte) d’Im Kwon-taek 
          et Kim Ki-duk. Invraisemblable renouveau du divertissement, cette « 
          vague » reste sur la sellette et l’expérience lui 
          fait encore défaut, à commencer par la volonté 
          d’injecter un autre type de silicone que l’envolée 
          stylistique et les aspersions de sang. Et sans en être le meilleur 
          ambassadeur de sa décennie, No Mercy for the Rude conservera 
          à coup sûr une réputation culte en tant qu’hybride 
          impressionnant entre rire et tuerie. Réalisé par Park 
          Choel-Hie, jeune réalisateur qui en est à son tout premier 
          film (et définitivement loin d’être son dernier), 
          ce détournement de film noir s’avère stupéfiant 
          dans sa façon d’insérer son discours à travers 
          les aventures d’un tueur à gages juvénile, muet, 
          accompagné de sa famille parfaitement simulée. Très 
          loin des excès de violence habituels, ceux de No Mercy, 
          quoique choquants, demeurent contenus dans un scénario solide 
          qui parvient à rassembler des opposés du cinéma 
          qui ne se rejoignent, le plus souvent, qu’à de moindres 
          extrêmes dans le film policier.
          
          L’union s’offre ici sous les apparences d’un drôle 
          de petit tueur à gages prénommé Killa, grand amateur 
          de fruits de mer et de toréadors. Sa langue est par contre trop 
          courte pour lui permettre de parler sans s’attirer la honte. Ce 
          personnage maniaque à qui l’on a greffé des qualités 
          excentriques ne peut que s’exprimer au moyen d’une voix-off 
          plutôt intimiste qui favorise l’installation de plusieurs 
          moments comiques. Devenu criminel après s’être vu 
          offert la possibilité de se débarrasser de son handicap 
          en échange de 100 000 dollars, Killa est membre d’un groupe 
          d’assassins réputés aux allures grotesques de parodies 
          de super-héros. Tous originaux selon leurs techniques impitoyables, 
          ils sont des hommes au cœur tendre amenés à tuer 
          suite à des accidents leur ayant causé des dommages irréparables 
          (l’un n’est plus danseur de ballet pour une jambe cassée, 
          l’autre ne peut plus être karatéka pour cause de 
          déchirements, etc.). Ils sont ironiquement des rejetons d’une 
          société qui a cessé de les accepter ; chose faite, 
          ils se tournent vers le meurtre en tant que vengeance envers la collectivité. 
          Pour sa part, Killa refuse toujours de s’attaquer aux innocents. 
          Aux allures de justicier du couteau, il ne vise que les violeurs, les 
          brigands, jusqu’au jour où il rencontre une femme amoureuse 
          de lui dans un bar, puis un jeune orphelin dans une ruelle. Les accueillant 
          contre son gré (trop gêné de parler), la famille 
          reconstituée le temps d’un instant lui fera comprendre 
          qu’il ne peut s’y attacher, qu’il a choisi un mode 
          de vie bien différent, et que prolonger cette utopie ne ferait 
          que les mettre en danger.
          
          Accumulant les anecdotes à l’humour noir, No Mercy 
          for the Rude propose un raisonnement intéressant et peu 
          lassant sur la prise des responsabilités et l’aversion 
          d’une société envers les gens qu'on considère 
          différents. Entre des combats chorégraphiés sur 
          le Boléro de Ravel et un parrain se prenant pour le Che, Choel-Hie 
          n’oublie même pas d’écorcher au passage l’occidentalisation 
          vécue à travers des gangsters à milles lieues de 
          l’Asie (même chez Killa, l’amateur de taureaux). Il 
          y imbrique les pré-requis du film noir ; décision importante, 
          car elle semble maintenir le récit dans le moule d’un genre 
          classique et très ouvert aux emportées de dialogues permettant 
          d’attirer l’attention vers une pensée critique de 
          la valeur de la mort, valeur gargantuesque (en qualité, mais 
          surtout en nombre) dans le cinéma de genre coréen. « 
          Les gens ne deviennent égaux qu’à la mort », 
          lance Killa. Est-ce là son alibi pour jouer la faucheuse? Son 
          complexe l’excluant d’une appartenance lui oblige-t-il de 
          tuer pour se rendre égal à ses victimes le temps de leur 
          dernier souffle? Toréador lors de ses rêves, Killa se décrit 
          lui-même comme une fausse cible enveloppée de rouge bien 
          plus dangereuse pour le fou qui oserait se montrer agressif. Il esquive, 
          joue le futé pour dépister ce taureau de la mort rageur 
          qui ne cesse de le pourchasser.
          
          Pourtant bien inscrit sur une ligne droite, Killa n’est finalement 
          capable que de courir dans la même direction, le destin des amants 
          du film noir étant toujours implacable. C’est une loi universelle 
          au cinéma: qui tue sans merci se voit tué un jour ou l’autre, 
          les antagonistes comme le cinéaste se voyant dans l’entente 
          d’oublier la raison première des meurtres. Question de 
          vengeance envers des individus ou plus globalement des traits d’une 
          société, rien n’empêche le jeune assassin 
          de mourir sous la pluie aux côtés de son âme soeur, 
          tous deux enveloppés d’un drap rouge vif. Servi par une 
          mise en scène énergique qui ne tombe jamais dans la gratuité 
          des moyens, les combats rappellent délibérément 
          la boucherie d’un bovin complètement écorché, 
          les corps des victimes n’étant pas plus importants qu’un 
          amas de viande rouge. Malgré une finale beaucoup plus masochiste 
          que tragique, venant gâcher le mélodrame des derniers instants, 
          et le manque d’approfondissement de la valeur humaine (à 
          laquelle le film aspire à réfléchir), le premier 
          film de Park Choel-Hie est une partie de plaisir peut-être aussi 
          tordue que d'assister aux prouesses d’un toréador. Prisonnier 
          d’une arène (ville), entouré de bovins (humains) 
          sauvages armés jusqu’aux dents avec comme seul arme un 
          drap rouge (couteau) bien anodin; c’est du symbolisme bidon, certes, 
          mais honnête, et c’est bien tout ce qu’on peut attendre 
          du veau d’or cinématographique coréen.
         
          
        
        Version française : -
        Version originale : 
Yeui-eomneun geotdeul
        Scénario : 
Park Cheol-Hie
        Distribution : 
Go Su-hee, Han Ye-rin, Kang San, Kim Byeong-ok
        Durée : 
113 minutes
        Origine : 
Corée du Sud
        
        Publiée le : 
22 Juillet 2008